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  • La vérité, rien que la vérité et toute la vérité.

    « Seule la vérité est révolutionnaire » proclama Antonio Gramsci, alors en rivalité avec Bordiga pour la constitution d’une force révolutionnaire authentique. Cette maxime est depuis abondamment citée (souvent à tort et à travers).

    Enrichie par les œuvres dystopiques de Georges Orwell, d’Aldous Huxley ou de Ray Bradbury, la question de la vérité est au centre des préoccupations de tous ceux qui cherchent à constituer un monde plus juste. Elle est en tout cas un principe avec lequel nous ne pouvons pas transiger.

    Or, trop nombreux sont ceux qui sacrifient ce principe pour servir leur soupe, y compris dans nos rangs.

    Le rôle de la technique accroît ce phénomène, la moindre rumeur est amplifiée par les réseaux dits « sociaux ». Ainsi tel que j’écrivais dans un article précédent : « Cette intox est emblématique de la façon dont circule l’info aujourd’hui, y compris chez les "dissidents" et dans la "réinfosphère" : une rumeur, un propos mal interprété et la viralité du web fait le reste. Ajoutez à cela l’incompétence journalistique, le besoin de buzzer, la capacité pour les uns et les autres de voir le monde comme ils aimeraient qu’il soit et non comme il est, et vous avez tous les ingrédients des « hoax », des « fake » et autres intox en tout genre. Cet avertissement doit conduire à une règle d’or : pas de commentaires à l’emporte pièce sur des faits non établis. »

    Nous pouvons reprendre cela point par point :

    L’être humain des sociétés dites « développées » est sans arrêt abreuvé d’informations s'il ne se coupe pas un tant soit peu des moyens de communication. Plus rien – ou presque – ne peut préserver quiconque de l’information. Le simple fait d’aller consulter vos mails peut vous conduire par exemple à devoir passer par une page d’accueil bourrée d’infos (et de pubs). En parallèle de cette assaut informatif, la capacité critique des individus à tendance à s'amoindrir. En effet pour pouvoir faire le tri dans cette information pléthorique sur un nombre de sujets incalculable (on passe en 10 minutes d’un crash d’avions, des terroristes du Sahel à Mme Michu qui bronze à Palavas-les-flots ou aux résultats sportifs) on convoque une armada de spécialistes qui sont là pour nous aider à y voir plus clair. On ne sait pas sur quels critères sont choisis ses spécialistes, mais ce sont eux qui font l’opinion, avec les différents journalistes qui véhiculent l’information. Ainsi tout le monde a accès à une information formatée, sans capacité de contradiction, le spécialiste étant l’autorité morale. Tout le monde connaît l’expérience de Milgram où les individus sont capables d’infliger des chocs électriques mortels parce que le scientifique leur a commandé de le faire. On a souvent tendance à y voir la « docilité » des individus face aux ordres. Mais on a tendance à oublier que cette « docilité » n’est due qu’à la confiance placée dans le spécialiste. Ainsi l’acceptation de l’information (ou son rejet) ne vient que de la confiance qu’on place dans le spécialiste, dans le journaliste, dans celui qui s’exprime.

    C’est ainsi que va naître la « réinfosphère ». Convaincus que spécialistes et journalistes sont « vendus au système », ou sont des « charlatans », un grand nombre d’individus n’accordent plus leur confiance aux médias dominants. Leur démarche s’assortit d’une volonté de « dire la vérité ». 1984 d’Orwell ou leMeilleur des Mondes d’Aldous Huxley sont convoqués, nous vivons dans un monde du mensonge, les médias nous mentent, d’où la belle expression de Michel Collon sur les « médiamensonges ». Aidées par les « nouvelles technologies de l’information et de la communication », ces informations alternatives, dissidentes, différentes sont là pour réinformer et « rétablir la vérité ». Mais on omet une chose, comme l’a écrit Friedrich Nietzsche, « Il faut toujours choisir soigneusement ses ennemis parce qu’on finit par leur ressembler ». Cette citation est-elle en train de devenir une réalité dans notre mouvance ?

    En effet, pour faire contre-feu à l’écrasante domination, incontestable, des médias classiques dits « officiels », la « réinfosphère » s’arme elle aussi de ses spécialistes, de ses journalistes dissidents et de toutes ces personnes qui prétendent proclamer la « vérité vraie ». La masse de tout ceux qui ont pris conscience que le système ment, accorde donc une confiance absolue à cette « réinfosphère » avec le même panurgisme que tous les « mougeons »* qui s’informent dans les groupes de presse dirigés par Bouygues, Rothschild ou Dassaut. Or, il arrive que la « réinfosphère » soit elle-même à côté de la plaque ou travestisse la réalité. Elle finit par ressembler à son ennemi. Que ce soit dans la diffusion de l'information "à chaud" ou dans l'étalement d'approximations historiques pour ne citer que quelques exemples. 

    Au risque de recevoir les foudres de certains, le conflit en Ukraine est en train par exemple d’entacher très sérieusement la crédibilité de la « réinfosphère » et de rompre avec le principe de vérité et de réinformation. Le phénomène que je décris précédemment est en train de se produire : le manque de confiance accordé aux spécialistes du système conduit mécaniquement à accorder sa confiance à ceux qui portent une information alternative. Ainsi ceux qui ne croient pas les médias occidentaux boivent tout ce qui sort des médias « dissidents », des médias russes ou de la « réinfosphère pro-russe » comme du petit lait. Facebook, twitter, faisant le reste. C’est ainsi que le nombre de « hoax » ou de « fake » des pro-russes n’a strictement rien à envier à celui du camp d’en face. Mais comme le « mougeon » peut aussi être frappé du sceau de la dissidence, la simple affirmation de cette vérité conduit à être vu de façon suspecte. Quelques tours de passe-passe rhétorique et autres tartufferies suffisent à rétablir la « vérité qui nous arrange » et à condamner le poil à gratter.

    Parfois on en arrive donc à avoir le sentiment de se retrouver en 1947 avec la doctrine Jdanov qui opposerait d’un côté l’impérialisme fasciste capitaliste autour des Etats-Unis et de l’autre les résistants anti-impérialistes et démocratiques qui défendent la liberté des peuples autour de la Russie. Ainsi le gouvernement de Kiev (pour lequel je n’ai aucune sympathie) issu des élections, devient « la junte fasciste et putschiste » de Kiev alors que dans le même temps le référendum en Crimée organisé en quelques jours est un « formidable exemple de démocratie », le bataillon Azov aurait été détruit (il combat toujours), Dmytro Yarosh aurait été tué (il est toujours vivant) et on pourrait en aligner encore une bonne fournée. Une propagande répond à une autre. Le système se nourrit de ce spectacle, comme deux sportifs se renvoyant la balle.Les européens sont les pions du jeu d'échec americano-russe. Il serait pourtant tellement simple d’agir en présentant les points de vue pour ce qu’ils sont : des points de vue, avec toute l'importance que cela peut avoir dans la façon dont chaque partie se représente le monde, les situations ou les objets. Mais il faut éviter de tomber dans le Spectacle prétendument réinformateur confinant parfois au débilo-complotisme.

    Pour notre part, nous considérons que les Russes ont raison quand ils ont raison et qu’ils ont tort quand ils ont tort (oui je sais, c’est osé quand même…). Nous n’avons pas de gourou, mais des principes. Nous sommes d’abord attachés à la vérité, rien que la vérité et toute la vérité. C'est entre autre pour cela que nous n'avons fait par exemple aucun commentaire à propos du crash de la Malaysian Airlines, puisqu'il est à l'heure actuelle impossible d'y voir clair.

    Pour être crédible il faut une déontologie et éviter le plus possible de ressembler à l’ennemi : on ne peut pas répondre au mensonge par le mensonge et au manichéisme par le manichéisme. Il faut imposer une autre voie, donner du sens à nos contemporains, déprogrammer le logiciel de la matrice pour le reprogrammer avec le notre. C’est par exemple tout le travail qu’a entrepris Méridien Zéro, loin de l’agitation ambiante, c’est aussi entre autre pour cela que nous avons un phare comme symbole : le phare éclaire en demeurant immuable, insensible au vent ou aux tempêtes...

    * mougeon: néologisme humoristique signifiant "moitié mouton, moitié pigeon".

    Jean/C.N.C

    http://cerclenonconforme.hautetfort.com/archive/2014/08/06/la-verite-rien-que-la-verite-et-toute-la-verite-5424062.html

  • Quand le secrétaire général de l'ONU outrepasse ses prérogatives

    Le "Friday fax" de C-FAM constate qu'une fois de plus, en matière d'IVG, le secrétaire général de l'ONU teste ses pouvoirs et tente d'élargir son influence. En effet, prenant prétexte des viols au cours des conflits partout dans le monde et notamment en Afrique, il essaie d'obtenir des Etats membres une extension du "droit" à l'IVG, alors que ce problème est depuis toujours laissé à l'appréciation des nations, l'IVG étant un sujet que les créateurs de l'ONU n'ont jamais eu l'intention de confier aux institutions de l'ONU.

    "[...] La plupart des Etats africains, dont beaucoup ont récemment fait face à des conflits, interdisent l’IVG. Ils sont la cible de la nouvelle campagne de l’Onu. Dans ces pays vulnérables, l’Onu se doit de protéger chaque personne contre tout mal supplémentaire.Le Secrétaire général instrumentalise les situations de conflit pour promouvoir l’Ivg, et trahit par là de manière grave la confiance qui a été mise en lui. Mais cela ne durera pas longtemps."

    Il est en effet fort à parier que les Etats, africains en particulier, appréciant peu l'ingérence onusienne, et encore moins l'IVG pour beaucoup d'entre eux, mettent au pas ce secrétaire envahissant et ses prétentions totalitaires. Il n'est qu'à se rappeler le choix qu'ont fait les Etats d'Afrique d'un Ougandais pour les représenter à l'Assemblée générale de l'ONU, en riposte aux injonctions onusiennes d'assouplir en Afrique les droits des homosexuels (l'Afrique en général et l'Ouganda en particulier n'admettent pas la pratique homosexuelle et ont légiféré en conséquence). L'instrumentalisation des conflits et de leurs conséquences ne devrait pas, en toute logique, intimider les Etats concernés, et le secrétaire général devrait assez vite se voir renvoyé dans ses buts ...

    Marie Bethanie

  • Robert Steuckers : Entretien sur la "révolution conservatrice"

    Propos recueillis par Monika Berchvok

    Que recouvre le terme de "révolution conservatrice" ? Quelles sont les origines de cette école de pensée ?

    Ce terme, à mon sens, revêt une triple signification : il inclut 1) les prolégomènes de cette pensée organique et vitaliste qui se déploient dans une Allemagne et une Europe en pleine ascension, entre 1870-1880 et 1914; 2) elle est aussi une réaction, diverse en ses expressions, de l'Allemagne et de l'Europe après l'effondrement moral et physique dû à la première guerre mondiale; tout en étant un vœu de revenir à une excellence culturelle, partagée mais perdue; 3) elle est la résultante de la nietzschéanisation esthétique de la culture européenne, repérable dans tous les pays de notre sous-continent. Les origines de ce phénomène, divers et prolixe, se repèrent certes dans cette culture partagée, empreinte de nietzchéisme, mais elle a aussi des origines plus anciennes : les "autres lumières", celles qui dérivent de Herder et non pas d'un Aufklärung figé, rationaliste, qui donnera les idées de 1789 et les principes rigides de gouvernement à la jacobine; du romantisme, de la contre-révolution, de l'anti-modernité et de l'anti-bourgeoisisme français repérable dans la sociologie de Bonald ou dans les œuvres poétiques et littéraires de Baudelaire et de Balzac.

    Quels furent les courants idéologiques qui l'ont traversée ?

    Le 20ème siècle a été idéologique et notre après-guerre, depuis 1945, est marqué par les polarisations idéologiques de la Guerre Froide où l'on s'affirmait de "gauche" (communiste ou socialiste), libéral ou démocrate-chrétien. Ces distinctions ne sont pas vraiment de mise quand on observe les prolégomènes de la révolution conservatrice et ses expressions résolument anti-bourgeoises après 1918. Le socialisme d'avant 1914, dans l'espace intellectuel germanophone, est plus proche de ce nous pourrions définir comme "conservateur/révolutionnaire" que de la gauche actuelle : en effet, il est marqué par Schopenhauer et par Nietzsche plutôt que par Marx et par Engels. La rigidification idéologique des gauches est un phénomène qui date seulement des quelques petites années qui ont précédé la Grande Guerre. Après 1918, même la droite des diplomates, des entrepreneurs et des aristocrates admet un communisme pourvu qu'il soit national et permette une alliance tactique avec la nouvelle URSS, afin d'échapper au blocus que les alliés occidentaux imposent à l'Allemagne vaincue. Selon la définition de Destutt de Tracy, début du 19ème siècle, sous Napoléon, une idéologie est toujours une "construction" mentale, une "fabrication" (Joseph de Maistre) et non pas une expression de la vie,  qui, en tant que telle, échappe à toute définition figée puisqu'elle se modifie en permanence en tant qu'organisme vivant. Armin Mohler, qui a forgé le terme de "révolution conservatrice" tel qu'il nous interpelle aujourd'hui, distingue six courants idéologiques. C'est évidemment une classification universitaire. Il le savait. D'autant plus que dans la définition d'une "bonne politique" au sens de la révolution conservatrice, des hommes de gauche de la première décennie du 20ème siècle, comme le social-démocrate belgo-allemand Roberto Michels, vont critiquer le fonctionnement des démocraties partitocratiques en démontrant qu'elles se figent, se "bonzifient" et s'oligarchisent en perdant leur tonus nietzschéen, populaire et vital. Les déçus socialistes face à la dé-nietzschéanisation de la sociale démocratie allemande se retrouveront dans le camp fasciste en Italie (avec Michels) ou parmi les critiques "révolutionnaires/conservateurs" du fonctionnement partitocratique du système républicain de Weimar. Niekisch, lui, venait du communisme qui, comme Michels mais sous d'autres formes, refusait les "accommodements" des sociaux-démocrates. D'autres, comme les frères Jünger, seront totalement apolitiques ou viendront des ligues de la jeunesse contestatrices mais patriotes: ils refuseront toutefois, après 1918, un "système" dominé par des instances où, justement, l'oligarchisation et la bonzification, dénoncées par Michels, transformaient la société allemande (comme ailleurs en Europe) en un magma dominé par un éventail réduit, inamovible, de ritournelles idéologiques et partisanes, incapables d'apporter du neuf ou de résoudre les problèmes véritablement politiques de toute politie. Rien n'a changé, le festivisme des gay prides servant dorénavant d'addenda écoeurants à un fatras sans âme ni force.

    La figure fascinante de Moeller van den Bruck incarne l'excellence de la "révolution conservatrice". Pouvez-vous revenir sur son parcours ?

    L'itinéraire d'Arthur Moeller van den Bruck est effectivement fascinant: il résume toutes les interrogations de la Belle Epoque, apogée de la culture européenne avant la catastrophe de 1914. A vingt ans, en 1896, il débarque à Berlin avec sa jeune épouse, Hedda Maase. Il fréquentera les clubs littéraires les plus en vue et, modeste, il amorcera, avec Hedda, une carrière de traducteur d'œuvres littéraires et poétiques essentielles. Berlin sera sa période française et anglaise: il traduira notamment Baudelaire, avec son esthétisme anti-bourgeois, Barbey d'Aurevilly, avec sa fougue catholique et Edgar Allan Poe, que Baudelaire avait déjà traduit en français. En 1902, il débarque à Paris où il rencontre sa deuxième épouse, Lucie Kaerrick, une Germano-Balte, sujette du Tsar Nicolas II. Avec elle, il deviendra l'insigne traducteur de Dostoïevski, dont les éditions en langue allemande se succéderont jusque dans les années 60. A Berlin, il était un dandy apolitique, à Paris sa conscience politique s'éveille, non seulement grâce à l'hyperpolitisation des Français, qui ne rêvent que de revanche, mais aussi et surtout grâce à la fréquentation de Dmitri Merejkovski, écrivain russe en rébellion contre les figements de l'Empire tsariste et de l'orthodoxie du Saint-Synode, parce que ces forces, qui structurent alors la Russie, étouffent les élans religieux et mystiques. L'orthodoxie figée est aussi un avatar de l'occidentalisation de la Russie depuis Pierre le Grand: Merejkovski est donc hostile à Nicolas II non pas au nom d'une option révolutionnaire libérale, hégélienne ou marxiste mais, bien au contraire, au nom d'un radicalisme hyperconservateur. Merejkovski attend le "Troisième Testament" de l'eschatologie chrétienne, notamment celle réactivée par Joachim de Flore dans l'Italie médiévale. La notion de "Troisième Reich" chez Moeller est donc une actualisation de la vision de Joachim de Flore qui prophétisait l'avènement, après les règnes du Père et du Fils, de celui du Saint-Esprit. Merejkovski annonce aussi, pendant son exil parisien, l'avènement de Cham, incarnation de l'homonculus dégénéré par la rationalité libérale que Dostoïevski déjà avait décrit dans son œuvre. Plus tard, la révolution de la lie de la population fera monter au pouvoir le "peuple-bête" : Merejkovski, on l’aura compris, sera hostile à la révolution bolchevique dès la première heure.

     Après quatre années passées à Paris, Moeller fait le voyage en Italie où il est fasciné par l'esthétique de la Ravenne byzantine du roi ostrogoth Théodoric, qu'il met en parallèle avec les créations des architectes allemands du "Deutscher Werkbund". Sa conscience politique allemande s'éveille progressivement quand éclate la première guerre mondiale, où il servira, vu sa santé fragile, dans les officines berlinoises chargées de contrer la propagande des alliés surtout en Flandre, aux Pays-Bas, en Scandinavie, en Suisse et dans les Pays Baltes. Contre les 14 points du Président américain Wilson, Moeller et ses co-équipiers des officines de contre-propagande élaborent une charte du "droit des peuples jeunes". La pensée de Moeller est dès lors marquée par cette volonté de rejuvénilisation permanente des discours et pratiques politiques, exactement comme Merejkovski voulait un rajeunissement de la mystique russe, comme la bohème berlinoise et munichoise ­ ­- que Moeller avait fréquentée entre 1896 et 1902 -  voulait une dynamisation continue de l'Allemagne wilhelminienne. Pour Merejkovski comme pour Moeller, l'Europe germanique et la Russie couraient toutes deux le risque d'un figement définitif sous l'emprise d'une pensée occidentale faite de rationalismes étriqués et de ritournelles sans substances, pareilles à celles qu'ânonne Settembrini, personnage de la Montagne magique de Thomas Mann. Le danger est permanent, comme nous le voyons encore de nos jours: le "jeune-conservatisme" doit dès lors être un militantisme permanent, visant à dissoudre les figements dans la sphère politique, artistique et littéraire.

    Après 1918, Moeller s'active dans les clubs qui préparent un réarmement moral de l'Allemagne vaincue, dans une perspective très "juvénilisante", à défaut d'être révolutionnaire au sens marxiste du terme. L'Allemagne vit alors une période de crise sans précédent: défaite, effervescence révolutionnaire, république des conseils à Munich, inflation galopante, occupation française de la Ruhr, etc. Cet effondrement général laissait augurer une révolution extrême, capable de balayer toutes les structures vermoulues du passé, héritées du wilhelminisme, et toutes les institutions libérales de la République de Weimar. Pour Moeller, la disparition de ces scories hétéroclites et sans substance permettrait l'avènement du Règne du Saint-Esprit selon l'eschatologie de Joachim de Flore, règne qui serait marqué par l'effervescence, cette fois permanente, des fleurons culturels de la Belle Epoque et de certaines de ses avant-gardes. Quand la situation s'apaise, dès que le Traité de Locarno entre en phase de négociation au printemps 1925, Moeller est déçu, tout comme les frères Jünger, car un retour à la normalité perpétuera l'emprise des scories malfaisantes sur l'Allemagne et le Règne de l'Esprit saint sera remis aux calendes grecques. Moeller se suicide. Ernst Jünger opte pour un retrait hors des grouillements nauséeux de la politique.

    Moeller van den Bruck connait une véritable renaissance en Allemagne depuis quatre ou cinq ans. Plusieurs thèses de doctorat lui ont été consacrées, alors que seules celles, excellentes, de H. J. Schwierskott (1962) et de Denis Goeldel (1984; en français) existaient jusqu'ici: aujourd'hui, nous avons les études fouillées d'André Schlüter (2010) et de Volker Weiss (2012). Le dossier Moeller n'est pas clos. Effectivement, l'avènement du Règne de l'Esprit Saint a été simplement postposé…

    Personnalité marquante, Ernst Niekisch représente à lui seul l'originalité du courant national-bolchevique. Comment percevez-vous son rôle central et atypique dans cette époque ?

    Niekisch vient du camp marxiste mais cette personnalité attachante, cet instituteur, ne représente pas seul l'option dite "nationale-bolchevique". Il a fait partie du premier gouvernement des conseils de la république bavaroise, avant que celle-ci ne soit balayée par les Corps Francs de von Epp, chers à Dominique Venner. L'échec des Conseils bavarois va l'amener, comme d'autres, à rechercher une synthèse entre nationalisme et communisme qui puisera à des sources diverses : démocratie germanique archétypale (dont l'idée sort tout droit du texte intitulé Germania de Tacite), qui peut se marier aisément avec l'idée des Conseils chère au socialiste anarchisant Landauer (tombé face aux soldats de von Epp), alliance germano-russe contre Napoléon à partir de 1813, fusion des idéaux paysans et ouvriers des socialismes et communismes allemands et russes, hostilité à l'Occident (surtout catholique et français) et au capitalisme anglo-saxon, alliance avec des peuples d'Eurasie en rébellion contre l'Ouest (Inde, Chine, monde arabe, etc.). Le rôle de Niekisch a surtout été celui d'un éditeur de revues nationales-révolutionnaires, où se sont exprimés les frères Jünger, amorçant de la sorte leur carrière littéraire. Hostile à Hitler, en qui il percevait un "catholique bavarois" allié au fascisme italien, Niekisch sera poursuivi et persécuté après 1933 et, finalement, embastillé en 1937. Cet emprisonnement lui permettra d'écrire, à mon sens, le meilleur de ses livres, Das Reich der niederen Dämonen, où l'on peut lire des dialogues entre prisonniers, des marxistes mais aussi des conservateurs "austro-fascistes", véritables témoignages des marges non-conformistes des années 20 et 30, celles qui ont été vaincues par l'histoire mais qui demeurent, néanmoins, substantielles et intéressantes. 

    Jünger et Ernst von Salomon furent associés à la "révolution conservatrice". Quelle importance ont ces écrivains proches des nationalistes révolutionnaires pour cette génération d'activistes ?

    Jünger et Salomon sont des nationalistes révolutionnaires ou, du moins, des nationalistes "soldatiques". Cette définition leur vient de leurs écrits entre 1918 et 1928 où effectivement ils ont plaidé pour un bouleversement radical de la société, qui aurait dû être apporté par des phalanges impavides d'anciens soldats altiers de la première guerre mondiale. Le coup de force brutal, perpétré par des "cerveaux hardis" (Salomon), est la seule hygiène politique à leurs yeux, la seule façon de faire de la politique proprement. Mais, comme je viens de le dire, les Traités de Locarno (1925) et de Berlin (1926) mettent un terme au chaos en Allemagne et apaisent la situation instable de l'Europe post bellum. Jünger se retire progressivement de la politique et amorce la longue suite de ses voyages à travers le monde, à la recherche d'espaces et de sociétés intacts dans un monde de plus en plus soumis à l'accélération (Beschleunigung), à la connexion et à l'éradication. Jünger devient ainsi, pourrait-on dire, un "homme-yeux" (ein Augenmensch) qui repère partout les traces d'excellence naturelle qui subissent toutefois l'inéluctable érosion engendrée par la modernité. Le repérage, auquel il s'est livré jusqu'à son dernier souffle à la veille de ses 103 ans, est une attitude conservatrice et traditionnelle mais qui, simultanément, nie ce qui est établi car tout système établi ronge les racines anthropologiques, biologiques et ontologiques des hommes, des êtres vivants et des choses. A l'Est comme à l'Ouest au temps de la Guerre Froide, pensées et idéologies hégémoniques participaient, et participent toujours sous des oripeaux autres, à cet arasement planétaire. Comme pour Moeller, les livres sur les frères Jünger, sur les fondements de leur pensée, se succèdent à un rythme effréné en Allemagne aujourd'hui, démontrant, notamment, qu'ils ont été des précurseurs de la décélération (Entschleunigung) nécessaire de nos rythmes de vie. Une pensée qui, sous tous ses aspects, n'a pas pris une ride. 

    La renaissance de la jeunesse allemande est un phénomène important de l'époque de la "révolution conservatrice". Pouvez-vous revenir sur la spécificité des Wandervögel et des ligues de jeunesse ?

     L'année 1896 est cruciale: Moeller arrive à Berlin et amorce sa quête dans la bohème littéraire de la capitale prussienne; Karl Fischer fonde le mouvement des lycéens randonneurs, le Wandervogel, qui cherche à arracher la jeunesse aux affres d'une urbanisation effrénée; Eugen Diederichs fonde à Iéna sa maison d'édition qui véhiculera les thèmes d'un socialisme organique et enraciné, d'une religion chrétienne adaptée aux terroirs germaniques, d'une esthétique proche des pré-raphaëlites anglais et de l'art nouveau (Jugendstil), etc. Tous cherchent à asseoir une société alternative basée sur des idéaux organiques et vivants plutôt que mécaniques et figés. Après le départ de Fischer pour les armées dans la garnison allemande de Tsing-Tao en Chine, le mouvement se structure, passe de la joyeuse anarchie contestatrice à un anti-conformisme intellectuellement bien charpenté, qui jettera les bases d'une pensée écologique profonde (avec le philosophe Ludwig Klages), d'une pédagogie avant-gardiste dans le sillage de la tradition lancée, fin du 18ème, par le Suisse Pestalozzi. Laminé par la première guerre mondiale, le mouvement de jeunesse renaît vite de ses cendres tout en se politisant davantage sous le signe du nationalisme révolutionnaire qui l'opposera, à partir de 1933, à la NSDAP qui cherchait à contrôler à son profit exclusif l'ensemble des ligues. Les mouvements des Nerother et du "dj.1.11" de Tusk (alias Eberhard Koebel) sont de loin les plus originaux, ceux qui auront organisé les raids les plus exotiques et les plus audacieux (Andes, Nouvelle-Zemble, Laponie, etc.).

    Courant aux racines anciennes, le filon "folciste" (= völkisch) est une nébuleuse de groupes et d'organisations aux frontières de la religion, de l'ésotérisme et du politique. Comment expliquer la vivacité de cette conception du monde ?

    Il a cependant été peu cartographié, même en Allemagne, a fortiori dans l'espace linguistique francophone. Il faudra s'atteler à une telle cartographie car effectivement les manifestations de ce filon sont multiples, partant parfois de la pure bouffonnerie passéiste. Disons, pour faire simple, que ce courant vise à faire du peuple rural allemand le modèle d'une anthropologie politique, comme les Germains de Tacite et des renaissancistes italiens ou comme le moujik des slavophiles. Il peut être approfondissement de l'identité allemande ou repli sur soi, à la façon des Mennonites protestants. Hitler s'en moquait dans Mein Kampf, brocardait les manies d'Himmler qui, parmi les dignitaires du futur "Troisième Reich", était le plus sensible à ce filon. Aujourd'hui les nouveaux "jeunes conservateurs" allemands s'en moquent au nom d'idéaux étatistes ou schmittiens. Disons que le filon survit officiellement dans toute l'Europe avec l'engouement, fort intéressant au demeurant, pour les archéosites consacrés aux périodes pré-romaines, celtiques ou proto-historiques. C'était là des projets des pré-folcistes d'avant 1914, de Himmler et des archéologues SS et… sont aujourd'hui des projets proposés par les syndicats d'initiative!

    L'émergence du national-socialisme sera un bouleversement sans précédent pour l'Allemagne. Quels furent les rapports de la révolution conservatrice avec ce phénomène sans précédent ?

    Il n'y a pas de rapport direct: la révolution conservatrice étant une nébuleuse de penseurs peu politisés, au sens où peu d’entre eux étaient encartés dans un parti. Généralement, les pères fondateurs ou les personnalités marquantes, mises en exergue par Mohler, dans sa thèse de doctorat sur la révolution conservatrice, n'adhèreront pas à la NSDAP (contrairement à Heidegger), sauf de très rares exceptions. Les gros bataillons de transfuges viennent plutôt des autres partis, surtout des sociaux-démocrates et, dans une moindre mesure, des démocrates-chrétiens du Zentrum. L'acceptation de la forme-parti, expression de l'ère des masses, est à mon sens déterminante pour une adhésion à la NSDAP, dès que celle-ci monte ou prend le pouvoir. Un Ernst Jünger, qui abominait la forme-parti, n'adhère pas, fidèle à son principe de jeunesse: les coups de force sont plus propres, comme ceux que préparait le Capitaine Ehrhardt, à qui il demeurera fidèle quand celui-ci sera poursuivi par la Gestapo dans les années 30. De même, le traditionaliste Edgar Julius Jung, hostile aux partis de la République de Weimar, demeure hostile à la NSDAP, alors qu'il a mené des actions musclées en 1923 contre les séparatistes rhénans quand les Français cherchaient à détacher les provinces occidentales du Reich. Seuls certains (mais pas tous!) théoriciens, économistes et sociologues du "Tat-Kreis", aux vues plus pragmatiques, passeront cum grano salis au service du nouvel Etat.

     La "nouvelle droite" européenne, dans sa diversité, est-elle l'incarnation de la postérité de la révolution conservatrice ?

    Il faut éviter les anachronismes. Nous vivons depuis les années 50 dans un monde fondamentalement différent de celui que nous avions entre 1880 et 1945. Armin Mohler exhume, début des années 50, les idées oubliées de la "révolution conservatrice" lato sensu, dans une Allemagne fédérale mutilée qui raisonne en termes de technocratie, seule idéologie pragmatique apte à assurer la marche en avant vers le "miracle économique". Il effectue ce travail d'encyclopédiste avec l'accord d'Ernst Jünger. Mais Mohler veut réactiver les idéaux nationaux-révolutionnaires du Jünger des années 20 en les maquillant en surface. Cette volonté provoque une rupture (provisoire) entre les deux hommes. En France, Giorgio Locchi, qui connaît Mohler, suggère à la rédaction de Nouvelle école un résumé succinct et pertinent de la fameuse thèse sur la révolution conservatrice. Il paraîtra dans le n°23 de la revue. En Italie, avant son décès prématuré en 1973, Adriano Romualdi initie le public de la droite radicale italienne aux thèmes majeurs de la révolution conservatrice allemande, lesquels, de toutes les façons, sont déjà traités abondamment par les universitaires de la péninsule. Alain de Benoist publie un résumé du livre de Schwierskott (cf. supra) dans le n°34 de Nouvelle école, grâce aux talents de traducteur d'un embastillé de la République. Nouvelle école publiera ensuite deux numéros, sur Jünger et sur Spengler, sans qu'on ne puisse parler d'un travail systématique d'exploration, les collaborateurs germanophones de la revue étant très rares ou rapidement évincés, comme Locchi ou moi-même. Les éditions Pardès lanceront une collection d'ouvrages, malheureusement peu vendus, qui ont failli faire crouler la maison, car aucun travail systématique fait de monographies ou d'essais didactiques n'a préparé le lecteur français, et surtout le militant politique, à bien réceptionner ces thématiques d'un âge héroïque européen, hélas bien révolu. Les thèmes de la révolution conservatrice allemande, en France comme en Italie ou en Espagne, sont surtout approfondis par des universitaires non marqués politiquement ou métapolitiquement, comme Julien Hervier, Gilbert Merlio, etc.

    (fait à Forest-Flotzenberg, juillet 2014).   

    Cet entretien a été accordé à Monika Berchvok (Rivarol) suite à la parution de l'ouvrage

    "La Révolution conservatrice allemande - Biographie de ses principaux acteurs et textes choisis"

    http://euro-synergies.hautetfort.com/archive/2014/07/26/r-s-entretien-sur-la-revolution-conervatrice.html

  • Sicile : Les policiers fuient en masse par peur des immigrés contagieux

    PALERME (NOVOpress) – 90% d’absentéisme lors du dernier débarquement de clandestins à Palerme : c’est le chiffre donné dans un communiqué par la Consap, le syndicat autonome de la police. Le 7 août, alors que la marine nationale venait débarquer 530 clandestins, 90% des agents théoriquement en service se sont fait porter malades. La raison ? La peur d’être « contaminés par les virus dont les réfugiés [sic]seraient porteurs. Tuberculose, gale, Ebola, telles sont les maladies craintes par les hommes des forces de l’ordre ». Beaucoup de policiers employés dans le cadre de l’opération « Mare Nostrum » auraient déjà contracté la tuberculose.

    La Consap a annoncé qu’elle allait déposer une action de groupe (l’italien garde le terme anglais de class action) contre le Ministère de l’Intérieur, pour défaut de protection des agents. « Il semble, a déclaré le secrétaire de la Consap Giorgio Innocenti, que l’attention accordée aux forces de l’ordre employées dans le cadre de l’opération « Mare Nostrum » soit inversement proportionnelle à l’attention donnée aux migrants : toujours plus d’attention pour ceux qui arrivent en Italie, et toujours moins pour ceux qui défendent l’Italie et qui en garantissent la sécurité. Voilà la raison pour laquelle le nombre de policiers engagés dans les opérations d’accueil aux réfugiés et qui ont été contaminés par la tuberculose ou décelés positifs au test de Mantoux, augmente de manière inquiétante ».

    Comme de bien entendu, la préfecture de Palerme a démenti ces affirmations dans un communiqué de pur style administratif« L’indisponibilité temporaire [de certains policiers] n’a nullement affecté l’efficacité ou compromis les conditions de sécurité des activités d’accueil qui, après s’être déroulées dans le plus grand respect des protocoles sanitaires en vigueur et en utilisant correctement les dispositifs de protection individuels, se sont même terminées en avance par rapport à l’horaire prévu ». Voilà qui est rassurant.

    http://fr.novopress.info/173380/sicile-les-policiers-fuient-en-masse-peur-immigres-contagieux/#more-173380

  • Bainville : l’homme et l’héritage

    Bainville se servait de l’histoire comme le biotope du politique.

    Heureuse et salutaire initiative que cette réédition du remarquable travail de Christophe Dickès, issu de sa thèse de doctorat d’histoire soutenue en 2004, et consacrée à Jacques Bainville. On connaît l’ouvrage de Dominique Decherf, Bainville, l’Intelligence de l’histoire et l’opus de Dickès vient avantageusement compléter la mince bibliothèque universitaire bainvillienne. 

    La politique par l’histoire

    Dès la première page de son introduction, l’auteur marque sa surprise de « voir la pauvreté de la littérature sur cet homme et son oeuvre », précisant que « depuis sa mort en 1936, on recense en effet moins d’une dizaine d’étudiants ou d’universitaires français qui se sont penchés sur ses écrits ». Il est vrai qu’à côté du méridional Maurras, son maître, Bainville, plus septentrional par ses origines lorraines, s’est toujours montré plus discret au sein de la jeune et remuante Action française du début du XXe siècle. À travers son objet d’étude, Dickès nous donne à revisiter toute l’histoire européenne de 1815 à l’avènement d’Hitler, indiquant par là combien Bainville se faisait fort de scruter les moindres événements politiques, économiques et sociaux en vue d’en dévoiler les ressorts les plus intimes. Véritable horloger suisse dans le domaine de la géopolitique, Bainville se servait de l’histoire moins comme d’un éclairage (posture classique de l’historien qui cherchera avant tout à collecter une somme sur telle époque ou tel personnage) que comme le biotope du politique par excellence.

    L’homme Bainville

    L’homme étant, selon Aristote, un animal politique, c’est tout naturellement que Bainville lui consacrera une place centrale dans l’observation des faits sociaux : « L’homme, à toutes les époques et dans tous les siècles, se ressemble, il a les mêmes passions, il raisonne et il se comporte de la manière dans les mêmes cas. C’est le point capital. Hors de là, il n’y a qu’erreur et fantaisie. » Serait-il alors impropre de considérer Jacques Bainville comme le précurseur de l’anthropologie politique, voire, plus largement, de la science politique moderne, dans la mesure où, s’inspirant de Sainte-Beuve, Bainville imprimera à son oeuvre une rigueur autant qu’une consistance scientifique ? Mais l’apport de la thèse de Dickès consiste surtout à extraire Bainville du mouvement royaliste d’Action française dont il était l’un des animateurs brillants, pour en retenir l’homme Bainville, le penseur autonome, spécialiste pointu de l’Allemagne (polyglotte, il parle l’allemand, l’anglais et comprend l’espagnol), diplomate, économiste averti, chroniqueur au Capital (on lui prête d’ailleurs cette formule selon laquelle, s’il s’était appliqué à lui-même ses propres conseils boursiers, il aurait fait fortune). Bainville croyait en la réconciliation franco-allemande, au lendemain de la défaite de 1870, ce qui suffit à relativiser la germanophobie qu’on lui accole trop souvent sans discernement, laquelle était d’ailleurs caractéristique de l’intransigeance de Maurras sur cette question.

    Bainville, l’héritage

    Mais Bainville, grâce à cette méthode que Maurras baptisera l’empirisme organisateur, restera pour ses terribles Conséquences politiques de la paix, ouvrage prophétique dans lequel il entrevoit avec une lucidité froide, la Seconde Guerre mondiale et le réveil d’une Allemagne devenue nationale-socialiste à cause de son unification retrouvée.

    Christophe Dickès révèle également un Bainville inattendu, en proie à des états d’âme qui le conduiront à un nihilisme, lequel était « une tentation et non un absolu ». Sa fidélité à ses amis de l’Action française l’empêchera sûrement d’embrasser une carrière que le "Tout-Paris", avec lequel il entretenait d’étroites relations, s’empressait pourtant à lui offrir sur un plateau, ce au gré des opportunités. Dans le fond, et c’est ce qui le rend profondément attachant y compris, probablement, pour ses propres ennemis, « Bainville, par-delà son analyse, laisse en effet une grande part à la puissance des sentiments, lui qui était considéré à tort par ses contemporains comme un homme froid ». Tombée dans l’oubli après guerre, son oeuvre connaît un regain au lendemain de la chute du mur de Berlin. Et s’il est un homme encore actuel, c’est par sa méthode, mêlant observation des faits, prise en compte du principe de causalité, connaissance de l’histoire et de la psychologie humaine. À l’heure où, dans notre vieille Europe, les nations sont en pleine décomposition (alors que d’autres, dans cette même vieille Europe, montrent qu’elles ne veulent pas sombrer dans le maelström babélien), il est opportun de se demander pourquoi celles-ci sont pourtant plus que vitales à la survie de l’Europe. Il est primordial pour nos gouvernants de plonger dans notre histoire pour y trouver la bonne réponse, car, comme le disait Bainville, « un homme politique qui ne connaît pas son histoire est comme le médecin qui n’est jamais allé dans un hôpital ».

    ARISTIDE LEUCATE L’Action Française 2000 du 1 er août au 3 sptembre 2008

    aleucate@yahoo.fr

    * Christophe Dickès : Jacques Bainville. Les lois de la politique étrangère. Bernard Giovanangeli éditeur, 2008, 23 euros.