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Révolution familiale : Cellule de base éclatée pour une société atomisée

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L'institution familiale a davantage changé en cinquante ans qu'au cours du millénaire précédent Pour le meilleur ou pour le pire ?

Le déracinement de la société française n'aurait pas été total, si la « cellule de base » de cette société y avait échappé. Devenue au moins depuis Vichy - mais depuis bien plus longtemps en réalité - un enjeu idéologique fort, la famille, sous sa forme traditionnelle, a implosé sous les assauts qui lui ont été livrés, en particulier depuis 1968. L'« institution » familiale, en particulier le personnage du chef de famille, le pater familias à l'ancienne, n'était compatible, ni avec l'idéologie libertaire portée par le gauchisme au cours de ces années-là, ni avec la revendication égalitaire des féministes. Le slogan lancé par des étudiantes en mai 1968, « Papa pue ! », est révélateur de cet état d'esprit.

La crise de la paternité

En réalité, l'impulsion a été donnée avant le mouvement de Mai dans La Tyrannie du plaisir, Jean- Claude Guillebaud la date précisément de l'an 1965 : cette année-là, dans l'ensemble de l'Europe occidentale, les taux de natalité décrochent. « On pressent déjà une dévalorisation progressive des valeurs publiques au profit des valeurs privées, écrit Guillebaud. Les baby-boomers (…) parviennent à l'âge adulte dans tous les pays industrialisés. Ils rejettent d'instinct les valeurs partagées par la génération précédente qui, elle, demeurait hantée par l'idée de guerre, de débâcle, de pénurie, de destruction. » Au contraire, l'Occident bénéficie de « deux nouveautés sans précédent dans l'Histoire » d'une part, un enrichissement économique prodigieux; et d'autre part, une longue période de paix, imposée par la menace nucléaire. « Ce qui se passe en définitive, analyse Guillebaud, c'est un allégement spectaculaire du holisme, cette concession faite à la cohésion et à la survie du groupe, au profit d'un nouvel "impérialisme" celui de l'individu-roi. » Or, c'est à ce moment qu'apparaissent les premiers changements qui vont durablement bouleverser l'institution familiale. « Le tournant de l'évolution des mœurs, ce n'est pas 1968, c'est 1964 », affirme le juriste Jean Carbonnier, qui fut « l'un des artisans de cette réécriture du droit civil », rappelle Guillebaud. « Mai 1968, la redécouverte de Wilhelm Reich et d'Herbert Marcuse, l'hédonisme sexuel et la permissivité revendiquée, l'aspiration vibrionnante au plaisir immédiat - toute cette ostentation ravageuse de la révolution des mœurs suivra son accomplissement effectif, plus qu'elle ne le précédera ».

Au lendemain de 68, la fine pointe des troupes d'assaut est constituée des mouvements féministes, dont les figures de proue médiatiques s'appellent Beauvoir, Sagan, Halimi. Elles ont pour ennemi juré le mâle blanc occidental, machiste, sûr de lui et dominateur. À en juger, avec le recul, par la vitesse à laquelle elles le mettront à genoux, cette domination devait être bien fragile. Elles-mêmes renvoient l'image d'une femme campée sur son ego, revendicatrice, rivale affichée de l'homme et elle aussi dominatrice, voire castratrice - même si leur vie privée la dément parfois, comme le montre la soumission dont Beauvoir fait preuve envers Sartre.

Jusqu'à cette époque, le père incarne l'autorité ; et l'autorité, désormais, n'a plus bonne presse : on n'aura de cesse de l'avoir détruite. Le père, c'est aussi l'héritage, individuel et collectif : ce n'est pas pour rien que l'on parle de « patrie »; et la patrie n'a pas meilleure presse que l'autorité. Enfin, la paternité s'inscrit dans la conception chrétienne de la divinité: comme le disait Freud, « La psychanalyse nous a appris à reconnaître le lien intime unissant le complexe paternel à la croyance en Dieu. » Les féministes en tireront la conséquence : « Si l'humanité a voulu se débarrasser de Dieu, c'est avant tout parce qu'elle voyait en lui le symbole du père », expliquera Elisabeth Badinter.

Cet effacement, voire cette négation du père, a eu des conséquences considérables sur la famille. « En définitive (…) la crise de la famille et de la maternité que nous traversons avec la famille postmoderne, a commencé, dans l'ordre chronologique, par la crise de la paternité », diagnostique le neurologue Alexandre de Willebois. Petit à petit, le père de famille va même être exclu de la cellule familiale, au terme d'un processus d'individualisation des relations affectives.

La femme a dérobé le feu du ciel

« La révolution sexuelle a fait triompher une tout autre acception de la famille, écrit Guillebaud. Elle a été considérée déplus en plus comme la réunion libre, volontaire et provisoire, de deux consentements amoureux. Vidée de couple l'a emporté sur l'idée d'institution. La famille, dans cette interprétation, apparaît d'abord comme l'espace de l'épanouissement affectif et sexuel, le territoire exclusif de l'amour. La dimension institutionnelle, forcément inscrite dans la durée, la stabilité, la pérennité, est passée au second plan. »

La « libération sexuelle », le « droit » à la jouissance, la confusion entre la passion et l'amour, militent dans ce sens. L'institution familiale s'efface la première devant le couple, qui éclate lui-même pour couronner le désir de l'individu.

« Si l'amour-passion à lui seul fondait le couple, la morale individuelle commandait de défaire celui-ci quand la passion n'était plus là. Cette morale du bonheur personnel impliquait donc, ipso facto, une morale du divorce. »

Le phénomène se traduit par une banalisation du divorce, qui entraîne la multiplication des familles monoparentales ou recomposées, modifiant fondamentalement la nature même de la cellule familiale et réduisant peu ou prou le père à un géniteur, dont la place au sein de la famille n'est pas pérenne, mais reste au contraire susceptible d'être subitement remise en question.

Jean-Claude Guillebaud souligne le rôle joué par la contraception dans cette révolution des mœurs pour la première fois dans l'histoire, la pilule remet entre les mains de la femme « le pouvoir de décision essentiel entre tous celui de donner la vie, le choix du "oui" et du "non" et du moment. Grâce à la pilule, assure Evelyne Sullerot, "la femme a dérobé à l'homme le feu du ciel" » Cette évolution est accompagnée à la fois par la science et par le droit. La fécondation in vitro, par exemple, « rétrécit carrément la figure paternelle à cette goutte de semence dont dispose la femme » tandis que le test génétique de Jeffreys permettant d'identifier le père biologique, donne le pouvoir à une femme mariée de faire reconnaître par son amant l'enfant que le père légal croyait sien, « et aimait » précise Guillebaud.

Les dangers du pouvoir absolu maternel

La prégnance de la domination féminine aidant, en cas de divorce, la loi confie presque toujours la garde de l'enfant à la mère. Qu'elle se remarie et un « père » de substitution sera donné à l'enfant, qui « remplacera » au foyer le père biologique. Le statut du beau-parent préparé par Nadine Morano

fait un pas de plus dans cette direction et dépossédera encore davantage le père véritable des miettes de pouvoir qui lui restent.

Cette relégation, voire cette castration du père, a eu pour corollaire, et pour conséquence, la déresponsabilisation des hommes. A cet égard aussi, l'individualisme ambiant a joué. Ce sont les femmes, cette fois, qui en ont fait les frais, réduites par leurs « partenaires » à des objets de jouissance sexuelle, sans qu'ils se sentent liés par aucun devoir envers elles.

Mais l'enfant aussi est victime de ces changements radicaux. Souvent atteint dans son affectivité par la séparation de ses parents, contraint d'accepter le ou les « pères » de substitution que sa mère lui impose successivement, l'image paternelle lui fait défaut. Chez les garçons, notamment, la confrontation avec un pouvoir maternel ressenti comme absolu peut susciter dans certains cas un rejet de la femme en tant que telle et conduire à l'homosexualité, ou à la violence sexuelle.

En fin de compte, notre société n'a pas su remplacer le modèle familial traditionnel et en souffre. Par une curieuse obstination, à laquelle souscrit d'ailleurs Jean-Claude Guillebaud lui-même, elle n'en refuse pas moins de remettre en question une « libération » de l'individu, qui débouche pourtant en fin de compte sur une aliénation.

L'auteur de La Tyrannie du plaisir conclut à la nécessité d'inventer une nouvelle forme de famille. « En mai 1968, écrit-il, on se lancera dans un voyage intrépide, mais pour lequel on possédait déjà le billet. » Les temps ont changé. « Trente ans après, le trajet retour - sans billet cette fois - serait-il programmé ? » On peut le souhaiter. Reste à savoir quels chemins prendra ce retour.

Mathieu Page Le Choc du Mois juin 2009

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