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INTERMITTENTS VERSUS MEDEF

« L’intermittence, je la veux solidaire. A une époque, un “chef op” pouvait faire vivre une équipe complète. C’est devenu impossible aujourd’hui, le système donne surtout à ceux qui ont vraiment du travail comme à la télé où l’on voit des abus. Or, ceux qui en ont besoin, ce sont les jeunes qui entrent dans le métier ». Ainsi s’exprime sur un ton désabusé, Philippe, directeur de la photographie.

Cela fait longtemps que les syndicats et les collectifs dénoncent la dérive des « permittents », ces salariés à plein temps qui travaillent par contrats successifs pour les grandes chaînes commerciales de télévision, y compris les chaînes dites du service public. Eux-mêmes du reste, s’ils profitent du système, n’ont guère le choix, s’ils veulent un salaire à la fin du mois. On s’adapte et on fait le dos rond.

Aujourd’hui, et c’est un comble, la société libérale montre d’un doigt accusateur l’ensemble des intermittents du spectacle à cause des abus dont sont responsables les grands groupes audiovisuels, que par ailleurs elle défend : or ces grands groupes ont l’œil rivé sur l’audimat et se trouvent être les acteurs principaux du système marchand.

Cependant, la majorité des deux cent mille intermittents ne travaille pas pour la télé. Ils rassemblent une foule de métiers allant du technicien son ou lumière au fabriquant de décor ou de costume, du photographe ou du régisseur à l’artiste, au musicien, au danseur, au comédien, au chanteur ou au saltimbanque : bref, tous ceux qui contribuent à la réussite d’un spectacle vivant ou audiovisuel.

L’intermittent doit effectuer un minimum de 507 heures pour pouvoir bénéficier d’une indemnité tout le reste de l’année. Or ce nombre d’heures n’intègre que rarement les temps de répétition et de préparation des spectacles, ne prenant en compte que les représentations : une situation précaire que dénonce Samuel Churin, porte parole du CIP (comité des intermittents précaires).

Celui-ci estime que le modèle actuel du régime des intermittents favorise ceux qui gagnent beaucoup tandis qu’il précarise les plus faibles. Alors que le CIP mène un combat pour sécuriser les emplois fragiles et amender les annexes 8 et 10 qui définissent le statut des salariés du spectacle, le MEDEF, fort habilement il est vrai, a demandé la suppression pure et simple de ce régime spécial, une provocation qui n’a pas été sans soulever une forte mobilisation. Aussi se contentera-t-on du statu quo, ce qui ne fera pas avancer d’un pouce la situation. En fait, le MEDEF, qui a quelques responsabilités dans le déficit de l’UNEDIC, a désigné aux media, donc à la vindicte populaire, les intermittents comme boucs émissaires de la crise économique et sociale que traverse notre pays depuis un trop grand nombre d’années. Il est si facile de dénoncer ces « oisifs » qui n’apportent rien à la société, en utilisant une presse qui se veut d’investigation, pour mettre en évidence certains abus du système... du type « permittents »

Le déficit abyssal d’un milliard, annoncé par la Cour des comptes, a été ramené par la commission parlementaire présidée par le député PS Patrick Gilles à 320 millions, ce qui n’est pas rien, mais reste loin du chiffre médiatisé qui ne tient pas compte du coût réel des artistes s’ils passaient au régime général. Si l’on y regarde de plus prêt, le déficit de l’UNEDIC a pour origine de nombreuses dérives, son déficit le plus lourd provenant des salariés en CDD — 5,592 milliards d’euros — et des intérimaires — 1,464 milliard d’euros. [1] Les intermittents du spectacle, dont on néglige délibérément l’apport économique à la société, constituent en fait la cible idéale pour engager une politique ultralibérale s’appuyant sur un utilitarisme à court terme, afin de mettre en place une dérégulation sociale qui pourrait se généraliser par la suite, le faible pourcentage d’intermittents par rapport au nombre de travailleurs français rendant cette cible encore plus aisément attaquable. On oublie seulement de préciser que presque tous les spectacles, concerts, festivals et autres prestations artistiques ne pourraient être montés sans les intermittents.

Imaginons un mode de calcul qui prendrait en compte les cotisations, non pas des seuls intermittents, mais de l’ensemble des professionnels du spectacle. Si on décidait la création d’un régime des professionnels du spectacle en intégrant les cotisations des permanents qui présentent un solde positif parce qu’ils ont du travail toute l’année et cotisent aujourd’hui au régime général, on ne parlerait plus de déficit. Ce distinguo du système de cotisation entre ceux qui peinent à trouver du travail et vivent dans la précarité et ceux qui « cachetonnent » est donc profondément malsain. Il est temps de réorganiser la solidarité des professions du spectacle dans un esprit plus corporatiste.

Cette société libérale a décidément un compte à régler avec : « l’exception française », quitte à mettre à mal toutes les formes d’expression culturelle qui avaient résisté jusqu’ici au rouleau compresseur d’outre-atlantique.

Olivier PercevalL’AF 2883

[1] Chiffres de la Cour des Comptes 26/11/2013

http://www.actionfrancaise.net/craf/?INTERMITTENTS-VERSUS-MEDEF

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