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Les Vendéens ne sont pas des chouans

Les quatre mille noyés par Carrier n’étaient pas des chouans mais des Vendéens retenus prisonniers dans les prisons de Nantes… Les “gazés” de l’Entrepôt des cafés également. Un excellent article du Figaro (24.07.2017), signé de Sébastien Lapaque, laisse passer une banalité très courante dans un papier sur les vins des Fiefs vendéens. Sans chercher plus avant, il imagine “chouan” un vigneron remarquable de l’appellation (AOC). Peut-être ignore-t-il la différence ?

Voici ce qu’écrivent dans leur Nouvelle histoire des Guerres de Vendée[1], Jean-Joël Brégeon et Gérard Guicheteau :

« L’origine de cette confusion est peut-être à rechercher dans la continuité chronologique qui a existé entre les guerres de Vendée et les guérillas des chouans. Ce sont souvent les mêmes hommes qui ont réduit les insurgés vendéens et traqué les groupes de partisans des autres.

Il faut cependant chercher ailleurs l’origine de la confusion entre la Vendée et les chouans : dans la nécessité “idéologique” pourrait-on dire. Pour les royalistes de 1815 et d’après, tout comme pour leurs adversaires républicains, la Vendée et les chouans devaient faire un bloc, un tout, susceptible de magnifier la cause de son propre camp et de “diaboliser” la cause défendue par le camp d’en face. Cela devait faire oublier, pour les uns, la terrible inaction des émigrés en 1793-1794, et pour les autres, justifier l’idée qu’ils continuaient d’avoir du complot explicatif. Ils avaient oublié, bien sûr, ce que le général Canclaux écrivait alors qu’il commandait à Nantes : “Ce n’est pas d’après le plan de la Rouerie que les Vendéens se sont soulevés. Le plan de la Rouerie tendait à faire de la Bretagne ce que le hasard a fait de la Vendée“.

La Virée de galerne pose d’une manière crue la question des rapports qui ont pu exister entre le soulèvement vendéen et celui du Maine, du Bas-Anjou et de la Bretagne. En effet, les paysans du sud de la Loire purent constater amèrement à leurs dépens que leur cause n’était pas celle de leurs voisins du nord. C’est à peine si cinq mille “conspirateurs” rejoignirent la grande armée quand celle-ci occupa Laval, le 22 octobre 1793. Encore s’agissait-il des hommes de Jean Chouan : colporteurs, contrebandiers sans emploi, faux-sauniers regrettant la gabelle, braconniers des forêts domaniales… auxquels s’étaient joints des amis d’émigrés en relation plus ou moins suivie avec les réfugiés de Londres ou des îles Anglo-Normandes.

Il faut être clair : les paysans qui virent passer et repasser la grande armée et la foule qui l’accompagnait, ne prirent pas leur parti. De plus, la puanteur et la maladie ne les incitaient pas à la charité. Si certains firent preuve d’un grand courage en cachant et protégeant des “brigands”, d’autres, en nombre égal et même supérieur vers la fin décembre,  les dénoncèrent aux Bleus. Certains même leur donnèrent la chasse, apportant ainsi leur contribution à la terreur. On a certes pu parler d’une “petite Vendée” à propos des ralliés à la grande armée, mais cette exception ne peut pas masquer la différence. Amédée de Béjarry résume très bien la situation historique, pour sa part, quand il écrit : “En 1793, la Bretagne s’agitait pendant que la Vendée combattait“.

La confusion est patente et Simone Loidreau s’en amuse[2] : « De nos jours, le mot chouan recouvre tous les adversaires de la Révolution, dans la France de l’Ouest… (Les Vendéens) acceptent facilement le surnom… on ne compte plus le nombre d’enseignes de cafés, de restaurants, d’hôtels, baptisés « Auberge du vieux chouan », le « Relais des chouans »… Bien mieux, on a créé, depuis quelques décennies une « liqueur des chouans », qui est fabriquée en Vendée… »

Anne Bernet, qui a tenté, et plutôt réussi, la synthèse de la chouannerie, préfère parler « des » chouanneries.[3] Elle insiste, ce « n’est pas la Vendée, ce sud de la Loire qui, unanime derrière des généraux obstinés à faire la guerre en dentelles, se souleva d’un bloc… » Pour Anne Bernet, la chouannerie est confinée dans le schéma de la “petite guerre“, ce qui la rend très difficile à éteindre mais incapable  de l’emporter. (…) Notons enfin qu’Anne Bernet s’étend sur la spécificité chouanne en soulignant ses racines « celtes » : « S’il est un sentiment que l’âme chouanne et l’âme celte ont en commun, c’est l’amour fou de la liberté. »

Roger Dupuy considère la chouannerie comme une « Vendée avortée ».[4] Mais il met à distance les particularismes culturels des uns et des autres pour estimer que les différences tiennent « à une conjoncture militaire puis politique différente. » Dupuy observe que « le comportement des paysans de tout l’Ouest bocager est identique, de part et d’autre de la Loire. » Des plaintes, des doléances, quelques satisfactions puis la déception qui fait douter de la Révolution. Pour cet historien, le soulèvement de mars 1793 a toutes les allures d’une jacquerie et la chouannerie en est une autre… Au final, les insurrections de l’Ouest apparaissent comme un ultime combat pour les libertés et franchises locales « face aux exigences de l’Etat nouveau qui ne tolère plus ni les accommodements avec le passé ni les pluralité des législations. »

Claude Petitfrère ajoute ceci [5]« La Bretagne, le Maine, l’Anjou septentrional ne connaîtront que la Chouannerie. Cette révolte, qui éclatera au début de 1794, est proche cousine de celle de la Vendée mais s’en distinguera par deux caractères principaux : alors que la Vendée est un phénomène de masse qui soulève pour de longs mois la population d’un espace relativement homogène et bien circonscrit, la Chouannerie est une guérilla endémique avec des flambées de violence épisodiques dans un territoire en peau de léopard où voisinent les zones fidèles à la Révolution et d’autres fortement hostiles. »

Comme le dit très bien le bourreau de la Vendée, le général Turreau : “C’est à tort que l’on comprend sous la dénomination générale de Chouans ou de Vendéens, tous les révoltés qui ont agité successivement la plupart des départements de l’Ouest. Il ne faut pas confondre les rebelles d’outre-Loire avec ceux de la rive droite, ni les révoltés du Morbihan avec les Vendéens ou les brigands du Marais, parce que les événements, la localité et l’existance (sic) politique des insurgés ont assigné à ces guerres des caractères très-différents. (…) Le pays infesté par les chouans est fort étendu et forme à-peu-près un quarré, dont Nantes, Angers, Mayenne et Rennes sont les angles. Ils se montrent aussi quelquefois sur les routes de Fougères et de Dol à Rennes. Leurs rassemblements ne sont que de trente à quarante hommes, et il est rare qu’à nombre égal ils osent faire résistance aux troupes républicaines. [6] Turreau était un “expert”…  Cela signifie aussi que dès la pacification de février 1795, date à laquelle paraissent ces Mémoires, l’habitude était déjà prise de confondre et d’amalgamer les deux principales oppositions à La Révolution.

L’historien, Roger Dupuy, a parfaitement mis l’accent sur l’essentiel lors du colloque international qui se tint en avril 1993, à la Roche-sur-Yon : « Les différences ne sont pas dues à des particularismes culturels hérités mais à une conjoncture militaire différente ». L’histoire, en effet, a pu vérifier. »

Morasse

[1] Editions Perrin, 2017.

[2] Simone Loidreau, Vendéens et Chouans, Paris, Economica, 2010.

[3] Anne Bernet, Histoire générale de la Chouannerie, Perrin, 2000 réédition en 2016.

[4] Roger Dupuy, “Vendée et chouannerie ou les apparences de la différence”, in La Vendée dans l’histoire, Paris, Perrin, 1994.

[5] Claude Petitfrère, La Vendée et les Vendéens, Paris, Gallimard, 2015.

[6] Louis-Marie Turreau, Mémoires pour servir à l’histoire de la guerre de Vendée, 1795, pp. 17, 18 et 20.

Crédit photo :  DR
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