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  • Un bloc-notes royaliste, pour quoi faire ?

    Chaque année, la même question se pose à moi : dois-je continuer à nourrir ce bloc-notes sur la toile ou, au contraire, y renoncer pour me consacrer à mes travaux universitaires ou à d’autres formes d’activité politique ? Et chaque année, après quelques hésitations, je reprends, sinon la plume, du moins le clavier pour jeter quelques réflexions et quelques arguments, mais aussi mes émotions et mes opinions sur des événements d’actualité ou sur les institutions de notre pays…

    Après cet été meurtrier qui n’est pas encore fini (et cette année, il y a presque une sorte d’impatience à le voir se terminer…), s’ouvre une année doublement électorale, entre la présidentielle et les législatives, et la politique sera de retour, au moins dans les discours et les promesses, même si la qualité des uns et des autres n’est pas vraiment assurée ! Souvent, en ces périodes de campagnes électorales, démocratie rime malheureusement avec démagogie, au risque d’oublier les vrais enjeux des élections, la nature profonde de la politique même et le souci politique, thème d’un livre du philosophe postmaurrassien Pierre Boutang à relire en ces heures de confusion intellectuelle. Nous n’échapperons pas aux postures des candidats « majeurs » (ceux qui peuvent espérer une place au second tour ou jouer un rôle d’opposant reconnu et crédible) et à leurs déclamations du type « Mon adversaire, c’est la Finance » ou « La sécurité sera assurée », et le royaliste que je suis, tout en les entendant, n’en sera pas dupe car, pour moi, la question n’est pas tant celle de la qualité des candidats ou des élections que celle des institutions et de l’état d’esprit qui les anime ou qu’elles inspirent.

    Je ne suis pas devenu royaliste par hasard, mais par réflexion, et le sentiment est venu compléter et enrichir d’une dimension affective ce processus intellectuel. J’ai déjà évoqué cette « conjonction des planètes », entre lectures croisées de Bertrand de Jouvenel (« Du Pouvoir », livre majeur dans ma formation politique) et de Charles Maurras (dont j’ai au moins gardé la pratique de la « tradition critique », autre nom de l’empirisme organisateur, et la théorie du « Politique d’abord », d’ailleurs souvent incomprise…), et recherche du meilleur moyen de pérenniser et de transmettre ce qui fait notre environnement et enracinement nécessaires à l’épanouissement de ce que nous sommes. En France, pays qui nous semble encore une évidence (qu’elle n’est que par une longue suite d’habitudes et une histoire commune, y compris dans le malheur qui soude parfois encore plus que le bonheur…), la République ne garantit pas ce long terme indispensable à l’efficacité de l’action politique : que cela soit sur le plan de la stratégie énergétique, de la grande diplomatie ou même de la lutte pour le travail français (entre autres), chaque gouvernement de couleur politicienne différente se targue de défaire ce qu’a fait le précédent, au risque d’aggraver la situation. Bien sûr, il y a des lignes de force mais c’est plutôt la dépossession du politique par l’économique et une dépendance accrue des institutions du pays à « l’extérieur », que ce dernier prenne la forme de « directives européennes » ou  de « mondialisation », ou se pare de leurs attributs théorisés par les penseurs libéraux ou « sociaux-démocrates ». 

    Mais s’opposer est vain s’il n’y a pas proposition : d’où ma volonté (qui ne sera pas, seule, suffisante…) de promouvoir et de jeter les fondements d’unenouvelle Monarchie qui reprenne les grands traits de l’ancienne sans s’en contenter ni s’enfermer dans une lecture purement théorique des institutions et de leur rôle. Je prône une Monarchie qui ne soit pas que symbolique, même si je connais et apprécie la valeur et la force du symbole royal chez nos voisins britanniques, néerlandais ou espagnols. Une Monarchie arbitrale, mais aussi « active » et éminemment politique.

    Il serait dommage de ne pas faire de politique au moment où tout le monde en parle en prévision de l’élection présidentielle qui reste, qu’on s’en félicite ou non, « la reine des élections », comme une sorte d’hommage du vice à la vertu… Ainsi, ce bloc-notes va poursuivre son bonhomme de chemin, non pour satisfaire quelque graphomanie immodeste (car, en fait, j’éprouve une certaine difficulté à écrire…), mais pour tenter d’apporter sa pierre à l’édifice d’une politique royaliste nécessaire pour fonder une Monarchie politique. Néanmoins, je ne me contenterai pas de quelques articles sur la toile : il y a encore cent autres manières de faire de la politique, et j’en userai, jusqu’à la centième ! Car la France mérite mieux que la République, elle mérite la Monarchie, celle des « possibles » et des « nécessaires », tout simplement…

    http://nouvelle-chouannerie.com/

  • François Fillon veut "réécrire" la loi Taubira

    Alors que La Manif Pour Tous a annoncé une nouvelle journée de mobilisation le 16 octobre, François Fillon, candidat à la primaire LR, publie un manifeste pour la famille. Il souhaite notamment supprimer les conditions de ressources appliquées au versement des allocations familiales pour leur rendre leur caractère universel, et annonce qu'il accompagnera cette réforme d'un relèvement du plafond du quotient familial à 3 000 euros.

    Ce projet "Famille et solidarités" a été présenté lundi matin. Il y déclare :

    "Je propose de réécrire la loi Taubira et de refonder notre politique familiale".

    Il entend revenir partiellement sur ce texte. S'il juge qu'il n'est pas "opportun, ni souhaitable de rouvrir un débat mal engagé en 2012 (...) qui a eu pour effet de fracturer la société", débat qui n'a jamais vraiment eu lieu, il entend néanmoinss'opposer fermement à une extension de l'assistance médicale à la procréation pour l'interdire "aux couples de femmes et aux femmes seules". François Fillon ajoute qu'il refuse d'ouvrir la voie à la gestation pour autrui et souhaite même mener une "action au niveau international en faveur de l'abolition de la GPA".

    Il veut réécrire le texte sur la question de l'adoption plénière.

    "Il ne me paraît pas légitime que la loi permette de considérer qu'un enfant est fils ou fille, de manière exclusive, de deux parents du même sexe. Sa filiation au sens biologique du terme, à l'égard d'un père et d'une mère, ne doit donc plus pouvoir être effacée par une adoption plénière".

    Michel Janva

  • Pourquoi se souvenir de la mort de Louis XVI ?

    Le 21 janvier 1793 au petit matin mourait le roi Louis XVI, guillotiné à Paris. Depuis, nous n’avons pas cessé de parler de cette mort. Pour Balzac, « le jour où on a coupé la tête du roi, on a coupé la tête de tous les pères de familles. » Pour Raymond Poincaré, la mort de Louis XVI fut « un suicide collectif ».

    Cette mort marque surtout d'une empreinte de sang la plus formidable opération d'amnésie collective de notre histoire. En tuant le roi, les conventionnels rejetaient tout le passé qui était lié à sa personne. Ils condamnaient la France antérieure à 1793 à l'oubli, créant une nouvelle France, au calendrier marqué de l'an I de la République. Avec cette mort, la révolution devenait un bloc. On était pour ou contre cette mort. Il n'était plus possible d'être royaliste, monarchien, libéral, partisan de la régence de Philippe-Egalité, fédéraliste, girondin, jacobin. On était simplement favorable ou hostile à la mort du roi, et tous ceux qui se montrèrent hostiles furent rejetés, d'une manière ou d'une autre, dans le camp de la contre-révolution, c'est-à-dire celui voué à l'oubli collectif.

    Le temps passa, apaisa en apparence cette terrible blessure. A la Restauration, on retrouva le corps de Louis XVI, dans une fosse commune, où il avait été placé pour être oublié. Louis XVIII lui fit donner des funérailles dignes d'un roi, et sa tombe, en la basilique de Saint-Denis, marque le souvenir des rois à elle seule. Dès 1814, l'habitude fut prise, dans toute la France, le 21 janvier, de faire dire des messes pour le repos de l'âme de Louis XVI. Ce sont, depuis, des milliers et des milliers de messes qui ont été dites pour le repos de l'âme d'un homme certainement au Ciel désormais, et intercesseur pour son peuple et sa patrie.

    Mais est-il encore utile, aujourd'hui, de se souvenir d'une mort vieille de plus de deux siècles, dans un pays où la république semble faire la presque unanimité ? Après tout, si on se souvient de la guerre de Cent ans, des guerres de religion ou de la Fronde, on ne place plus aucune passion dans l'évocation de ces événements pourtant autrement plus douloureux pour la patrie que la mort d'un seul homme, fût-il roi. Pourquoi lui, alors ? Cette question, à vrai dire, pose un faux problème. La question n'est pas celle de l'utilité, mais de la signification de cette célébration. Que signifie pour quelques milliers de Français de continuer de se souvenir, chaque année, de la mort d'un roi et de faire dire à son attention une messe ou de déposer place de la Concorde une gerbe de fleurs ? Il s'agit, pour la plupart, de se souvenir que l'histoire de France n'a pas commencé en 1789, qu'elle plonge ses racines dans un passé plurimillénaire, dont le roi était le représentant, en incarnant la dynastie, histoire familiale de la France. Il s'agit de s'unir à la mémoire de cette vieille France et d'en faire un socle d'espérance pour le présent.

    Est-ce utile ? Oui ! Cent fois oui !

    La révolution de 1789 a ceci de particulier que dans tous les événements tragiques qui bouleversèrent notre histoire, elle est le seul dont les acteurs ont tenté d'opérer une table rase complète du passé du peuple. En quelques mois, les députés ont jeté à terre toute la législation existante de l'ancienne royauté et remplacé tout son personnel, du moins l'ont-ils prétendu, et ce avec assez de conviction pour que tout le monde le croit et imagine ce passé tout à fait révolu. De cette volonté de rejet total du passé est née une fracture de la France en deux camps, d'abord égaux, puis avec le temps de plus en plus inégaux en faveur des révolutionnaires, au fur et à mesure que progressait dans les esprits leur entreprise amnésique. Celle-ci repose pourtant sur un mensonge. Les lois de la royauté furent-elles toutes supprimées ? Non ! Le Code civil et le Code pénal, fruits de l'Empire, s'assoient tous deux sur les coutumes et les lois de la France d'avant 1789, dont ils reprirent des pans entiers. Et pour cause, les rédacteurs de ces codes étaient tous des anciens magistrats du roi et de ses cours souveraines. Ils avaient passé sans trop d'encombre, discrètement, le tumulte révolutionnaire, et lorsque revint la paix, ils retrouvèrent d'honorables fonctions. Les hommes d'argent étaient également issus de l'ancienne royauté, et la Cour des comptes, sous Bonaparte, rendit justice aux fermiers généraux et leur gestion. La pratique de l'impôt affermé ne s'est pas tout à fait perdue d'ailleurs.

    La liste serait longue des coutumes qui ont survécu à la mort de la royauté.

    Mais de cette dichotomie entre le mensonge de la table rase et la réalité infiniment plus complexe du pays est née un malaise, celle d'un esprit de parti empli de haine, entre les partisans de l'ancienne royauté, ceux de la révolution, les modérés de tous les camps, chacun fondant sur une vision fausse de l'histoire une politique présente bancale.

    L'histoire fut oubliée, mais les partis demeurèrent, et si aujourd'hui il n'y a que peu de royalistes authentiques, les conservateurs de tous genres sont parmi leurs héritiers inconscients. Ce n'est pas un hasard si, dans ces milieux, sans que nul ne sache vraiment pourquoi, il demeure une secrète amertume à l'évocation de la mort de Louis XVI, tandis que les républicains vraiment convaincus, le plus souvent ancrés à gauche de l'échiquier politique, font de cette mort une étape regrettable mais nécessaire, quand ils ne s'en glorifient pas.

    La table rase révolutionnaire était inédite. Dans les guerres de jadis, lorsqu'une province rejoignait le domaine du roi, ses soldats martelaient les armoiries du vaincu, faisaient disparaître son nom de tous les lieux, mais le passé demeurait présent, car les peuples conservaient jalousement leurs coutumes.

    Le traitement par l'oubli ou la falsification, initié en 1789, devint, par la suite, la manière courante de transmettre l'histoire. Les historiens de la première moitié du XIXe siècle relurent toute l'histoire de France à l'aune de la Révolution, ne comprenant donc plus rien à rien, car plaçant dans l'esprit des hommes des siècles passés des idées, des mots qu'ils ne pouvaient pas avoir eu. La lutte des classes, l'esprit de tolérance, les principes libéraux de la liberté individuelle furent mis dans la tête des hommes du moyen âge ! Terrible erreur ! Elle conduisit des générations de Français à ne plus comprendre le sens de leur passé. Les historiens de la IIIe République calomnièrent le second empire. Ceux de la IVe République masquèrent les origines vichystes de nombre des lois de leur régime et d'une large part de leur personnel politique et administratif, tout comme on feignit d'oublier que les lois xénophobes ou liberticides de Vichy trouvaient leur source dans la réglementation administrative de la fin de la IIIe République. Enfin, les historiens de la Ve République jetèrent un voile de ridicule sur la IVe République.

    Dans une vie civique qui est devenue l'incessante guerre civile des partis, sans qu'il ne soit plus aucune force tutélaire les contenant ou les unissant sur des points non négociables de cohésion nationale, la règle est donc celle de la calomnie historique ou de l'oubli.

    Les programmes scolaires actuels en sont un beau condensé, où le collégien passe de Rome au XIIe siècle en ignorant Mérovingiens et Carolingiens, sans d'ailleurs avoir vraiment plus étudié les Gaulois. Il survole la féodalité sans maîtriser l'histoire politique du pays, saute sur la Renaissance en ayant flirté deux minutes avec la guerre de Cent ans, oublie les guerres de religion, dont il ne voit que les traits saillants, parvient difficilement à Henri IV, Louis XIII et Louis XIV pour lesquels il est consacré autant de temps qu'aux origines de l'Islam. Enfin, au XVIIIe siècle, Louis XV est le grand oublié, ainsi que l'empire colonial français. On en arrive à Louis XVI fin de règne, pour débouler sur la révolution et enfin retrouver une histoire de France chronologique et continue jusqu'à nos jours, avec cependant encore des faiblesses sur les points litigieux, à savoir la Restauration, la Monarchie de Juillet, le Second empire, Vichy et la IVe République. A peine survolés, ces régimes sont déconsidérés par le programme.

    Contre toute attente, l'enseignement de l'histoire est encore plus mal logé au lycée, où les trous chronologiques sont béants.

    Parvenus à la fin de leurs études secondaires, les jeunes français sont parfaitement ignorants de leur histoire, incultes, incapables de sortir autre chose que quelques anecdotes, quelques faits saillants, parmi lesquels la shoah arrive en bonne place. Pour eux, tous les événements survenus avant leur naissance sont rejetés dans un tohu bohu.

    Ce peuple amnésique s'ignore, se divise contre lui-même, et se hait, car ne connaissant plus les réalisations de ses ancêtres, leurs joies et leurs peines, ne sachant plus d'où il vient, il gobe sans discernement tous les mensonges possibles, dont la mode actuelle consiste à attaquer la mémoire et la réputation du pays, que ce soit sur Vichy, sur les colonies, sur la place des femmes, le traitement des ouvriers, l'accueil des migrants, partout la France semble n'avoir fait que le mal, et l'ignare, incapable de se défendre, accepte et baisse la tête.

    Les conséquences sociales de cette amnésie sont énormes. Non seulement elles engendrent une perte terrible du bon sens et de l'esprit d'attachement au pays, terreau de l'esprit civique, mais chez les êtres socialement fragiles, elle ouvre la voie aux modèles plus attrayants, plus forts, dont le djihadisme est actuellement le plus terrible exemple.

    Pourtant il faut se souvenir de l'acte de naissance de la France, et de sa longue histoire, qui n'est pas faite de ruptures et de haines, mais d'une incroyable continuité, ponctuée de secousses. Quand a commencé l'histoire de notre France ? En 1945 ? En 1871 ? En 1789 ? En 843 ? En 496 ? En 52 avant Jésus-Christ ?

    Il n'y a pas de date précise à cette naissance, mais plutôt un esprit qui insuffla la vie au pays. On peut parler d'une histoire de France à partir du moment où les peuples qui vécurent sur cette terre eurent conscience de former un ensemble cohérent de civilisation et de peuplement, et où les nations étrangères perçurent ce groupe comme tel, sans que depuis il y ait eu de rupture fondamentale dans la reconnaissance de cette aire civilisationnelle et de peuplement.

    Pour le cas de la France, on peut ainsi remonter jusqu'aux Celtes. Quand les Celtes de la Gaule eurent-ils conscience de constituer un groupe à part des autres celtes, entre Alpes, Pyrénées et bords du Rhin, malgré leurs haines, leurs guerres et leurs divisions ? On ne peut pas le savoir. Mais certainement entre le Ve et le IIe siècle avant notre ère. A la fin du IIe siècle avant notre ère, le géographe grec Posidonius parcourut la Gaule. Il fut le premier à décrire ce pays, et le premier à le définir avec ses coutumes, sa langue, ses manières, ses traits distinctifs, comme un ensemble cohérent de civilisation et de peuplement, en dépit de ses divisions internes. César, un demi-siècle plus tard, renforça cette approche spécifique de la Gaule, qu'il eut le temps d'étudier, la parcourant en tous sens pendant huit ans. L'empire de Rome fixa des frontières provinciales qui figèrent le territoire de la Gaule et ses peuples. L'unité s'accrut avec l'appartenance à l'empire.

    Pourtant il n'y eut pas de rupture fondamentale. Le peuple ne changea pas. Les lois demeurèrent et se modifièrent insensiblement avec l'apport du droit romain. Lorsque tomba l'empire, son droit se maintint en Gaule et fut respecté des nouveaux maîtres, Burgondes, Francs et Wisigoths. Les propriétés ne changèrent pas de main, l'ancienne littérature fut vénérée, les cités gauloises devinrent diocèses et comtés sans que leurs frontières ne bougent.

    La Gaule, sous le sceptre des rois, demeura ce qu'elle était. Pourtant, la France de 1789 et la Gaule de 496 semblent deux patries étrangères l'une à l'autre. Ce n'est qu'une illusion. C'est bien la même patrie, la même nation qui, au fil des siècles, vit ses lois, ses habitudes, ses coutumes, se modifier, sans cesse, par un mécanisme perpétuel d'évolution, mais sans que jamais le passé ne soit renié, et sur sa base.

    Cette permanence historique est si forte que le géographe Jean-François Gravier, en 1947, reconnaissait dans 45 départements sur 88 les frontières exactes d'anciennes cités gauloises. La permanence était telle qu'en 1988 encore l'historien Karl Ferdinand Werner estimait que le fond du peuple français de la seconde moitié du XXe siècle correspondait toujours, ethniquement, aux bassins de peuplement de la Gaule celtique.

    C'est cette longueur de vue, cette continuité dans l'histoire que nous devons retrouver pour apprendre à nous aimer, à vivre notre présent comme un long héritage dont nous sommes les simples usufruitiers.

    Se souvenir de Louis XVI, c'est faire un acte de résistance citoyenne capital, en ces temps d'oubli, puisqu'il s'agit de marquer un refus, celui de l'amnésie. Il s'agit de rétablir un fil faussement tranché dans l'esprit général, et de montrer à tous l'unité de l'histoire de la nation française.

    Plus que jamais, évoquer la mémoire du roi, sans être forcément royaliste, même en étant républicain, c'est poser un acte profondément civique pour l'unité de la nation sur le sol de la patrie.

    Un jour, peut-être, les passions retomberont et on ne dira plus de messe pour Louis XVI. Ce jour-là viendra lorsque le symbole de ce souvenir aura perdu son actualité, parce que nous nous serons enfin réconciliés avec nous-mêmes, avec notre histoire, avec notre identité.

    Gabriel Privat

    http://www.vexilla-galliae.fr/actualites/divers/2078-pourquoi-se-souvenir-de-la-mort-de-louis-xvi-2

  • Affrontements : le risque de l’escalade en Corse

    Violences à Sisco. Une petite plage du nord de l’île a été le théâtre d’une rixe intercommunautaire violente. Les autorités craignent d’autres incidents.

    Tendu, pesant, explosif. Depuis samedi soir et les événements de Sisco, le climat s’est enflammé dans la région de Bastia (Haute-Corse). Dimanche matin, plusieurs centaines de personnes se sont rassemblées sur la place Saint-Nicolas de Bastia puis devant la préfecture. Dans l’après-midi, une vague corse a déferlé dans le quartier populaire et multiculturel de Lupino, à l’entrée sud de Bastia. « Les agresseurs habitent ici. On veut montrer à leurs frères, à leurs amis et à tous ceux qui les connaissent que nous ne tolérerons jamais ce genre d’actes sur notre terre ! » assène Etienne, au milieu du cortège, qui s’est finalement dispersé sans violences, excepté à proximité de l’hôpital, où les forces de l’ordre ont fait usage de gaz lacrymogène pour disperser des individus menaçants.

    Samedi, le cadre idyllique de la plage de Sisco, charmant petit village du cap Corse, dans le nord de l’île, a été le théâtre d’une rixe très violente qui a fait 5 blessés et nécessité l’intervention en urgence de pompiers, gendarmes, policiers et même d’un hélicoptère. Selon les premiers éléments de l’enquête, plusieurs jeunes du village, de 15 à 18 ans, auraient été confrontés à un groupe de personnes venues à la plage de Bastia. La situation a dégénéré lorsque ces dernières ont reproché aux adolescents de photographier leurs femmes, qui se baignaient en burkini selon plusieurs témoins.

    Des armes blanches auraient été exhibées en signe de menace. Alerté par son fils, un père de famille, rapidement venu sur les lieux, a subi un tir de harpon dans le thorax.
    Les élus redoutent d’autres affrontements

    Coups de fils, bouche-à-oreille, mouvement de foule, la plage a rapidement pris des allures de bataille rangée voyant débouler des dizaines de villageois venus prêter main-forte aux jeunes. « J’étais en train de jouer aux cartes dans un bar, à trente minutes de Sisco, lorsqu’on m’a appelé pour me dire : Des jeunes ont été attaqués au couteau par une bande. J’ai pris ma voiture et je suis immédiatement descendu, explique Manuel. Agresser un seul Corse, c’est comme agresser toute la Corse. Depuis plusieurs mois, François Hollande nous répète que nous sommes en guerre. Et dans une guerre, quand on est attaqué, il faut répondre. Et pas seulement en allumant des bougies… » Trois voitures ont été incendiées, dont certaines appartenant au groupe de Bastia, et les gendarmes ont dû protéger un blessé de peur qu’il ne soit lynché par la foule. Les 5 blessés légers sont sortis dimanche soir de l’hôpital.

    Dimanche, dans les ruelles de Sisco, le calme était revenu. Du moins en apparence… « Il n’y a plus grand monde aujourd’hui, tout le monde est allé à Bastia. Voir la commune sous le feu des projecteurs pour une affaire aussi dramatique me révolte. J’espère que les coupables seront punis par la justice et qu’ils iront en prison », confiait une habitante du village.

    Le scénario de la rixe a de nouveau été avancé dimanche lors du rassemblement à Bastia, quand une jeune fille témoin des violences a décrit la scène au mégaphone devant une foule en colère qui ne demandait qu’à en découdre. C’est maintenant à la justice d’éclairer les circonstances exactes des faits. L’enquête a été confiée à la section de recherche de la gendarmerie d’Ajaccio.

    Dès dimanche, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve, a condamné ces violences et appelé au calme, relayé par le maire de Sisco, Ange-Pierre Vivoni, qui a quand même précisé qu’il réfléchissait avec son conseil municipal à édicter un arrêté anti-burkini sur la plage. De son côté, Gilles Simeoni, le président (régionaliste) du Conseil exécutif de Corse, craint une escalade de la violence. « La tension ne doit pas rejaillir sur l’ensemble de la population originaire du Maghreb, dont la très grande majorité respecte nos valeurs », assure-t-il.

    Sur les réseaux sociaux, d’autres appels au rassemblement fleurissent déjà pour les prochains jours. Délibérément discrets pour ne pas ajouter aux tensions, les élus redoutent d’autres affrontements. Plusieurs témoins auraient entendu des membres du groupe de Bastia lancer un défi aux habitants de Sisco : « Vous n’avez qu’à venir nous voir à Lupino. »

    Le Parisien

    http://www.voxnr.com/647/affrontements-risque-de-lescalade-corse

  • « Monnaie et souveraineté » par Gabriel Rabhi

    L’origine de la monnaie

    Article-monnaie-et-souveraineté-300x169.jpgLa monnaie est au coeur de nos économies. Tout le monde travaille pour gagner de l’argent. Cet argent doit être créé, par quelqu’un, par une institution ou par une banque. Or, le fait est que rares sont les citoyens qui savent précisément qui créé l’argent.

    Bien avant cela, avant que des institutions créent l’argent que nous utilisons tous, il a fallu inventer l’instrument monétaire. La monnaie est une vielle invention. Il règne autour de l’origine de la monnaie un certain flou. L’origine la plus répandue est celle de la facilitation des échanges marchands. Nous serions passés du troc, peu pratique, à la monnaie marchandise, c’est à dire à des biens utilisés comme monnaie, tels du bétail, des denrées alimentaires ou des céréales, puis de métaux plus ou moins rares et précieux, jusqu’a la monnaie de crédit moderne dite monnaie fiduciaire.

    Le fait est que cette version de l’origine de la monnaie et du crédit est pratique, bien que contestable, contestée voire fantaisiste, car elle n’est pas cohérente avec la réalité historique. En voici une autre qui va nous permettre d’éclairer les principaux acteurs de cette institution majeure dont nos existences dépendent.

    Dans l’antiquité, avec la sédentarisation, l’agriculture et le développement des échanges, les hommes comptabilisaient leurs dettes entre eux. L’un avait donné des pommes de terre à l’autre. Il avait une dette jusqu’au moment ou il pourrait la rembourser en nature, en marchandise ou en service. Ce n’était pas du troc mais du crédit, essentiellement sous la forme d’échanges différés de biens et de services. Et c’est la confiance qui permettait aux hommes de se faire crédit – la confiance dans le fait que la solidarité mènerait à des échanges équitables et à ce que les dettes soient soldées. Durant des milliers d’années, la monnaie n’existait pas. Dans les communautés les plus étendues les hommes notaient les échanges réalisés, de sorte que chacun donne autant qu’il reçoit. Pour gérer les dettes et quantifier les échanges l’homme a inventé l’écriture, l’école, la métrologie, mais aussi les tribunaux pour gérer les litiges. La valeur marchande des biens et services étaient mesurée par exemple en têtes de bétail ou en céréales. On a retrouvé de nombreux registres où étaient consigné des dettes quantifiées dans diverses unités de compte, notamment des centaines de milliers de tablettes de l’époque sumérienne – datant de 3000 ans avant notre ère.

    De tous temps, les hommes ont cherché des explications à la vie et à la mort. Beaucoup ont imaginé des puissances invisibles, des dieux nous prêtant la vie à notre naissance, puis nous la reprenant à notre mort. Endettés envers les dieux, les craignant au plus haut point, nous nous inventions des règles, une morale, voire des rites et sacrifices pour entretenir ce qui était interprété comme une dette de vie.

    Si tous les hommes avaient une dette envers les Dieux, les esclaves avaient une dette infinie envers leurs maitres. De ce fait, ils leurs devaient toute leur force de travail. Et quand les sociétés humaines se sont étendues des souverains, des nobles, des clercs ou des guerriers se sont imposés comme dominants, régnants sans partage, menant de nombreuses campagnes pour étendre leurs territoires jusqu’à former de véritables empires. Les populations autochtones des régions conquises furent d’abord méthodiquement massacrées, ce qui facilitait pour les colonisateurs l’occupation des terres. Puis les conquérants ont compris qu’il était beaucoup plus rentable d’épargner les populations locales et de les exploiter, de les accabler là aussi d’une dette sans fin.

    Le pouvoir prélevait une partie des récoltes ou des marchandises produites par ces populations sous la forme d’impôts. Conquérir de nouveaux territoires permettait ainsi d’accumuler richesses et force de travail. L’impôt était une dette des sujets vis-à-vis du pouvoir, une dette infinie, perpétuelle, sur le modèle de la dette envers les dieux, ou de la dette des esclaves envers leurs maitres. Les sujets avaient parfois l’obligation de se battre pour le pouvoir, au nom de la dette envers le souverain et sa nation : c’est la dette de sang. On pouvait mourir pour rembourser les Dieux, mais aussi pour la nation et pour contribuer aux conquêtes du souverain. Cette conception de la dette, parfois nommée « dette primordiale » permit l’établissement de pouvoirs centralisés, parfois théologiques – dans les grandes religions on retrouve la notion du pêché, de rédemption, de rachat d’une dette – qui deviendraient plus tard la forme actuelle de l’état.

    Si de nombreuses monnaies ont existées localement à très petite échelle – pour faciliter les échanges ou les crédits – c’est environ 700 ans avant Jésus Christ que des pouvoirs centralisés ont inventé les premières formes de monnaie. Il s’agissait d’objets métalliques, généralement constitués d’un métal précieux rare et durable comme l’Or ou l’Argent, ou bien de métaux plus vulgaire comme le bronze – objet dont le pouvoir s’attribuait l’exclusivité de la production. Des esclaves extrayaient les métaux que le souverain employait pour fabriquer les pièces de monnaie à son effigie. Les faux monnayeurs étaient sévèrement punis.

    Le souverain payait les mercenaires avec la monnaie qu’il fabriquait. Les mercenaires imposaient cette monnaie par la force comme paiement aux marchands, aux paysans, aux artisans. Le souverain levait ensuite des impôts en monnaie, celle-là même qu’il produisait. De ce fait, tous les sujets avaient intérêt à avoir de la monnaie pour payer l’impôt, afin d’éviter de se retrouver esclave, emprisonné ou pendu. La monnaie du souverain était ainsi imposée aux populations par la force pour permettre aux mercenaires de subvenir à leurs besoins, et devenait la monnaie pour tous les échanges marchands par nécessité. Le souverain pouvait donc financer ses campagnes militaires, son administration et acheter des biens et des services à ses sujets avec la monnaie qu’il fabriquait lui même.

    La nécessité de se procurer de la monnaie du souverain pour payer l’impôt a provoqué l’apparition des marchés. Les échanges locaux, les crédits entre voisins, ont été remplacés par des marchés où circulait la monnaie du souverain, et ou les mercenaires vennaient s’approvisionner. C’est par la violence que les souverains ont imposé leur monnaie, et c’est cette même violence qui fut à l’origine du marché tel que nous le concevons aujourd’hui : un espace où une demande et une offre se rencontrent, provoquant des échanges dans la monnaie d’un pouvoir central prédateur – parasitaire diraient certains – ayant autorité.

    La monnaie a donc été inventée pour faire la guerre par le paiement des mercenaires, et pour remplacer la levée des impôts en nature – en récolte ou en production – qui était vécue comme un pillage par les populations dominées. La monnaie est avant toute chose la forme choisie par le pouvoir pour lever les impôts.

    Cette forme d’Etat n’existe qu’en tant que gestionnaire de sa monnaie, qu’il fait régner grâce aux mercenaires qu’il entretient parce qu’il s’octroie le privilège de la violence – la violence d’Etat. Aucune extorsion de richesse par la violence n’est tolérée en dehors de celle ordonnée par le pouvoir. La monnaie est donc l’instrument central de sa souveraineté. C’est le trésor du pouvoir – le butin – qui permettait le paiement des mercenaires, la levée des impôts, le fonctionnement de la justice et des administrations. Ce sont là les premières versions de ce qui deviendra plus tard le trésor publique. De Rome jusqu’en Chine, les empires se sont bâtis en imposant leur monnaie sur les territoires conquis, en partenariat avec les mercenaires avec lesquels ils partageaient leurs butins.

    Les pièces de monnaie sont généralement composées de deux faces : sur l’une on trouve l’effigie du pouvoir ou du souverain qui la fabrique – empereur, état ou zone monétaire -désignant qui lève les impôts. La seconde présente la valeur – le nombre d’unités de compte attribué à la pièce de monnaie. Ces deux faces décrivent le montant et le bénéficiaire de l’imposition que permet cette monnaie.

    Il était dans l’intérêt des souverains que les sujets soient riches. Plus les sujets produisaient et commerçaient, plus ils étaient riches, et plus le pouvoir disposait de richesses réelles à récupérer par le circuit monétaire du trésor. De grandes familles de négociants, de marchands et producteurs ont prospéré dans leurs intérêts propres, mais aussi dans celui du pouvoir qui fabriquait la monnaie. A tel point que ces marchands pouvaient prêter des métaux précieux aux souverains. Mais si le pouvoir tolérait ces pratiques, il gardait la maitrise des armées et conservait tant que possible le privilège de la violence.

    Les riches commerçants pouvaient aussi faire fructifier les richesses qu’ils avaient accumulées en les prêtant à ceux qui en avaient besoin. Cela favorisait le développement de l’économie. De possédants ils sont devenus financiers, partageant le trafic des métaux précieux et la gestion des dettes avec le pouvoir qui pour sa part conservait ses fonctions régaliennes : créer la monnaie, lever les impôts et assurer l’administration, le législatif, la justice et les forces armées.

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  • La Démocratie au Moyen Âge !

    En dépit de la vague romantique qui, au XIXe siècle, va entreprendre une réhabilitation partielle et souvent mythique du récit « historique » de cette longue époque (un millénaire) que les érudits de la renaissance ont reléguée au rang de « moyen-âge », l’imagerie commune en garde encore des idées complètement fausses : le moyen-âge, pour beaucoup, c’est l’époque où le petit peuple, ignorant et analphabète, est soumis au diktat implacable d’un ordre politique militaire monarchique, et d’un ordre spirituel clérical séculaire et dogmatique ; c’est l’époque des seigneurs, de l’inquisition, des sorcières et des bûchers ; c’est l’époque des guerres incessantes, des croisades sanglantes et de la peste ; en résumé, le moyen-âge serait une époque obscure, sombre, « gothique ». Voici ce que nous en dit Michel FRAGONARD :

    « (…) l’histoire représente, au XIXe siècle, un enjeu « politique » essentiel (en témoigne d’ailleurs l’attention des gouvernements, dont l’action d’un Guizot, lui-même historien, est le meilleur exemple) : sa promotion est inséparable de l’affirmation du sentiment national, fruit à la fois de la Révolution française et des courants romantiques allemands ; et l’un des enjeux essentiels est la question des origines nationales. On comprend alors l’intérêt des historiens, initiateurs et propagateurs de cette conscience nationale, pour le Moyen Age, aux fondements de la nation. Intérêt non dépourvu de considérations idéologiques : au moment où, en France, conscience nationale et aspiration démocratique sont intimement liées dans une mystique du « peuple » (notion combien ambiguë), l’œuvre d’Augustin Thierry (Récits des temps mérovingiens, Essais sur la formation et les progrès de l’histoire du Tiers État) est sous-tendue par une thèse historico-ethnique (les origines proprement « gauloises » du peuple français, à contre-pied d’une historiographie « aristocratique » insistant sur les origines franques). Dans cette quête historique d’un Moyen Age où se trouvent les sources de la nation, l’exemple le plus illustre, en France, est celui de Michelet, qui consacre six volumes de sa monumentale Histoire de France (inachevée) au Moyen Age et qui, dans ses autres ouvrages, revient régulièrement sur la période (voir la Sorcière). »

    Il nous suffit de voir à quoi ressemble ce mouvement culturel « gothique » né dans les années 1990, qui mêle à la fois l’imagerie mythique de ce moyen-âge du XIXe siècle et les idées les plus noires que le quidam se fait de cette ère. Vêtus et maquillé de noir ou de sombre, visages tristes ou désespérés, véhicules « morts-vivants » d’un romantisme lui-même sombre, noir et désenchanté.

    Que dire alors de l’idée que l’on se fait au sujet de la politique au moyen-âge ? A l’évocation d’une démocratie au moyen-âge, la plupart vont faire les yeux ronds et se dire « mais de quoi parle-t-il ? ». Moyen-âge et démocratie sont deux termes que la plupart considèrent antinomiques. Or, la réalité est bien différente. La démocratie était plus vivace durant la majeure partie du moyen-âge et de la renaissance, qu’elle ne le fut depuis la Révolution. En fait, c’est la Révolution qui va éteindre un ensemble de pratiques démocratiques populaires qui perdurera jusqu’au XVIIIe siècle.

    Ce que je découvre, en parcourant l’excellent livre de Francis Dupuis-Déri « Démocratie. Histoire politique d’un mot aux États-Unis et en France », est entre autre une déconstruction radicale de ce moyen-âge obscurantiste que l’élite contre révolutionnaire et le « siècle des Lumières » a durablement imprimé dans nos esprits. Permettez-moi de partager avec vous les quelques passages de ce livre qui nous éclairent sur cette activité démocratique vivace au moyen-âge.

    « Au Moyen Age et pendant la Renaissance européenne, des milliers de villages disposaient d’une assemblée d’habitants où se prenaient en commun les décisions au sujet de la collectivité. Les « communautés d’habitants », qui disposaient même d’un statut juridique, ont fonctionné sur le mode de l’autogestion pendant des siècles. Les rois et les nobles se contentaient de gérer les affaires liées à la guerre ou à leurs domaines privés, d’administrer la justice et de mobiliser leurs sujets par des corvées. Les autorités monarchiques ou aristocratiques ne s’ingéraient pas dans les affaires de la communauté, qui se réunissait en assemblée pour délibérer au sujet d’enjeux politiques, communaux, financiers, judiciaires et paroissiaux[1]. »

    Voilà déjà qui tranche avec les images d’une monarchie omnipotente et omniprésente, gérant, en collaboration avec l’Église, tous les faits et gestes de leurs sujets. En réalité, l’aristocratie nobiliaire avait bien d’autres chats à fouetter que de s’occuper des affaires du peuple, et elle laissait donc volontiers à ses gens le soin de s’occuper de leurs propres affaires. Le peuple disposait donc de fait d’une large autonomie, autrement plus grande que nous n’en disposons actuellement sous le régime prétendument représentatif. Et cette autonomie s’étendait sur des domaines importants et essentiels, comme nous allons le voir.

    « On discutait ainsi des moissons, du partage de la récolte commune ou de sa mise en vente, de la coupe de bois en terre communale, de la réfection des ponts, puits et moulins, de l’embauche de l’instituteur, des bergers, de l’horloger, des gardes-forestiers, parfois même du curé, des gardiens lorsque sévissaient les brigands, les loups ou les épidémies. On y désignait ceux qui serviraient dans la milice, on débattait de l’obligation d’héberger la troupe royale ou de l’utilité de dépêcher un notable pour aller soumettre à la cour des doléances au nom de la communauté. »

    Imaginez que, dans votre ville ou votre commune, de nos jours, vous puissiez, par le biais d’une assemblée communale publique, décider en commun de la répartition de la récolte commune ou de sa mise en vente (alors qu’aujourd’hui, les paysans – souvent les « serfs » modernes de l’industrie agro-alimentaire – se voient imposer leur cotât de production, les prix de vente, le cahier des charges et jusqu’aux semences qu’ils peuvent utiliser), la réfections ou l’édification des ouvrages d’art (routes, voiries communales, ponts, éoliennes, barrages, écluses, etc.), de qui, parmi les habitants, servira dans la police municipale (qui est maintenant un corps centralisé au service de l’Etat, et non du peuple). Impensable, n’est-ce pas ? Pourtant, les assemblées d’habitants étaient dynamiques.

    « Il y avait environ dix assemblées par an, parfois une quinzaine. Elles se déroulaient sous les arbres (le chêne), au cimetière, devant ou dans l’église, ou encore dans un champ. Bref, dans un lieu public, car il était interdit de tenir l’assemblée dans un lieu privé, pour éviter les magouilles. Une étude statistique de quelque 1500 procès-verbaux indique que ces assemblées comptaient en moyenne 27 participants, soit une représentation d’environ 60% des foyers des communautés, et pouvaient même accueillir jusqu’à quelques centaines d’individus, dont 10 à 20% de femmes. Mais à l’époque, dix personnes suffisaient pour former « un peuple » et tenir une assemblée. La participation à l’assemblée était obligatoire et une amende était imposée aux absents quand l’enjeu était important. Un quorum des deux tiers devait alors être respecté pour que la décision collective soit valide, par exemple celle d’aliéner une partie des biens communs de la communauté (bois ou pâturage). Il était si important que la communauté s’exprime que même lorsque la peste a frappé dans la région de Nîmes, en 1649, l’assemblée a été convoquée dans la campagne sur les deux rives d’une rivière, pour permettre de réunir à la fois les personnes ayant fui la ville et celles qui y étaient restées. En général, le vote était rapide, à main levée, par acclamation ou selon le système des « ballote » distinguant les « pour » des « contre » par des boules noires et blanches. Lorsque la décision était importante, les noms des personnes votantes étaient portés au procès-verbal. »

    Ainsi, le peuple, au moyen-âge, parvenait à s’autogérer sur tout un ensemble de domaines considérés non comme « privés », mais comme publiques, car à l’inverse de nous, les « modernes » atomisés par une culture du chacun pour soi (la culture individualiste que nous devons à l’origine aux physiocrates du XVIIIe siècle et à leurs successeurs libéraux et capitalistes du XIXe et du XXe siècle), nos ancêtres « médiévaux » avaient conscience de l’interdépendance mutuelle dans laquelle ils étaient, et la majeure partie des ressources produites par la terre étaient considérées comme un ensemble de richesses communes, non comme des richesses privées. Cela n’empêchait pas le commerce, l’artisanat, ni même une certaine forme d’industrie. Ils parvenaient, en dépit de leurs intérêts individuels, à s’entendre et à gérer eux-mêmes ces ressources en commun, chose qui nous semblent aujourd’hui hors de portée – il suffit, pour s’en convaincre, de voir les commentaires récurrents qui décrient l’apathie populaire et considère, aujourd’hui, la masse comme incapable de débattre et de décider communément de ses propres intérêts. Ainsi, il serait impossible aux hommes « modernes » de ce XXIe siècle de faire ce que les paysans « incultes » du moyen-âge faisaient couramment ? Si cela est vrai, pouvons-nous encore parler de « progrès de la modernité » ? Ne devrions-nous pas plutôt faire le terrible constat de la régression imposée par cette « modernité » ?

    « La démocratie médiévale, bien vivante alors, mais aujourd’hui si méconnue, permettait au peuple de traverser de longs mois sans contact direct avec des représentants de la monarchie, une institution qui offrait finalement très peu de services à sa population composée de sujets, non de citoyens. En d’autres termes : un territoire et une population pouvaient être soumis à plusieurs types de régimes politiques simultanément, soit un régime autoritaire (monarchie pour le royaume, aristocratie pour la région) et un régime égalitaire (démocratie locale ou professionnelle). »

    On rêverait, de nos jours, de disposer de cette autonomie et de ce régime égalitaire, rien qu’au niveau local de nos villes ou de nos communes. Or, même cela nous est refusé, et cette simple idée fait se dresser un mur de défit et de mépris qui, au moyen-âge ou à la renaissance, aurait donné lieu à une « jacquerie », une révolte justifiée du peuple contre l’oppression d’un pouvoir par trop dictatorial et jugé tyrannique. En Espagne, les autorités gouvernementales ont mis leurs institutions judiciaires en marche pour détruire cette expérience unique d’autogestion réussie dans la petite ville andalouse deMarinaleda, dont le succès jette une lumière crue sur l’échec de la politique libérale nationale. Décidément, les « élites » libérales, de gauche comme de droite, n’aiment pas la démocratie, et ils le montrent de façon brutale. Cet événement récent montre ce qui se produisit à la Révolution et qui signa durablement le glas de l’expérience démocratique populaire.

    « Les communautés d’habitants et les guildes de métiers perdent peu à peu de leur autonomie politique non pas en raison d’un dysfonctionnement de leurs pratiques démocratiques, qui se poursuivent dans certains cas jusqu’au XVIIIe siècle, mais plutôt en raison de la montée en puissance de l’État, de plus en plus autoritaire et centralisateur. [...] Or, si la démocratie locale peut bien s’accommoder d’un roi et même l’honorer, c’est dans la mesure où il se contente de rendre justice et de vivre surtout des revenus de ses domaines. De nouveaux prélèvements fiscaux et l’élargissement de la conscription militaire sont perçus dans les communautés comme le résultat de mauvaises décisions du roi ou de ses conseillers, et comme une transgression inacceptable et révoltante des coutumes et des droits acquis. L’assemblée d’habitants est alors un espace où s’organise la résistance face à cette montée en puissance de l’État. »

    Voilà ce que l’élite contre-révolutionnaire – les « patriotes » et les « pères fondateurs » du XVIIIe siècle, ont très bien compris, et voilà pourquoi ils se sont attaché à décrier cette population agissante. Jugeons donc de cette sentence de ce procureur de la république qui este contre Babeuf dans un procès en trahison – et l’accuse par ailleurs d’être un « anarchiste » :

    « Qui oserait calculer tous les terribles effets de la chute de cette masse effrayante de prolétaires, multipliée par la débauche, par la fainéantise, par toutes les passions, et par tous les vices qui pullulent dans une nation corrompue, se précipitant tout à coup sur la classe des propriétaires et des citoyens sages, industrieux et économes ? Quel horrible bouleversement que l’anéantissement de ce droit de propriété, base universelle et principale d’ordre social ! Plus de propriété ! Que deviennent à l’instant les arts ? Que devient l’industrie ?[2] »

    Que voulait Babeuf ? Selon lui, la société était divisée en deux classes aux intérêts opposés, soit l’élite et le peuple. Chacune voulait la république, mais l’une la voulait bourgeoise et aristocratique, tandis que l’autre entendais l’avoir faite populaire et démocratique. Populaire et démocratique ? Vous n’y pensez pas !

    L’interdiction de s’assembler est alors justifiée par un discours qui relève de l’agoraphobie politique : on présente les assemblées comme tumultueuses et contrôlées par les pauvres. En 1784, l’intendant de Bourgogne explique ainsi que : « ces assemblées où tout le monde est admis, où les gens les moins dociles font taire les citoyens sages et instruits, ne peuvent être qu’une source de désordre ». Le ton est donné. Ce genre de discours, nous ne le connaissons que trop, encore aujourd’hui. Pourtant, l’historien Antoine Follian écrit qu’il « n’y a probablement pas plus de  »tumultes » au XVIIIe siècle qu’au XVIe siècle. Soit les autorités s’offusquent de choses qui n’en vallent pas la peine, soit ce n’est qu’un prétexte pour servir une politique de resserrement des assemblées sur les  »notables » ».

    Parfois, le rejet des principes démocratiques sont moins virulents, tout en étant pourtant suffisamment catégoriques pour en rejeter l’idée même. Ainsi Bresson écrit dans ses Réflexions sur les bases d’une constitution, par le citoyen[3] :

    « Je sais fort bien ce qu’est une république démocratique ; mais je ne peux concevoir une constitution démocratique pour un pays qui ne peut être une république démocratique. Dans une république démocratique, le peuple en corps a le débat des lois, adopte ou rejette la loi proposée, décide la paix ou la guerre, juge même dans certaines circonstances. Cela est impossible, physiquement impossible en France ; ainsi la France ne peut être une république démocratique : c’est mentir à la nature même des choses que de la nommer ainsi[4]. »

    De l’autre côté de l’Atlantique, dans les États-Unis émergeant de leur propre révolution, d’autres expriment la même idée, pour les mêmes raisons, ainsi par exemple le fédéraliste Noah Webster qui explique :

    « Dans un gouvernement parfait, tous les membres d’une société devraient être présents, et chacun devrait donner son suffrage dans les actes législatifs, par lesquels il sera lié. Cela est impraticable dans les grands États ; et même si cela l’était, il est très peu probable qu’il s’agisse du meilleur mode de législation. Cela a d’ailleurs été pratiqué dans les États libres de l’Antiquité ; et ce fut la cause de malédictions innombrables. Pour éviter ces malédictions, les modernes ont inventé la doctrine de la représentation, qui semble être la perfection du gouvernement humain. »

    On voit bien, aujourd’hui, la damnation à laquelle nous a mené, en un peu plus de deux siècles de « perfection du gouvernement humain », la représentation ! son bilan à lui seul réduit en miette les sophismes des pères fondateurs et révèle surtout que leur dialectique avait essentiellement pour vocation le service de leurs intérêts de classe sociale dominante, et que ces arguments étaient très certainement fondés… pour décrier l’aristocratie bourgeoise !

    De  nos jours, les mêmes sophismes et les mêmes raisonnements antidémocratiques, exprimant une agoraphobie politique(détestation de la démocratie dite « directe ») culturellement imposée depuis deux siècles à l’inconscient collectif, se retrouvent jusque dans la conception populaire qui, comme par une sorte de syndrome de Stockholm collectif, se fait elle-même, parfois, défenseur de cette rhétorique qui peut se résumer en quatre points, comme le synthétise Francis Dupuis-Déri dans son livre :

    « 1) le « peuple », poussé par ses passions, serait déraisonnable en matière politique et ne saurait gouverner pour le bien commun. »

    > Je ne dirais pas les choses autrement au sujet des gouvernements prétendument représentatif et de cette « élite » oligarchique qui nous gouverne depuis deux siècles. Pour le dire autrement : « c’est c’ui qui dit qui est » (désolé, mais c’est vraiment là qu’on en est !).

    « 2) conséquemment, des démagogues prendraient inévitablement le contrôle de l’assemblée par la manipulation. »

    > En conséquence, des lobbys financiers et industriels prennent inévitablement le contrôle de l’assemblée par la corruption et la manipulation, tandis que les démagogues divisent les peuples dans de faux enjeux politiques de façade, laissant libre court en coulisses aux magouilles politiques les plus scandaleuses.

    « 3) l’agora deviendrait inévitablement un lieu où les factions s’affrontent et la majorité impose sa tyrannie à la minorité, ce qui signifie généralement qu’en démocratie (directe), les pauvres, presque toujours majoritaires, opprimeraient les riches, presque toujours minoritaires. »

    > L’agora devient le lieu où des factions s’affrontent sur des enjeux factices (au travers les affrontement des partis politiques pour accéder ou conserver le pouvoir), permettant toujours aux minorités (généralement les plus riches) de l’emporter sur la majorité (généralement les plus pauvres ou les moins bien nantis).

    « 4) enfin, la démocratie directe peut être bien adaptée au monde antique et à une cité, mais elle n’est pas adaptée au monde moderne, où l’unité de base est la nation, trop nombreuse et dispersée pour permettre une assemblée délibérante. »

    > Dès lors, l’oligarchie (travestie en pseudo démocratie « moderne ») est bien adaptée au gouvernement des États modernes libéraux, et toute forme de démocratie, même locale, est une entrave inacceptable à la main mise des marchés sur les ressources et à l’exploitation des travailleurs actifs, toujours majoritaires, par la minorité rentière passive, toujours minoritaire. Francis Dupuis-Déri est très clair sur un point essentiel :

    « L’idée et l’idéal de « république » a déterminé en grande partie la formation du régime électoral libéral que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de « démocratie ». Donc, l’idée de « démocratie » n’a pas joué de rôle déterminant dans l’instauration des démocraties modernes libérales pour la simple et bonne raison que les patriotes les plus influents et leurs partisans étaient animés par un idéal républicain. La république représentait le régime modèle de patriotes notoires [...]. »

    C’est donc dire – et là je m’adresse tout spécialement à vous, amis français (je suis Belge) – que la république fut, a toujours été, et est encore l’enterrement définitif de tout projet de (vraie) démocratie. En ne cessant, comme une antienne, de vous référer à « la République »[5], vous vous faites défenseur d’un régime qui dès l’origine et à toutes les époques fut instauré pour empêcher la démocratie et imposer le dictat d’une minorité possédante et dominante sur une majorité dépossédée et dominée. Si j’étais français, je ne militerais donc certainement pas pour une « VIème République », mais bien pour une « Première Démocratie ».

    Au minimum, il nous faut reconquérir cette précieuse et vitale autonomie communale que même la vile engeance monarchique accordait aux gueux que furent nos ancêtres, et que nous refusent avec force et obstination nos prétendus représentants « démocratiquement élus » (cherchez l’erreur). Si nous ne nous en montrons pas capable, alors que la malédiction de la tyrannie oligarchique et ploutocratique continue à s’abattre implacablement sur nous et qu’elle étouffe à jamais nos plaintes et nos cris !

    Nous pourrons alors à nouveau aller crever dans les tranchées en chantant avec Jacques Brel « Oui not’ Monsieur, oui not’ bon Maître ».

    Comme en ’14…

    Morpheus


    [1] Henry Bardeau, « De l’origine des assemblées d’habitants », Droit romain : du mandatum pecuniae – Droit français : les assemblées générales des communautés d’habitants en France du XIIIe siècle à la Révolution, Paris, Arthur Rousseau, 1893, p. 63.

    [2] Gérard Walter, op. cit., p. 230-231.

    [3] Où l’on peut voir que l’idée de Étienne Chouard n’a rien de neuf et fut bel et bien menée – et tuée dans l’œuf – au moment de la Révolution.

    [4] Jean-Baptiste Marie-François Bresson, op. cit., p. 2-3.

    [5] Prenez donc, s’il vous plaît, un peu de recul et montrez-vous, juste un moment, autocritique, et vous verrez à quel point ce mot de « république » vous empoisonne l’esprit et obscurcit ce que votre discernement pourrait éclairer : les républiques n’ont jamais été des démocraties, mais au contraire, furent toujours des oligarchies.

    http://vouloir.hautetfort.com/archives/category/tradition/index-20.html

  • Conférence : Hilaire de Crémiers à Nancy le 30 septembre

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    Notez dès maintenant la date de cette réunion - 30 septembre - et diffusez cette invitation sans modération.  

    Amicalement 

    Philippe SCHNEIDER

    Président de l'U.S.R.L

    UNION DES SECTIONS ROYALISTES LORRAINES