La dérive terroriste des frères musulmans (30/12/2013)

Étrange personnage que l'actuel secrétaire d'État américain. Étrange clown à vrai dire que ce John Kerry. Si j'en crois les gazettes il aurait fait part, auprès de son homologue égyptien ce 27 décembre, de sa "préoccupation"(1)⇓ Jusque-là rien de choquant.

John Kerry et ses conseillers pourraient en effet se poser certaines questions existentielles.

Par exemple, on apprend qu'il doit se rendre en ce début janvier 2014 à Jérusalem pour faire avancer les négociations de paix. Plus de 20 ans après les accords d'Oslo de 1993, qui semblaient porteurs de tant d'espérance, nul ne saurait douter ni de l'utilité ni de l'efficacité de pareilles réunions.

De façon plus brûlante il pourrait se demander s'il ne convient pas de revoir entièrement la politique arabe, proche-orientale, et islamique, poursuivie par l'occident en relation avec les intérêts pétroliers.

Chef de la diplomatie d'un grand pays où on prête serment sur la Bible, il pourrait s'inquiéter du sort et des libertés des chrétiens d'orient, et le faire savoir de façon forte à ses interlocuteurs.

Pour entrer dans le sujet, en Syrie comme en Égypte, le département d'État et le Pentagone pourraient se préparer à lutter contre les terroristes. Observant la multiplication des attentats aveugles et criminels commis aux nom du djihad, on comprendrait qu'il réagisse etc.

Non, tout cela passe au second plan. Ce qui préoccupe John Kerry n'est pas le terrorisme, mais les mots explicites utilisés par le gouvernement du Caire pour le désigner et pour cibler la nébuleuse dans laquelle il recrute.

L'histoire de ce mouvement des Frères Musulmans atteste cette dérive. (2)⇓

Au départ, en 1928, la fraternité s'assignait pour but, sous la direction de son chef et fondateur Hassan al-Banna, la prédication et la propagation de la foi mahométane. Elle agissait en accord discret avec la Grande-Bretagne qui y voyait une œuvre de redressement.

En elle-même cependant la doctrine professée penchait en faveur du rétablissement de la charia. Elle est ainsi définie dès les années 1930 : "Je crois que tout est sous l’ordre de Dieu, que Mahomet est le sceau de toute prophétie adressée à tous les hommes... que le Coran est le Livre de Dieu, que l’islam est une Loi complète pour diriger cette vie et l’autre..."

Le succès sera foudroyant. En 1938 le guide suprême a prêché dans 2 000 des 4 000 villages que compte l'Égypte. Son mouvement revendique 2 millions de membres.

En son sein, d'autre part, se développe dès les premières années une Organisation Secrète. L'inspiration totalitaire, pro-nazie jusqu'en 1945, n'y faisait aucun doute. Les "Officiers libres", la "Jeune Égypte", Nasser, Néguib, Salah Salim, Saadate, etc. y fourbiront leurs premières armes. La défaite arabe lors de la première guerre contre Israël provoque une première grave secousse. L'activisme des Frères inquiète le gouvernement du Caire.

Au mois de mars 1948, le pouvoir exige donc la remise des armes de la confrérie et l’intégration de ses unités militaires à l’armée régulière. Banna ordonne d’obéir. Il signe sans doute là son arrêt de mort. En février de l'année suivante il est liquidé, mystérieusement, laissant la place à un nouveau guide suprême Hassan el-Houdaybi.

Entre-temps en janvier 1949, les Frères ont assassiné le Premier ministre égyptien Mahmoud Fahmi al-Noqrachi.

Dès 1951, les services français s'alarment du soutien de la Confrérie aux nationalistes arabes en Afrique du nord (3)⇓

En 1953, tournant décisif : la conférence islamique de Jérusalem. L’intervention de Navab Safawi théorise un élargissement de la perspective de lutte à tout le monde islamique. Ce chef des "Fedayins de l’Islam" iraniens décide de fusionner ses partisans avec les Frères musulmans égyptiens. À partir de cette date la Confrérie passe, d’un mouvement social plus ou moins révolutionnaire local, au stade d’une immense nébuleuse, matrice du terrorisme mondial, aujourd'hui implantée dans plus de 80 pays.

En 1954 : tentative d'attentat contre Nasser, qui l'année précédente avait rejeté leurs exigences et les avait tournées en ridicule. Le Raïs réagira durement. La même année, Safawi après deux conférences au Caire, est condamné à mort en Iran pour avoir tenté d'assassiner le premier ministre du Chah.

En 1964 Sayyid al-Qutb, principale figure intellectuelle et doctrinaire du mouvement, théorise un djihad désormais "offensif" dans ses "Jalons sur la route de l'islam". Cette idée nouvelle inspirera la naissance d'al-Qaïda. Accusé de complot, refusant de demander sa grâce, il sera exécuté en 1966.

En 1981 : assassinat de Saadate par une cellule des Frères. Au procès une vedette apparaîtra : Zawahiri, actuel chef d'al-Qaïda.

En 1982 les Frères musulmans syriens tentent de renverser le pouvoir du Baas. Ils subiront une répression impitoyable, dont ils cherchent à se venger dans la guerre civile actuelle.

En 1987 les Frères musulmans palestiniens créent le Hamas. Le gouvernement israélien d'alors semble y avoir vu, au départ, une bonne occasion de prendre à revers le Fatah.

On doit donc constater une radicalisation constante de ce mouvement. Son activité terroriste dure maintenant depuis plus de 60 ans. Né, dès les années 1920, de l'admiration du jeune instituteur Hassan el-Banna pour le royaume saoudien qui demeure, avec le Qatar, le commanditaire financier et la référence des "salafistes". Né en 1906, Banna avait vu en 1924 la disparition du califat ottoman et il se raccrochait aux succès des wahabites en Arabie, si proches des "pieux ancêtres".

L’historienne iranienne Ladan Boroumand fait remarquer dès lors à propos de ce qu’on appelle de façon trop approximative "l’islamisme" : "c’est une manière d’être communiste sans devenir athée."

Ce dernier point nous semble capital à faire comprendre, sinon à John Kerry lui-même, du moins aux responsables et à l'opinion de l'occident. Cela vaut en particulier à Paris et pour nos dirigeants qui abordent de manière si frivole et si fausse les menaces qui pèsent sur l'ensemble de nos pays.

S'agissant des Frères Musulmans, les naïfs, les psycho-sociologues et les enfumeurs professionnels voudraient les réduire à la dimension de leurs 500 organisations caritatives. La guidance de la confrérie les contrôle, en effet, sans partage. Très précisément on se trouve bel et bien en présence d'une organisation terroriste et totalitaire. Celle-ci se révèle d'autant plus dangereuse qu'elle fonctionne comme les partis communistes d'autrefois. Structurée en contre-société, elle constitue le vivier d'une subversion totale et radicale. Elle se sert de la démocratie et de ses libertés, qu'elle ne respecte qu'à son propre profit. Elle n'hésite le cas échéant devant aucun moyen de feu et de sang. On l'a vu tous les jours pendant les 12 mois de la présidence Morsi au Caire. On le voit depuis la chute de son régime par l'aggravation systématique et dramatique de la violence à laquelle elle s'emploie.

Seuls les gens comme John Kerry, dans la tradition du parti démocrate américain et de la gauche française, ne veulent pas le voir.

JG Malliarakis http://www.insolent.fr/

Apostilles

  1. cf. Le Monde.fr avec AFP et Reuters | 27.12.2013 à 14h43 • Mis à jour le 28.12.2013 à 17h57 : "Le chef de la diplomatie américaine, John Kerry, a téléphoné jeudi à son homologue égyptien, Nabil Fahmy, pour exprimer « sa préoccupation quant à la désignation terroriste des Frères musulmans », a déclaré Jennifer Psaki, porte-parole du département d'Etat."
  2. écouter la conférence de Michaël Prazan le 8 octobre 2013 à l'Institut d'Histoire sociale : 1° Introduction : "La matrice est la confrérie des Frères musulmans"  ; suivie 2° du débat  ; visionner son documentaire  diffusé sur France 2 "La Confrérie, enquête sur les Frères Musulmans" 
  3. cf. Rapport du 17 octobre 1951 de l’ambassadeur au Caire [Maurice Couve de Murville] au Quai d’Orsay, et archives du Service Historique de l'Armée de Terre SHAT-1H1725.

21:59 Écrit par pat | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer |  Facebook | | | | |