« La France, spontanément, n’aime pas la démocratie. Elle ne se complaît que dans l’autorité tempérée par l’anarchie. De nouveau les grenouilles demandent un roi. Voilà deux cents ans que cela dure. » Ce n’est pas nous qui le disons, mais Jacques Julliard, dans son éditorial du dernier Marianne [1].
Certes, comme s’il avait peur de la vérité très maurrassienne qu’il venait de formuler, il lui fallait bien la tempérer par un jugement hautain sur ses compatriotes — De Gaulle les traitait bien de « veaux ». Qu’importe ? Ce n’est pas en se retranchant de ses concitoyens pour mieux les mépriser qu’on devient La Fontaine, et l’aveu lui a bel et bien échappé : la France, depuis le « suicide » (Ernest Renan) du 21 janvier 1793, n’a toujours pas résolu le problème du pouvoir et les Français n’ont toujours pas fait leur deuil du roi. C’est un aveu d’une violence et d’une panique inouïes si on veut bien considérer qu’il sort de la bouche d’une de ces icônes journalistiques qui ont l’habitude de verser, chaque semaine, à leurs lecteurs des soupes tièdes de lieux communs politiquement corrects visant à les désespérer de tout changement possible. Du reste, on ne se refait pas, puisqu’il considère toujours « François Hollande comme le meilleur compromis politique et social qui se puisse trouver dans un pays confronté à la plus grave dépression nerveuse qu’il ait traversé depuis 1940 ». Comme si un pays qui se trouve dans une telle situation pouvait trouver remède dans un « compromis social et historique » qui n’est que la cote mal taillée de différents courants politiciens. Pourtant le constat est juste : oui, « il n’y a plus de gouvernement en France ».
Maurrassien, Jacques Julliard ? Ses propos, en tout cas, le sont et peu importe que ce soit à son corps défendant : ils n’en sont que plus percutants. Certes, la formule « l’autorité tempérée par l’anarchie » n’est, on le sait, textuellement pas plus de Maurras que « la monarchie, c’est l’anarchie plus un », qu’on lui prête souvent. Mais ces deux formules traduisent maladroitement cette vérité politique conforme à mille ans de monarchie capétienne et qui fut au fondement du rejet par Maurras de l’imposture de la démocratie représentative : « l’autorité en haut, les libertés en bas ». D’un côté, non pas l’anarchie, effectivement, qui se termine toujours en tyrannie, mais les libertés les plus larges laissées au pays réel, appelé à se gouverner lui-même pour ce qui le regarde directement, et, de l’autre, une autorité régalienne absolue, au sens d’indépendante, de non soluble dans les intérêts privés, dans l’oligarchie, et dont l’objet est le bien commun. Or, aujourd’hui, à qui les Français ont-ils affaire, alors même qu’ils se trouvent dépossédés de leur autonomie par le Moloch européen comme jamais ils ne l’avaient été par la république jacobine elle-même ? A personne, justement, si ce n’est à un semble-roi qui n’a même plus la dignité de faire semblant de régner.
Le roi, le semble-roi de la république est nu, désormais. Le peuple a enfin compris que Monsieur Bricolage est pieds et poings liés à une oligarchie dont il n’est que le courtier honteux : comment le leur cacherait-il, après avoir ouvertement trahi ses promesses de maîtriser une « finance » qu’il n’a fait profession électorale de haïr que pour mieux la servir, une fois arrivé aux affaires — quelle loi bancaire adoptée ? Le peuple a enfin compris que son président normal n’imposera aucune politique de croissance ni à une Europe autiste ni à une Allemagne triomphante, parce qu’il partage avec toute la classe politique française le même syndrome munichois de soumission aux faux dogmes du libre-échange absolu, que l’Europe est la seule à pratiquer, et de la monnaie unique salvatrice — quelle renégociation du traité budgétaire ? Le peuple a enfin compris que cet éternel premier secrétaire, qui dirige l’Etat comme il dirigeait naguère le parti socialiste, est plus à même d’imposer manu militari, sous le diktat de lobbies, des ruptures anthropologiques à un pays qui n’en veut pas que de préparer les réformes sociales, économiques ou éducatives dont les Français ont besoin — de l’école aux retraites, en passant par la réindustrialisation du pays, quelles mesures d’ampleur ?
Le rejet justifié de Sarkozy avait été celui d’un président cynique, vulgaire et brouillon, aussi servile envers les intérêts étrangers, notamment américains, que menteur ou incompétent en matière de chômage, de sécurité ou d’immigration. C’est pourquoi si, pour nos compatriotes, Hollande représentait un pis-aller, pour le pays légal il était l’une des dernières chances de faire avaler aux Français que le système demeure le cadre incontournable de la résolution de leurs problèmes. Or nos compatriotes perçoivent de plus en plus que la vérité de la démocratie a toujours été l’oligarchie, c’est-à-dire le règne arrogant d’un argent apatride et décomplexé, et que cette oligarchie en est arrivée à une étape décisive de sa tentative d’asservissement des peuples : après les avoir privés de leur indépendance nationale et de leur souveraineté politique, monétaire et budgétaire, les livrer à un précarité structurelle sur les plans économique, social, familial et culturel, qui les rend dépendants de politiques d’assistance, les privent de leur dignité et de leurs repères et les détournent de toute citoyenneté réelle. Il en est ainsi d’une politique immigrationniste qui vise à la fois à peser sur les salaires et à dissoudre les nations historiques dans un magma communautariste qui les livre déjà à la violence interethnique — l’attaque récurrente contre les fêtes chrétiennes n’est pas innocente —, ou de la déstructuration anthropologique de la société. Oui, la civilisation est bien engagée dans cette lutte à mort contre l’oligarchie universelle que Maurras prédisait peu avant de mourir.
Le climat est malsain pour le pays légal. Changer de personnels ne servirait à rien : les maux se nomment Europe supranationale, oligarchie apatride, règne des partis. Faut-il se réjouir de cette crise de régime qui se dessine de plus en plus précisément à l’horizon ? Il faut surtout préparer l’avenir. Tous les patriotes doivent taire leurs divergences, dont la futilité criminelle éclate devant la gravité des enjeux. Ne manquons pas les premiers grondements de la révolte qui sourd. Le sursaut breton — bientôt national ? — contre l’écotaxe n’est qu’un des plus bruyants symptômes du refus de plus en plus radical d’un Etat aussi impuissant à résoudre les problèmes que spoliateur. Les Français n’en peuvent plus. Il faut se tenir prêt à donner un sens à leur colère légitime.
François Marcilhac - L’AF 2873
[1] Marianne n°863 du 2 au 8 novembre 2013
http://www.actionfrancaise.net/craf/?Editorial-de-L-AF-2873-CRISE-DE