La bibliothèque de François Brigneau (arch 1988) (30/09/2013)

Seuls quelques rares intimes connaissent la bibliothèque de François Brigneau. Elle commence dans la cave, emplit le garage à vélo, tapisse son bureau, au premier étage, se prolonge dans l'escalier du second qu'elle remplit petit à petit.
Dans cet univers qui tient de la foire aux Puces et de la caverne d'Ali Baba, la recherche du livre convoité ressemble à la chasse au zipangu.
Le zipangu est un animal fabuleux des Andes. Il faut généralement le traquer pendant une quinzaine de jours avant de l'apercevoir. L'assaut final est terrifiant. Les victimes sont nombreuses. Surtout parmi les porteurs.
Après quoi, on est heureusement surpris de découvrir que le zipangu a le goût du veau.
Le cri du rhinocéros galopant vers madame après s'être chauffé l'après-midi dans la boue fétide du Zambèze ressemble à s y méprendre à celui que François Brigneau pousse quand il met enfin la main sur l'ouvrage désiré.
Si l'on voit moins Brigneau dans les bistrots à vins qu'il a longtemps et longuement fréquentés, pour apporter à l'aimable clientèle ses vues modestes, mais pertinentes, sur l'évolution des mœurs, c'est qu'il met de plus en plus de temps à déterrer le bouquin dont il a besoin.
Ancien grand bourlingueur, François Brigneau ne quitte plus guère sa grotte à livres. Depuis son accident (vertèbre et rotule cassées), il écrit assis dans son lit, un carton à dessin sur les genoux, de huit à treize heures et de quinze à dix-neuf heures, tous les jours que Dieu fait, à l'exception des colloques philosophiques du Père Tranquille. (Spécialité de Chinon et de Saumur-Champigny).
François Brigneau aura 69 ans le 30 avril prochain. Il pèse 90 kg et ce n'est pas fini. Il a mesuré 1,71 m, mais a tendance à rapetisser. Il est le plus ignoré des journalistes connus. Il ne semble pas en souffrir. Quand je l'ai interrogé pour cette notice biographique et que je lui ili demandé s'il avait quelque chose à déclarer, il m'a répond :
- Dites que je ne bois jamais de Kir, contrairement à ce que Bergeron écrit dans son Guide de l'Homme de droite, à cette erreur près excellent. C'est même, avec le lait, une des rares boissons qui m'attriste. Dieu sait pourtant si, dans ce domaine, je suis ouvert et tolérant. Je suis actuellement dans une période gin avec un trait de Campari. Mais Kir : jamais !
Dans cette page culturelle, c'est une information dont on mesurera la valeur.

Ma bibliothèque est à mon image, à l'image de ma vie et de mes curiosités : en désordre, (au moins apparent), diverse, mêlée, pratique, utilitaire, professionnelle et faite pour le plaisir de lire, le plus vif, l'irremplaçable, celui que le temps n'a fait qu'aviver.

J'aime les écrivains différents, parfois antagonistes. Je m'endors rarement sans un poème, Verlaine, Hugo, Francis James, un bout de Drumont, une page de Léautaud.

À portée de la main droite, j'ai Maurras, le Dictionnaire, irremplaçable, Léon Daudet, les Salons et journaux, Brasillach (les Poèmes de Fresnes), Les Modernes d'Abel Bonnard, Gaxotte, François Leger, un des grands écrivains vivants, dont la Jeunesse de Taine m'a ouvert les portes d'un monde. Voici encore les Décombres de Lucien Rebatet, les quatre tomes du Dictionnaire politique d'Henry Coston, les huit du Dictionnaire encyclopédique d'histoire de Michel Mourre, Gustalin, Travelingue et Uranus de Marcel Aymé, mes Béraud préférés : La Gerbe d'or, Ciel de suie, Le Vitriol de lune, Les lurons... 
Je lis pour le travail, je lis pour la tête, je lis pour le cœur. J'aime les journaux intimes : celui des Goncourt, de Gide, de Renard, de Léautaud, un peu longuet, et rabâché pourtant. 
J'ai des envies de critiques littéraires qui me prennent comme des fringales. J'aime Sainte-Beuve, Kleber Haedens, Bardèche, Jules Lemaître, dont je viens d'acheter Les Contemporains, Brasillach (Les Quatre jeudi, Portraits), Robert Poulet, magistral, et Georges Laffly, dont j'ai découpé et rassemblé les précieuses chroniques parues dans Ecrits de Paris.
Je suis curieux de passer de la critique à l'œuvre critiquée et de me tester au regard de l'une et l'autre. Je suis désolé de ne pas être sensible à des œuvres présentées comme essentielles. Néanmoins. je ne feins pas une adhésion qui me fuit. Proust, Claudel me sont étrangers. Je n'aime,que l'écriture simple et naturelle ; le contraire de ce que l'on appelle le style. Céline, par exemple, chez qui la fabrication nuit au génie ; je ne le fréquente que par incursions rapides, fasciné, ébloui, mais vite fatigué. De même, Péguy, je ne le supporte qu'à la page. Oserai-je dire encore que Flaubert, je le préfère dans ses lettres que dans Madame Bovary, son meilleur roman ?
Comme je me suis fait moi-même, de bric et de broc, découvrant souvent l'essentiel en partant de l'accessoire, c'est la politique qui m'a conduit à l'histoire, laquelle m'a ramené à la politique. La période que je connais le mieux est la Troisième République, de Sedan à Sedan, dont j'ai caressé l'idée d'écriture d'une histoire non conformiste, à travers Barre, Drumont, Daudet, Halévy, Maurras, Bainville, Coston, Ploncard d'Assac, Beau de Loménie, Fabre Luce, Galtier-Boissière, Rochefort, Bernard Fay, tant d'autres dont j'ai entassé les ouvrages sur des rayonnages spéciaux. Je me contente donc de la lire et d'y rêver.
Actuellement, pour rédiger l'Anti-89, les quatre feuilles mensuelles dont l'abbé Aulagnier et l'abbé Coache m'ont demandé d'assurer la rédaction en chef, je suis plongé dans la Révolution française. Comme toujours dans ce genre de tâche, je me comporte avec beaucoup d'humilité, enquêtant sur le terrain du passé, comme je l'ai fait sur le terrain du présent quand j'étais journaliste, et faisant comme si je ne savais rien de l'avenir qui se préparait. Cette méthode permet parfois de découvrir, avec les signes annonciateurs des catastrophes, le volontaire aveuglement des contemporains. Les recherches auxquelles je me livre permettent de mesurer la quasi-impossibilité ; de la tâche demandée aujourd'hui. Pour , la seule énumération des titres des livres composant une bibliothèque contrerévolutionnaire, cette page ne suffirait pas. Contentons-nous d'en citer quatre : la Révolution française de Gaxotte (Fayard), Les Origines de la France contemporaine de Taine (deux tomes; Laffont) - 1792 : Les Dernières marches du trône de Ploncard d'Assac (DMM); Pourquoi nous ne célébrerons pas 1789, d'Etienne Dumont (Arge).
En même temps, je rêve de dresser, avec Serge Jeanneret, le dictionnaire anecdotique des écrivains mineurs de 1900 à 1940. Mais Serge se trouve trop jeune pour rester au logis attelé à des travaux d'écriture.
J'occupe donc mes « loisirs » à relire mes ,« grands » : La Fontaine, La Bruyère, Molière, Chamfort, La Rochefoucauld, Chateaubriand, Stendhal, Flaubert, quelques étrangers : Chesterton, Conan Doyle, Kipling, Stevenson et Dickens, Von Salomon, Anfonso, et les contemporains qui sont le plus près de moi : Marcel Aymé, déjà cité, Jacques Perret, Félicien Marceau, Béraud, Monteilhet, ou Laurent (Le Petit Canard).
Puis-je ajouter que je possède aussi une série d'étagères réservées à la Question juive et L'affaire des chambres à gaz, de Rassinier à Faurisson ? C'est celle qui excite le plus la curiosité et même la cupidité de mes visiteurs. Je veille, sournoisement, au grand désespoir de mon épouse :
- Heureusement qu'on lui emprunte ses livres et qu'on ne les lui rend pas, dit-elle. Sans cela, il aurait fallu rehausser la maison d'un étage.
page réalisée par J.C. L National Hebdo du 4 au 10 février 1988

12:51 Écrit par pat | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer |  Facebook | | | | |