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  • 1303 : Le roi seul maître au temporel

    Cette année-là, la dix-huitième de son règne, Philippe le Bel, trente-cinq ans, était le premier souverain d'Europe. Avec l'aide de légistes nourris de la notion romaine de souveraineté, il proclamait à toute occasion et non sans une certaine impétuosité l'indépendance de la couronne qu'il savait recevoir de Dieu seul.

    Le malheur avait voulu que régnât à Rome depuis 1295 un pape de haute culture mais obtus. Ayant succédé au pauvre et éphémère Célestin V dont il avait hâté la fin, le cardinal Caetani, devenu Boniface VIII, se faisait de la fonction papale une idée certes haute mais quelque peu totalitaire, prétendant imposer sa volonté aux rois non seulement dans les domaines de la foi et de la morale (cela ne se discutait pas) mais aussi dans les affaires politiques.

    Certes, la Chrétienté, que Maurras devait admirer comme la « grande fraternité des peuples baptisés » existait encore, mais les États s'affirmaient, s'organisaient, entraient dans l'histoire, devenant de réelles communautés de destin. S'ils pouvaient accepter l'arbitrage pontifical pour régler leurs différends entre eux, ils ne pouvaient admettre un impérialisme papal. Le grand-père du roi Philippe le Bel, Louis IX, que Boniface VIII avait lui-même canonisé en 1297, ne pensait pas autrement.

    Tout avait commencé entre Boniface et Philippe par une basse question d'argent. En principe, étant chargé de l'assistance publique, le clergé ne payait pas d'impôt, mais pour mener la guerre contre les Flamands, le roi, ayant besoin de beaucoup d'argent, leva en 1295, la "décime" que, bon gré mal gré, le clergé accepta. Puis il voulut percevoir un impôt général du "cinquantième", ce dont les évêques allèrent se plaindre à Rome. Le pape publia la bulle Clericis laïcos précisant d'un ton très dur que les rois ne pouvaient lever un impôt sans l'autorisation du Saint-Siège, tandis que le roi interdisait tout passage de monnaie à l'étranger. Suivirent moult bulles papales et déclarations royales, véhiculant menaces et défis avec exagérations des deux côtés, jusqu'au jubilé de 1300 où l'on put croire à un apaisement. Dès l'année suivante Boniface VIII arbora une tiare avec une seconde couronne manifestant son autorité au-dessus des rois. Les positions restaient aussi fermes et les tempéraments tout aussi entiers.

    Pour envenimer les choses, surgit un agité, Bernard Saisset, évêque de Pamiers, qui, fâché avec tout le monde sauf avec le pape, parlait de soulever le Languedoc. Le roi le fit arrêter, le pape le réclama, puis se fâcha et publia la bulle Ausculta filii, affirmant que le pape est au-dessus des rois même au temporel et intimant au roi l'ordre de se débarrasser de ses conseillers. À quoi Philippe répondit en convoquant le dimanche des Rameaux 1302 à Notre-Dame une vaste assemblée d'évêques de clercs, de princes et de barons, et de représentants des communes (une sorte d'embryon d'états généraux) qui marqua l'union intime du roi et de ses sujets sur la grave question de la liberté du royaume. Le garde des Sceaux, Pierre Flotte, affirma que « le roi n'a pas de supérieur au temporel ». Une députation envoyée à Boniface s'entendit dire par celui-ci que si Philippe ne venait pas à résipiscence, « nous le déposerions comme un varlet ». Et sur ce fait de fulminer l'excommunication et de convoquer un concile avec obligation pour les évêques français d'y venir...

    Philippe le Bel, qui venait de subir à Courtrai une défaite contre les Flamands, ne voulait plus tergiverser. Désormais, il allait demander ce qu'aucun roi n'avait jamais osé : la déposition du pape ! Comme le montre Jacques Bainville, ce n'est qu'en voyant que l'intransigeance pontificale pouvait ébrécher son autorité et l'unité morale du royaume que Philippe le Bel frappa le grand coup : il envoya avec une petite troupe et dans le plus grand secret son conseiller Guillaume de Nogaret à Anagni pour qu'il se saisît de la personne du pape et l'amenât à comparaître devant un concile général en vue de sa destitution. La nuit du 7 septembre 1303 eut lieu la rencontre. Le pape fut enlevé, mais plus aucun historien sérieux ne dit qu'il aurait été giflé. Deux jours après, la foule le libérait ; quinze jours plus tard, Boniface VIII mourait d'émotion, assez peu regretté même de son entourage romain.

    Ledit "attentat d'Anagni" ne fut qu'une démonstration audacieuse et risquée d'une juste exaspération. En octobre, le nouveau pape Benoît XI levait les sanctions contre Philippe le Bel et lui consentait la "décime" pour deux ans. Puis l'année suivante, son successeur Clément V allait être le premier pape à s'installer à Avignon, sous protection française.

    Philippe le Bel, que l'on sait par ailleurs extrêmement pieux n'avait point agi par "laïcisme". Il voulait seulement affirmer avec la fougue de la jeunesse d'une nation en pleine éclosion que pour le bien de l'un et de l'autre le pape et le roi devaient être pleinement souverains chacun dans son domaine et que spirituel et temporel ne devaient pas empiéter l'un sur l'autre. On aimerait voir la République agir aujourd'hui de la sorte à l'égard de tous les papes de la pensée unique...

    MICHEL FROMENTOUX  L’Action Française 2000 du 1 er au 14 mai 2008

  • Alain de Benoist : « Les guerres idéologiques modernes ont pris le relais des anciennes guerres de religion »

    Entretien avec Alain de Benoist paru sur Boulevard Voltaire le 24/04/2014 – Nicolas Gauthier pour Boulevard Voltaire. – (…) Grande est l’impression que, désormais, non content de battre l’ennemi, il faut l’annihiler, le criminaliser, voire le convertir… N’assistons-nous pas à des parodies de croisade, les droits de l’homme ayant remplacé les Évangiles ?

    Dès que l’on se situe sur le terrain de la morale, une telle évolution est inévitable. Les guerres de religion sont par définition les plus meurtrières, parce que l’ennemi n’y est plus perçu comme un adversaire du moment, qui pourrait éventuellement devenir un allié si les circonstances changeaient, mais comme une figure du Mal. C’est pour en finir avec les guerres de religion qu’au lendemain des traités de Westphalie (1648) un nouveau droit de la guerre (jus ad bellum), lié à l’avènement de ce qu’on a appelé le jus publicum europaeum, a vu le jour. Son but explicite était d’humaniser la guerre, de la « mettre en forme », selon l’expression de Vattel. C’était une guerre à justus hostis : on admettait que celui-là même que l’on combattait pouvait avoir ses raisons. Il était l’ennemi, mais il n’était pas le Mal. La victoire s’accompagnait d’un traité de paix, et nul ne cherchait à perpétuer, au lendemain des combats, une hostilité qui n’avait plus lieu d’être.

    Les guerres idéologiques modernes ont pris le relais des anciennes guerres de religion, avec lesquelles elles ont une évidente parenté : il y est toujours question du Bien et du Mal. Ces guerres modernes ressuscitent le modèle médiéval de la guerre à justa causa, de la « guerre juste », c’est-à-dire de la guerre qui tire sa légitimité de ce qu’elle défend une « juste cause ». L’ennemi est, dès lors, nécessairement tenu pour un criminel, un délinquant, qu’il ne faut pas seulement vaincre, mais dont on doit aussi éradiquer tout ce qu’il représente. Les guerres « humanitaires » d’aujourd’hui sont des guerres au nom de l’humanité : qui se bat au nom de l’humanité tend nécessairement à regarder ceux qu’il combat comme hors humanité. Contre un tel ennemi, tous les moyens deviennent bons, à commencer par les bombardements de masse. Dès lors s’effacent toutes les distinctions traditionnelles : entre les combattants et les civils, le front et l’arrière, la police et l’armée (les guerres deviennent des « opérations de police internationale ») et finalement la guerre et la paix, puisque avec la « rééducation » des populations conquises, la guerre se prolonge en temps de paix. Quant au soldat, comme l’écrit Robert Redeker, l’auteur du Soldat impossible, il est « remplacé par un mixte de policier, de gendarme, d’intervenant humanitaire, d’assistance sociale, d’infirmier et de pédagogue », chargé de « convertir, en punissant les récalcitrants, tous les États aux droits de l’homme et à la démocratie ». Ce n’est plus qu’une apparence de soldat. (…)

    Texte intégral : bvoltaire.fr/alaindebenoist/les-guerres-ideologiques-modernes-pris-relais-anciennes-guerres-religion,56814

  • Croatie : la révolution d’avril 1941

    Le jeudi 10 avril 1941, soit 4 jours après le début de l’offensive allemande contre la Yougoslavie, il est aux alentours de 16h10 (1) lorsque l’ancien colonel Slavko Kvaternik s’exprime sur les ondes de Radio Zagreb et proclame, au nom d’Ante Pavelić, le rétablissement de l’indépendance croate. Quelques minutes plus tard, la station diffuse un bref message de Vladko Maček, demandant au peuple croate de reconnaître l’autorité du nouveau pouvoir et de loyalement coopérer avec lui. La ville est d’ores et déjà sous le contrôle des miliciens du Parti Paysan, des militants de l’Oustacha et des volontaires issus de diverses associations patriotiques comme Uzdanica. Témoin « neutre » des événements, le consul américain John James Meily raconte :
    « Le mercredi 9 avril, le bruit court que toute la Garde Civique du Parti Paysan est passée du côté frankiste ; les officiels serbes présents à Zagreb et notamment le Vice-Ban s’apprêtent à quitter la ville. Le jour suivant, le 10 avril, la Garde Civique et une partie au moins de la Garde Rurale se déclarent ouvertement favorables aux Frankistes (2) ; vers 10 heures du matin, le Vice-Ban reçoit l’un de nos fonctionnaires en s’écriant ‘C’est la débacle ! La débacle totale !’. À midi, le chef de cabinet du Ban nous informe que la Yougoslavie, c’est fini ; que dans quelques heures, les troupes allemandes vont entrer en ville ; que la Croatie va se déclarer indépendante et que le Parti Paysan s’arrangera avec les Frankistes. C’est quelques minutes avant l’entrée des premiers soldats allemands dans Zagreb que le général Kvaternik, un chef frankiste ou oustachi, proclame à la radio, au nom du Poglavnik Dr Ante Pavelić, l’État Indépendant Croate (…) Vers 16 heures, des milliers de citoyens enthousiastes acclament les premières unités mécanisées allemandes. Dans le même temps, un petit groupe organisé de Frankistes, ou d’oustachis comme ils se nomment eux-mêmes, avec à leur tête le major oustachi Ćudina, des étudiants frankistes et la Garde Civique s’emparent des bâtiments publics, de la gare et de la radio, sans rencontrer de résistance. C’est ainsi que la Croatie se sépare, sans effusion de sang (seul un policier a été tué), de l’État yougoslave » (3).
    La proclamation de l’indépendance n’apparaît donc aucunement comme une initiative ou une manœuvre allemande. Les protagonistes de cette journée du 10 avril sont bien tous des Croates, la Wehrmacht n’est pas encore arrivée et seul le Dr Edmund Veesenmayer (1904-1977) représente sur place les autorités du Reich. La révolution qui commence ne pourrait avoir lieu sans un vaste consensus : à cette date, l’Oustacha ne peut, en effet, mobiliser, au mieux, que 4.000 à 5.000 militants assermentés et armés, ce qui serait tout à fait insuffisant en cas de résistance yougoslave. En réalité, le colonel Kvaternik sait pouvoir compter sur la Garde Civique et la Garde Rurale dont les chefs — Zvonko Kovačević, Đuka Kemfelja, Milan Pribanić — disposent de 142.000 hommes bien entraînés. À cette force d’essence politique s’ajoutent encore les effectifs de la police et de la gendarmerie dont les commandants, Josip Vragović et le général Tartalja acceptent eux aussi de cautionner le coup de force. Ces gens n’ont quand même pas tous été soudoyés par la Wilhelmstrasse ! Cette conjonction de forces disparates n’est possible que parce que les chefs du Parti Paysan — V. Maček et A. Košutić — approuvent (4) ou laissent faire et que l’objectif, à savoir l’indépendance nationale, fait clairement l’unanimité. D’ailleurs, si l’on en croit le récit du consul Meily, mais également les témoignages du consul allemand Alfred Freundt et du général Kühn, la population de Zagreb ne cache pas sa joie.
    Un soulèvement général
    L’assise populaire et le caractère spontané du soulèvement croate trouvent leur confirmation dans une multitude de rébellions locales (5) qui précèdent ou suivent les événements de Zagreb. Ainsi, dès le 3 avril, le capitaine d’aviation Vladimir Kren déserte-t-il et s’envole-t-il pour Graz afin de convaincre les Allemands de ne pas bombarder les villes croates. Trois jours plus tard, le colonel Zdenko Gorjup et d’autres pilotes croates se mutinent sur un aérodrome de Macédoine. Le 7 avril, des patriotes s’emparent de Čakovec où le pharmacien Teodor Košak proclame l’indépendance de la Croatie. Le même jour, des soldats se mutinent à Đakovac puis à Veliki Grđevac et à Bjelovar où les nationalistes (le Dr Julije Makanec, le député Franjo Hegeduš et le sergent Ivan Čvek) prennent le pouvoir (6). Des accrochages opposent soldats croates et serbes à Đakovo mais aussi à Vaganj où l’officier croate Milan Luetić est tué lors d’un affrontement. Le 10 avril même, le capitaine Želimir Milić et l’équipage d’un torpilleur se révoltent à Šibenik, tandis que la ville est prise en main par le Dr Ante Nikšić. À Crikvenica, le major Petar Milutin Kvaternik s’insurge contre le commandement serbe de la garnison (ce qui lui coûtera la vie), tandis qu’à Split, le capitaine Righi et le lieutenant-colonel Josip Bojić chassent les dernières autorités yougoslaves. En Bosnie et en Herzégovine, le soulèvement s’étend également. À Doboj, des patriotes se battent contre une vingtaine de blindés yougoslaves à Mostar, la population se soulève derrière Stjepan Barbarić et Ahmed Hadžić tandis qu’à Livno, le Frère Srećko Perić prend la tête de l’insurrection. Affirmer, comme on l’a longtemps fait, que tous ces mouvements avaient pour seule origine de sombres complots ourdis par l’étranger est pour le moins simpliste, voire carrément malhonnête. Comme l’écrira plus tard le Dr Georges Desbons :
    « Il était naturel qu’en 1941, les Croates refusent de se battre sous l’influence de la Yougoslavie, devenue une formation serbe à l’exclusif profit des Serbes (…) Il était logique, la force militaire yougoslave s’effondrant, que les Croates se saisissent de cette occasion unique de proclamer leur indépendance. La logique cadrait avec l’impératif national » (7).
    Beaucoup d’adversaires de l’émancipation nationale croate persistent envers et contre tout à tenir l’État Indépendant Croate pour une simple création artificielle de l’Axe et le 10 avril pour un vulgaire putsch dépourvu de racines populaires. Nous venons de voir que la proclamation de l’indépendance semble pourtant avoir recueilli l’assentiment d’une majorité de la population et bénéficié du soutien actif de très nombreux citoyens qui ne pouvaient tous appartenir aux services secrets allemands et italiens… Il n’est peut-être pas inutile de rappeler en outre que la création d’un État croate n’entrait pas vraiment dans les plans de l’Axe. Dans une concluante étude, publiée il y a un quart de siècle (8), le professeur K. Katalinić a bien montré que le IIIe Reich s’était toujours déclaré favorable au maintien de la Yougoslavie : tant l’envoyé spécial allemand Viktor von Heeren (décoré de l’Ordre de Saint-Sava en 1937) que le secrétaire général aux affaires étrangères Ernst von Weizsäcker ne cachaient pas leur volonté de préserver le Royaume Yougoslave. Au moment de la guerre (qui n’éclate qu’en raison des manigances britanniques à Belgrade et dont l’objectif principal est le contrôle de la Grèce), le Führer lui-même commence par envisager de placer la Croatie sous tutelle hongroise (6 avril 1941), puis il prévoit de confier la Dalmatie, la Bosnie et l’Herzégovine aux Italiens, avant de préciser (dans ses Instructions provisoires du 12 avril 1941) que l’Allemagne ne s’immiscera pas dans les affaires intérieures de la Croatie. Du côté italien, le régime fasciste ne cachait pas son appétence pour la Dalmatie et quant à la cause croate, elle avait définitivement cessé de plaire après la signature (1937), avec Milan Stojadinović, d’un avantageux traité. Dans ces conditions, affirmer que l’État Indépendant Croate fut une « création » de l’Axe est abusif : la révolution d’avril a éclaté parce que la patience du peuple croate était à bout et que l’opportunité de s’affranchir se présentait. Le mouvement était spontané et les occupants, placés devant le fait accompli, n’ont fait que le tolérer.
    Une monarchie très critiquée
    Les détracteurs de l’État Indépendant Croate font généralement mine d’ignorer ce que pouvait être l’exaspération des Croates en 1941. À les en croire, rien ne laissait présager que les Croates souhaitaient se séparer de la Yougoslavie, ce qui prouverait bien, selon eux, que le 10 avril ne fut qu’un grossier subterfuge des Allemands et l’État de Pavelić une imposture. Il y a là, bien sûr, une immense hypocrisie car les problèmes de la Yougoslavie étaient depuis longtemps connus de tous, ainsi d’ailleurs que les revendications des Croates. En France, par exemple, l’encre du Traité de Saint-Germain est à peine sèche que certains journalistes commencent à dénoncer, à l’instar de Charles Rivet du Temps, le panserbisme agressif des dirigeants du Royaume des Serbes, Croates et Slovènes. À l’époque, toutefois, ce genre de critique ne rencontre que peu d’écho. Bien que le roi Alexandre s’affranchisse allègrement de son serment de servir la démocratie, les gouvernants occidentaux persistent à témoigner à son égard d’une grande mansuétude (9). La haute administration est très serbophile : en l920, raconte Paul Garde, l’ambassadeur Jacques de Fontenay s’inquiète de la prochaine sortie de prison de Stjepan Radić, et quant à son confrère Émile-Laurent Dard, il souhaite carrément « que la dictature subsiste » (10)… Petit à petit, cependant, sous l’influence des memoranda de l’émigration croate et des campagnes d’information du Parti Paysan, l’image du royaume se ternit sensiblement. En 1928 survient l’assassinat, en plein Parlement, de Stjepan Radić, Pavao Radić et Đuro Basariček, et cette fois, le masque tombe. L’attentat de la Skupština révèle au monde entier la violence de l’antagonisme opposant Serbes et Croates. « Le tragique décès de Stjepan Radić — commente The Economist (18 août 1928) — place dorénavant les Croates et les Serbes dans deux camps hostiles et irréconciliables ».
    Loin de ramener le régime à la raison, cette tragédie conduit, quelques mois plus tard, le souverain à instaurer officiellement la dictature, ce qui attise encore un peu plus les passions. Désormais, nombreux sont ceux qui s’alarment publiquement de la dérive franchement totalitaire du Royaume Yougoslave. Les principaux dirigeants politiques croates — Vladko Maček, Ante Trumbić, Juraj Krnjević, Ljudevit Kežman, August Košutić et Ante Pavelić — multiplient les démarches auprès des capitales européennes où leurs doléances trouvent maintenant des oreilles plus attentives. Profondément choquée par le carcan de fer que le roi Alexandre impose à son pays (11), la presse internationale ne cache plus ses réserves. Les blâmes émanent des plus grandes plumes et même de vieux amis comme R.W. Seton-Watson et Wickham Steed. « Si la Yougoslavie opte définitivement pour l’autocratie militaire et royale », écrit le premier, « elle se privera de l’aide des puissances occidentales car celles-ci estiment qu’il est contraire à l’intérêt général de maintenir en Europe de l’Est un gouvernement despotique ». « Les méthodes de torture auxquelles recourt la police yougoslave — proteste le second — rappellent les pires moments de la tyrannie turque » (12). Le 16 janvier 1931, c’est au tour de John Gunther, le correspondant en Europe du Chicago Daily News, de dénoncer le pillage économique auquel le régime yougoslave soumet la Croatie mais également les discriminations dont souffrent les Croates dans l’armée et la fonction publique, sans oublier les méthodes très cruelles de la police royale (13). 1931, c’est aussi l’année où le savant croate Milan Šufflay tombe sous les coups d’une équipe de nervis mandatés par le pouvoir. Trois ans à peine après l’assassinat de Radić, le scandale est énorme. Il suscite aussitôt la réaction indignée d’Albert Einstein et de Heinrich Mann qui en appellent à la Ligue Internationale des Droits de l’Homme. Leur lettre, qui met directement en cause les autorités yougoslaves, paraît le 6 mai 1931 à la une du New York Times.
    L’opprobre international
    DesbonsDans les années 30, les gouvernements occidentaux, français et britannique en particulier, ont beau s’accrocher bec et ongles au vieux mythe de la Yougoslavie dynamique, forte et unie, celui-ci ne trompe plus grand monde. Au Royaume-Uni, 17 députés signent, en 1932, un manifeste dénonçant les discriminations qui frappent les populations non-serbes de Yougoslavie (14), tandis que le célèbre chroniqueur Herbert Vivian s’indigne, dans les pages de l’English Review, de la répression sauvage qui sévit dans ce pays (15). De cette violence, l’ancien parlementaire Ante Pavelić dresse pour sa part un tableau sans concession dans une petite brochure (16) qu’il édite en 4 langues (croate, allemand, français, espagnol) et diffuse dans toute l’Europe. Les abus et les exactions que couvre ou ordonne le pouvoir yougoslave lui aliène de plus en plus de monde. Aux États-Unis, le président du Comité International pour la Défense des Détenus Politiques, Roger Nash Baldwin, proteste solennellement auprès de l’ambassade yougoslave (24 nov. 1933) contre les tortures infligées aux prisonniers croates et macédoniens ; sa lettre est contresignée par les écrivains Theodore Dreiser, John Dos Passos, Upton Sinclair et Erskine Caldwell. En France, le député démocrate-chrétien Ernest Pezet, qui fut un chaud partisan de l’unité yougoslave, publie La Yougoslavie en péril (Paris, Bloud et Gay, 1933) où il dresse un bilan sévère du régime d’Alexandre : « La Yougoslavie — reconnaît-il, déçu — n’est qu’une appellation trompeuse destinée à masquer, aux yeux de l’étranger, une pan-Serbie impérieuse et dominatrice » (p. 256). Dans La dictature du roi Alexandre (Paris, Bossuet, 1933), l’ancien ministre (serbe) Svetozar Pribičević fait le même constat. De retour d’une mission d’information en Yougoslavie (juin 1933), les sénateurs Frédéric Eccard, Guy de Wendel et Marcel Koch se déclarent eux aussi très inquiets de l’évolution négative du royaume (17), un sentiment que partage entièrement Robert Schuman qui visite Zagreb en août 1934. Le député catholique et futur ‘Père de l’Europe’ est scandalisé par le sort particulièrement injuste réservé aux Croates. « Il est impossible — écrit-il à Louis Barthou — d’ignorer plus longtemps cette situation malsaine (…) il faut le retour à un régime constitutionnel de liberté et de fédéralisme, respectant l’individualité de toutes les nations composant cet État » (18). Un peu avant le voyage de R. Schuman, le journaliste Henri Pozzi a lui aussi publié un portrait sans fard de la Yougoslavie. Dans ce pamphlet qui s’intitule La guerre revient (Paris, Paul Berger, 1933), il énumère les crimes de la dictature yougoslave et rapporte au passage ce propos prémonitoire d’Ante Trumbić : « … en aucun cas, même en cas de guerre étrangère, l’opposition croate ne consentira à donner son appui politique, son appui moral, au gouvernement actuel de la Yougoslavie, à lui accorder son blanc-seing » (p.40)…
    En 1934, le conflit intra-yougoslave atteint un sommet avec l’exécution, le 9 octobre, à Marseille, du roi Alexandre Ier. Perpétré par un Macédonien et organisé par des Croates, cet attentat a un retentissement mondial mais à l’intérieur du royaume, il ne change pas grand- chose. Comme en attestent les affaires de Sibinj et Brod (19), la répression ne faiblit pas et la presse internationale, un instant émue par le régicide, renoue vite avec la critique virulente du régime. « La pire terreur règne en Yougoslavie », affirme ainsi le quotidien parisien L’Œuvre (16 juin 1935), avant d’ajouter que « ces persécutions des populations non-serbes, catholiques pour la plupart, méritent non seulement d’être dénoncées, mais nécessitent l’intervention des peuples civilisés » (20). En 1936, les méthodes moyenâgeuses de la police yougoslave et l’insalubrité légendaire de ses cachots suscitent l’indignation du romancier et futur Prix Nobel français André Gide. Publié (le 7 février) dans les pages de Vendredi, l’ « hebdomadaire du Front Populaire », son article précède de quelques semaines à peine la mort à Srijemska Mitrovica du nationaliste Stjepan Javor ! Les années qui suivent et qui précèdent immédiatement la Deuxième Guerre mondiale demeurent elles aussi marquées d’une vive tension : ici, les gendarmes abattent sans raison 7 jeunes gens (le 9 mai 1937 à Senj) et là, on manipule le résultat des élections ou l’on suspend arbitrairement un journal d’opposition. Le contentieux croato-serbe paraît vraiment insurmontable et le 15 janvier 1939, les députés croates menacent même d’appeler le peuple à prendre les armes au cas où l’on persisterait à lui dénier son droit à l’autodétermination.
    Une révolution démocratique
    On aura compris, à la lecture de ce bref rappel, qu’il est tout à fait malhonnête, comme nous l’avons dit plus haut, d’affirmer que la sédition croate de 1941 ne fut que le fruit d’une machination hitléro-fasciste. En fait, après 23 ans d’absolutisme, l’exaspération du peuple croate était à son comble et tout le monde le savait. Le soulèvement des Croates était inéluctable et l’attaque allemande n’en fut que le détonateur. Le gardien de « la prison des peuples » étant en difficulté, l’occasion était propice et les patriotes l’ont opportunément saisie. Dans son prologue, la Déclaration d’Indépendance des États-Unis du 4 juillet 1776 énonce que les hommes sont dotés de certains droits inaliénables dont la vie, la liberté et la recherche du bonheur. « Les gouvernements — ajoute le texte — sont établis par les hommes pour garantir ces droits et leur juste pouvoir émane du consentement des gouvernés. Toutes les fois qu’une forme de gouvernement devient destructive de ces buts, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir ». En France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 24 juin 1793 précise dans son article XXXV que « quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple, et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». En 1941, les Croates n’ont fait qu’appliquer ces vieux principes et en ce sens, la révolution d’avril fut tout ce qu’il y a de plus démocratique.
     Christophe DolbeauTabou n°18,, 2011.
    ◊ Notes :
    (1) Curieusement, dans son rapport à Berlin, le Dr Veesenmayer situe l’intervention du colonel Kvaternik à 17h 45 – cf. J. Tomasevich, War and Revolution in Yugoslavia, 1941-1945, Stanford, Stanford University Press, 2001, p.54.
    (2) Surnom donné aux membres du Parti du Droit Croate, héritiers de la pensée de Josip Frank (1844-1911).
    (3) Voir I. Omrčanin, The Pro Allied Putsch in Croatia in 1944 and the Massacre of Croatians by Tito Communists in 1945, Philadelphie, Dorrance and Co, 1975, pp.103-107.
    (4) Au sein du Parti Paysan, les députés Janko Tortić et Marko Lamešić ont mis en place une structure clandestine baptisée Organizacija za oslobođenje i borbu (OZOIB).
    (5) Cf. I. J. de Mihalovich-Korvin, Istina o Nezavisnoj Državi Hrvatskoj, Buenos Aires, Croacia y los Croatas, 1991, p.12-13.
    (6) Voir Z. Dizdar, « Bjelovarski ustanak od 7. do 10. Travnja 1941 », Časopis za suvremenu povijest, n°3 (2007), 581-609.
    (7) G. Desbons, « Rapport France-Croatie », Balkania, vol. I, n°1 (janvier 1967), p.24.
    (8) K. Katalinić, « Proclamación de la independencia croata a la luz de los documentos internacionales », Studia Croatica, vol. 2, n°105 (avril-juin 1987), 102-130.
    (9) Voir F. Grumel-Jacquignon, La Yougoslavie dans la stratégie française de l’entre-deux-guerres, aux origines du mythe serbe en France, Berne, Peter Lang, 1999.
    (10) Cf. P. Garde, « La France et les Balkans au XXe siècle », Contrepoints du 16.11.2000.
    (11) Voir Christian Axboe Nielsen, « Policing Yugoslavism : Surveillance, Denunciations, and Ideology during King Alexandar’s Dictatorship, 1929-1934 », East European Politics and Societies, vol. 23, N°1 (February 2009).
    (12) Cf. S. Hefer, Croatian Struggle for Freedom and Statehood, Buenos Aires, Croatian Liberation Movement, 1979, p. 77.
    (13) Ibid, pp. 78-80.
    (14) Cf. M. Gjidara, « Cadres juridiques et règles applicables aux problèmes européens de minorités », Annuaire Français de Droit International, 1991, vol. 37, p. 356.
    (15) Cf. S. Hefer, op. cité, p. 60-61.
    (16) Voir Ekonomska obnova podunavskih zemalja. Razoružanje Beograd i Hrvatska, Vienne, Grič, 1932 (rééd. : Domovina, Madrid 1999).
    (17) Cf. Gergely Fejérdy, « Les visites de Robert Schuman dans le bassin du Danube », in : Robert Schuman et les pères de l’Europe (dir. S. Schirmann), Bruxelles, Peter Lang, 2008, p. 77.
    (18) Ibid, p. 80. Voir également M. Grmek, M. Gjidara, N. Šimac, Le nettoyage ethnique, Fayard, 1993, pp. 146-149.
    (19) Le 19 février 1935, la gendarmerie yougoslave tue 8 paysans croates à Sibinj et le lendemain, 20 février 1935, six autres à Brod.
    (20) Cf. M. Gjidara, op. cité, p. 356.

  • A peine nommé,le nouveau conseiller de Hollande est déjà dans l’embarras

    Décidément Hollande n’a pas de chance avec ses conseillers. Après le départ d’Aquilino Morelle, François Hollande a nommé Gaspard Gantzer à la tête du service de communication de l’Elysée. Certains internautes ont déniché des photos compromettantes de soirée sur son profil Facebook. On le voit notamment avec une cigarette roulée à la main que certains ont assimilé à un joint. Le nouveau conseiller aurait mieux fait de faire le nettoyage sur profil Facebook ou de réduire les permissions.

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  • La France a-t-elle encouragé les djihadistes français à aller en Syrie ?

     

    Alain Marsaud, ancien juge antiterroriste, actuel député UMP des Français de l'étranger et président du groupe de travail sur la Syrie à l’Assemblée nationale,a déclaré sur RFI que les djihadistes français qui combattent actuellement en Syrie sont les alliés de la diplomatie française.

    Il estime que le Quai d'Orsay a encouragé ces djihadistes à aller combattre Assad et s'inquiète même de découvrir des opérations de manipulation du gouvernement français pour permettre leur départ en Syrie.

    Michel Janva

     

  • La route des Varègues aux Grecs : à l’origine du tropisme russe pour les mers chaudes

    Ex: http://www.alliancegeostrategique.org

    En l’an 862, et sur les berges de l’Ilmen, Rurik vient de gagner un territoire qu’il pressentait sans limites, et dont Holmgard, l’inexpugnable forteresse le toisant derrière le rideau brumeux, serait le premier jalon. C’est ainsi que débute vraiment la longue route vers le sud, dite des varègues aux grecs, d’une longueur totale de près de 1700 kilomètres des rives de la Baltique jusqu’à l’embouchure du Dniepr.

    C’est à partir de Novgorod, implantation varègue à proximité d’un village slave que l’axe nord-sud va prendre progressivement tout son sens. Car ce choix relevait de tout sauf du hasard puisque la forteresse permettait un déploiement, un contrôle et un ravitaillement se situant au tout début de cette fameuse route (trajet en violet sur la carte). Un axe commercial nord-sud à la fois fluvial et terrestre particulièrement lucratif pour ce peuple de marchands qu’étaient ces scandinaves venus de l’actuelle Suède et dont les qualités guerrières étaient appréciées à leur juste valeur jusqu’à la cour de l’Empereur Byzantin : ce dernier fut souvent fort ravi de disposer de sa garde varangienne, une unité de choc et d’élite qu’eurent à craindre les adversaires de l’Empire romain d’Orient pendant près de deux cents ans jusqu’à leur dissolution par les nouveaux maîtres croisés de Constantinople en 1204. Pour en revenir à cet axe, ce cheminement et la sécurisation de cette voie fut aussi à l’origine de la prise de Kiev par Oleg, fils de Rurik en 882.

    À ce titre, cette progression vers le sud ne se fit pas sans difficultés. Cette expansion territoriale ne pouvait que tôt ou tard heurter les intérêts de peuples disposant de structures déjà bien établies tels l’Empire byzantin ou encore l’Empire khazar, bordant la Mer Noire et bénéficiant d’un rayonnement civilisationnel très étendu. Enfin et tout naturellement, des complications logistiques inhérentes à la topologie du terrain puisqu’un coup d’oeil attentif au tracé fait clairement surgir l’absence de voie d’eau directe entre le Nord et le Sud. La réponse est simple : lorsqu’il n’était plus possible de remonter le cours d’eau, les hardis guerriers-commerçants transportèrent leurs navires jusqu’à un autre afin de poursuivre leur chemin.

    De la sorte, ils arrivèrent à proximité de la zone d’influence byzantine, et plus particulièrement des avant-postes de Kherson et Theodosia, villes grecques de Crimée. Pour mieux en découdre… Singularité de ces affrontements avec les héritiers de l’Empire romain qui mèneront les rus’ jusqu’aux portes de Constantinople : les combats se solderont très souvent par des traités… commerciaux [1]. Le premier affrontement entre les deux puissances semblerait avoir eu lieu extrêmement tôt : en 860. Laquelle « rencontre » semble avoir été un raid rondement mené avec butins et prisonniers pendant que la majeure partie des forces de la capitale guerroyait en Asie mineure.

    Pour leur part, les khazars, peuple semi-nomade turcophone de religion juive, s’opposèrent avec moins de succès à la poussée des rus’. Les richesses de leurs cités ne manquaient pas d’attiser l’intérêt des souverains du nord. Jusqu’à Sviatoslav qui harassa cet Empire qui s’étendait de la Mer Noire à la Mer Caspienne jusqu’à prendre Sarkel en 965 puis Ittil en 968, clôturant de fait l’existence indépendante d’un gigantesque territoire.

    La victoire et l’emprise sur la Mer Noire n’étaient pourtant pas acquises : la fortune de la guerre en décidèrent autrement. Les conflits envers les pétchénègues et les byzantins les siècles suivants aboutirent à ce que le territoire ne fut jamais sérieusement considéré comme terre Rus’ permanente même si les revendications perduraient.

    Une situation fragile qui perdura jusqu’à l’arrivée de la Horde tataro-mongole qui disloqua la Rus’ de Kiev (assauts de 1223 puis de 1237) et l’assujettit à son joug pendant près de trois cents années. Tout ce qui avait été âprement disputé pendant des siècles appartenait désormais au grand Khan. Et même si la Moscovie prit le relais de la Rus’ de Kiev à partir du XVème siècle, elle vit se dresser devant ses ambitions de reconquête les puissants descendants de cette invasion regroupés autour du Khanat de Crimée sans réussir à reprendre pied sur les bords de cette mer intérieure. Furent décisives l’ouverture vers le monde extérieur (et les technologies utiles) et la pugnacité de plusieurs souverains russes pour revenir enfin sur ces berges.

    Pour ce faire, tant Pierre le Grand qu’Anne Ière et pour finir Catherine II emploieront au XVIIIème siècle l’ensemble des moyens humains, financiers et militaires à leur disposition pour reprendre pied sur les bords de la Mer Noire, avec des fortunes diverses mais toujours selon la même abnégation. Ils n’ont fait en cela que reprendre une marche inexorable des russes vers le sud commencée des siècles auparavant.

    Et cet attrait peut encore se comprendre dans les années 2010 même s’il est désormais plus militaire que commercial. Ainsi le point d’appui naval de Tartous en Syrie (en cours de modernisation) ne manqua pas de peser sur la décision ferme du Kremlin d’empêcher toute intervention occidentale dans le pays en proie à la guerre civile. Cet exemple appuie davantage le fait que de disposer d’une flotte opérationnelle en Méditerranée demeure un objectif stratégique pour les autorités. Et si la Russie entend aussi peser sur les décisions qui se jouent dans la zone Pacifique, la Mer Noire comme tremplin vers la Méditerranée reste à la fois un symbole fort de l’imaginaire russe mais aussi une nécessité pour prendre part aux décisions géopolitiques en Europe et au Proche Orient. Quant à la Crimée, tout observateur se penchant sur une carte acquiescera au fait que celle-ci est le promontoire idéal des ambitions russes dans la région.

    Yannick Harrel[1] Le dit de la campagne d’Igor, long poème épique exhumé à la fin du XVIIIème siècle relate notamment l’une de ces campagnes par le souverain de Kiev, Igor (1ère moitié du Xème siècle). Par la suite, et comprenant tout l’intérêt de bénéficier de telles lames, les Empereurs byzantins s’efforceront à s’entourer de mercenaires varègues jusqu’au tout début du XIIIème siècle : ces derniers devenant de plus en plus essentiels quant aux affaires étatiques non seulement en tant que troupe d’élite parfois même décisive sur le champ de bataille (bataille de Beroia en 1122) mais aussi comme garde personnelle. L’un des épisodes de la saga d’un Harald III Hardrada, mercenaire et roi de Norvège étant particulièrement éclairant quant à cet aspect de la vie byzantine.

    Yannick Harrel

    Pour approfondir le sujet :

    Arrignon Jean-Pierre, La Russie médiévale, Éditions Belles Lettres, 2003

    Vodoff Vladimir (sous la dir.), Histoire des slaves orientaux – des origines à 1689, Éditions CNRS, 2001

    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2014/04/20/la-route-des-varegues-aux-grecs.html

  • Une télé allemande conteste la version officielle de la tuerie de Maïdan

    Le réseau de chaînes publiques régionales allemande ARD a enquêté sur le carnage de la place Maïdan, à Kiev, le jeudi 20 février : 30 personnes ont été tuées par balles ce jour-là. Or, selon ARD, des tirs semblaient venir non pas des snipers du pouvoir prorusse, mais de l’hôtel Ukraina où se trouvait le QG de l’opposition.

    Sans attendre les résultats de l’enquête sur l’événement, le nouveau procureur général d’Ukraine, Oleg Makhnitski, membre de Svoboda, parti issu du néonazisme qui participe à la coalition gouvernementale, avait affirmé que ce massacre avait été commis par des membres de l’unité spéciale des Berkout, placée sous l’autorité de Viktor Ianoukovitch, qui était alors le Président.

    Mais plusieurs éléments soulèvent selon ARD des doutes extrêmement sérieux : [...]

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  • Familles : métamorphoses

    Le débat sur la famille n’est pas prêt de s’apaiser. Le gouvernement socialiste a en effet besoin de donner des gages à sa gauche – et de promouvoir des lois sociétales que la droite ne contestera pas vraiment, ancrant l’idée d’un Manuel Valls rassembleur.

    Le projet de loi APIE (autorité parentale et intérêt de l’enfant), dont le rapporteur est la députée PS Marie-Anne Chapdelaine, prévoit un mandat d’éducation quotidienne, contrat entre l(es) enfant(s), les parents et les beaux-parents ; nous disons “contrat” car le document doit être signé, joli symbole de l’artificialité de la chose, de la judiciarisation de notre société et de l’intrusion de l’État dans la sphère privée. Le projet promet de clarifier la distinction entre décisions usuelles et actes importants, ce qui nous promet surtout soit un texte impossible à mettre en œuvre, soit une “importance” vidée de sa substance. APIE prévoit aussi la double résidence, dans un esprit égalitaire : « Il s’agit de remplacer les termes de “résidence principale” et “droit de visite”, pour que la résidence soit, au regard de la loi, établie à égalité chez les deux parents », explique le député PS Erwann Binet (déjà rapporteur partisan de la loi Taubira).

    Il y a déjà là matière à sombres réflexions, surtout en considérant la médiation sociale obligatoire à chaque séparation ultérieure des couples… Mais avec le rapport Théry, salué comme il se doit par Erwann Binet (« la société et les familles n’ont jamais attendu le droit pour avancer, pour évoluer, pour s’interroger. Merci infiniment à votre rapport, à votre considérable travail de nous inviter à nous interroger. », intervention lors de la présentation du rapport à l’EHESS, le 9 avril), toutes les inquiétudes sont permises et la nomination de la députée PS Rossignol, idéologue féministe (« Dans les cerveaux de ceux qui ne veulent pas que les enfants voient #tomboy, je vois des choses très laides et pas claires. », tweet du 19 février 2014), comme Secrétaire d’État à la famille devient une préoccupation secondaire.

    Le rapport Théry défend en effet la transparence totale des origines, moins pour valoriser la procréation naturelle par rapport à l’adoption, la PMA et la GPA que pour instituer une filiation purement sociale : la sociologue ne veut plus singer la nature mais affirmer que le lien biologique n’est rien par rapport au lien social. Il défend bien sûr aussi, et logiquement, l’homoparentalité et la pluriparentalité, le lien social se reconfigurant au fur et à mesure des évolutions de la cellule familiale.

    Cette obsession sociale, transparente et égalitaire est loin d’être un apaisement, comme le proclame à l’envi Irène Théry et les fervents de son rapport. Ainsi que l’a souligné Thibaud Collin le 19 novembre 2013, lors de son audition par le groupe de travail ayant produit le rapport (cf. libertepolitique.com), si l’on se “libère” de la différence des sexes pour penser la parenté, pourquoi s’arrêter au couple ? Dans sa folie démiurgique, le législateur ne veut considérer que le seul pouvoir de la loi pour instituer le lien, et les seules égalité et liberté des individu comme référent. Mais quelle stabilité promet-il, ou plutôt quelle instabilité n’institue-t-il pas ? Thibaud Collin conclue : « Bref, il me paraît urgent de ne pas aller plus loin dans la décomposition des liens unissant les adultes et les enfants dans notre société. »

    Le rapport Théry, lui, conclue que « L’ouverture de la famille à l’autre, l’étranger, le différent, n’est plus vue aujourd’hui seulement ou principalement comme un risque pour l’intégrité du groupe, mais aussi comme une chance pour les individus. Une chance de changer, d’ouvrir son futur vers des possibilités inconnues ; une chance aussi de se poser, de s’intégrer, de donner à l’insoutenable légèreté d’un présent sans attaches, le lest de nouveaux enracinements. » S’inventer en permanence, voilà le futur inquiétant et forcément aliénant que nous promettent les apprentis sorciers de la famille.

    Philippe Mesnard - L’AF 2884

    « Un point important pour Yagg » «  […] un point important pour Yagg, je crois, est de souligner que ce rapport est le premier dans lequel toutes les préconisations, je dis bien toutes, qu’il s’agisse de l’état civil, de l’adoption, de la PMA, de la GPA, de l’accès aux origines ou des beaux-parents, s’adressent aussi bien aux familles homoparentales qu’aux familles hétéroparentales. En d’autres termes, nous avons traité les familles homoparentales comme des familles “comme les autres”. Cela va de soi pour vous, mais pour le droit français, si nous étions suivis ce serait un très grand pas en avant. » Irène Théry, auteur du rapport « Filiation, origines, parentalité : le droit face aux nouvelles valeurs de responsabilité générationnelle », dans un entretien accordé à Yagg.com, publié le 8 avril. Elle ajoute : « J’attends de la majorité de gauche qu’elle pacifie ce débat en s’attaquant aux vrais problèmes […] au lieu de laisser les réactionnaires attaquer les homosexuels en les traitant comme des boucs émissaires, comme on le voit (et le subit) depuis un an et demi maintenant.  »