François Bousquet : « Le conservatisme a le vent en poupe… mais pour conserver quoi ? C’est le débat ! » (27/11/2017)

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Le nouveau numéro d’Éléments est en kiosque. Entretien avec son rédacteur en chef, François Bousquet.

Éléments n’est pas spécialement connu pour être un magazine conservateur (ce qui ne fait certes pas de vous des progressistes). Pour autant, pourquoi avoir consacré un dossier à « la Nouvelle Vague du conservatisme » ?

L’actualité, spécialement le très riche Dictionnaire du conservatisme qui vient de paraître aux Éditions du Cerf et qui a été dirigé par les professeurs Christophe Boutin, Olivier Dard et Frédéric Rouvillois, avec lesquels nous avons mené un long entretien. La France a eu une tradition conservatrice longtemps vivace – Chateaubriand, Tocqueville, Constant, etc. –, mais elle s’est subitement asséchée après l’échec de la droite aux élections législatives de 1885. Une éclipse d’un siècle et plus, durant laquelle il était admis que le conservatisme était un (gros) mot qui commençait mal, sans que l’on sache très bien où il finissait. Et le conservateur, un vieux monsieur falot à redingote sorti d’une lithographie du XIXe siècle. Songez qu’une famille de pensée comme celle de l’Action française ne s’est jamais définie comme conservatrice. Les choses sont cependant en train d’évoluer. Le conservatisme a le vent en poupe, poussé par des vents frondeurs, et il a des titres à faire valoir dans un monde guéri des illusions du progrès. Une nouvelle génération d’essayistes – Mathieu Bock-Côté, que nous interviewons, en est sûrement le représentant le plus emblématique – s’efforce de l’appréhender sous un jour nouveau. Son heure aurait-elle sonné ? Emmanuel Macron a divisé le monde en deux : il y a lui, champion du progressisme… et les autres, ce qui peut faire au final beaucoup de conservateurs. Mais pour conserver quoi ? C’est le débat que la rédaction d’Éléments a choisi d’ouvrir. La difficulté, c’est que les conservateurs ont toujours été partagés en deux : les libéraux et les antilibéraux, les modérés et les réactionnaires.

Qu’est-ce qui différencie tout ce beau monde ?

Comme nous le dit Christophe Boutin, le conservateur est un traître aux yeux du réactionnaire ; et le réactionnaire, un boulet à ceux du conservateur. Vous conviendrez qu’il est difficile de les assortir. Plus largement, comment concilier – et c’est tout l’enjeu des stratégies électorales futures – les conservateurs et les populistes, sachant que les premiers ont tendance à jouer les élites contre le peuple et les seconds le peuple contre les élites ? Et que dire des conservateurs et des libéraux ? Les premiers s’en tiennent à la règle prudentielle dès lors qu’il s’agit de remettre en cause l’ordre naturel des choses (en gros, le principe de précaution) là où les seconds voient une entrave à la liberté d’entreprendre. On voit qu’il y a du travail.

Pourquoi avoir mis en couverture l’écrivain américain Matthew Crawford ? Est-il si connu que ça du public français ?

C’est un risque calculé. Si le visage de Matthew Crawford n’est pas forcément connu, du moins connaît-on ses livres. Son Éloge du carburateur s’est vendu à 25.000 exemplaires en France et à 250.000 aux États-Unis. C’est un philosophe à l’écriture limpide, qui réhabilite le travail manuel. Chez lui, cette réhabilitation passe par l’amour immodéré des motos et des carburateurs – il n’est pas états-unien pour rien et on sait combien les « road trips » ont façonné l’imaginaire américain. Dans ces livres, il nous rappelle que le travail manuel nous aide à renouer avec la matérialité du monde, à nous réapproprier notre univers environnant, à nous extraire de la digitalisation forcée à laquelle nous condamne la société numérique. Que vaut-il mieux ? Le monde sensible, familier, tangible, de nos proches, ou celui, pixélisé et dématérialisé, des réseaux sociaux, régi par des algorithmes qui orientent nos choix de consommation ? C’est comme si nous étions plongés dans le monde irréel du Truman Show, le film de Peter Weir avec Jim Carrey, mis sous cloche par les géants du Net qui scrutent nos vies à partir des traces électroniques que nous laissons, pour ensuite vendre notre temps de cerveau disponible.

Jamais Matthew Crawford ne s’était autant livré, du moins à la presse francophone. Ce qui n’est pas une mince satisfaction pour nous. Il est en train de faire à la presse cultureuse, celle du gauchisme chic – Libé, Les Inrock,Télérama –, le même vilain tour que Houellebecq lui avait naguère joué. Elle le croyait de gauche, mais de toute évidence Crawford n’appartient pas à la famille. Cela ne fait peut-être pas de lui un homme de droite, encore que, car comme le disait Michel Audiard, c’est la gauche qui nous rend de droite !
Parlez-nous de cette « artiste » que vous avez dénichée et qui s’injecte dans les veines du sang de cheval ? C’est la dernière lubie de l’art contemporain ?

Vous pouvez le dire. Marion Laval-Jeantet, bio-artiste de son état et maître de conférence à l’université Paris I (excusez du peu), s’injecte dans le sang des doses d’hémoglobine et de plasma de cheval. Pourquoi ? Accrochez-vous : pour faire l’expérience de la « chevalinité ». Diantre ! Cela s’appelle le « body art », l’art corporel. Il donne lieu à toute une série d’âneries, cela dit sans offenser nos frères animaux, même s’il n’y a rien, ici, de franciscain. C’est, au contraire, une nouvelle étape dans le processus de déconstruction et de déshumanisation en cours. Après avoir déconstruit les peuples (l’antiracisme), les sexes (réduits à l’état de genres arbitraires et construits), les déconstructeurs s’attaquent désormais aux espèces vivantes. Cette avant-garde sévit aujourd’hui à l’École normale supérieure, temple du savoir et laboratoire du futur, sous la forme d’un séminaire « Hybridations, mutations, contaminations. Philosophie du non-humain ». Tout est dit dans l’intitulé, sauf l’idéologie qui se cache derrière : l’antispécisme, laquelle nie la différence des espèces et traque toutes les formes de discrimination anti-animale (sic). Son objectif ? Élargir les droits à l’ensemble des vivants non humains. Nous, les hommes, avons du souci à se faire.

Texte repris du site Boulevard Voltaire

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16:06 Écrit par pat | Lien permanent | Commentaires (0) |  Imprimer |  Facebook | | | | |