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La question scolaire : L'enseignement, une affaire privée ? 1/5

Quelques éléments de réflexion sur les principes d'une relation harmonieuse entre Église et État,

par Stépinac

Introduction

Tout le monde se souvient des manifestations de 1984 organisées en France contre le projet Savary par les partis français dits de droite, en faveur de l'« école libre ». Le Front national préconisait alors la solution du chèque scolaire, grâce auquel il eût été possible à tout parent de choisir pour sa progéniture le type d'enseignement qui correspondait à ses convictions. Une telle solution aurait permis aux familles de soustraire, pour autant que cela eût été dans leurs intentions, leurs enfants à la tyrannie idéologique de l'esprit jacobin sévissant dans le public, c'est-à-dire de cet esprit maçonnique et mondialiste qui a toujours fait bon ménage avec la propagande et la vision du monde marxistes. Depuis Jules Ferry, le seul ministère que la maçonnerie n'a jamais renoncé à abandonner, même dans les périodes qui lui étaient les plus défavorables, fut celui de l’Éducation dite nationale. Et la Subversion sait ce qu'elle fait en privilégiant ses cibles : qui tient la jeunesse dispose de l'avenir, qui forme la jeunesse forge la société de demain; la neutralité républicaine ne fut jamais qu'un mythe, et même elle fut un mensonge consciemment élaboré pour éliminer les ennemis de la République, c'est-à-dire de la maçonnerie. Même si la maçonnerie, et plus généralement les officines faiseuses de complots, ne sont pas l'origine première de l'esprit pernicieux qu'elles répandent (cette origine est tout simplement le subjectivisme largement répandu dans les masses qui ne sont victimes des complots - quand ils existent - que parce qu'elles y consentent), on ne saurait contester que la Veuve est aujourd'hui, et depuis longtemps, comme le lieu de cristallisation, l'égout collecteur des projets subversifs naissant dans l'esprit des hommes révoltés. Quel catholique pourrait, sous ce rapport, s'opposer à l'idée d'école privée ?

Le thème de l'école dite libre n'est cependant pas sans charrier des équivoques gravides de conséquences ruineuses pour notre combat catholique et nationaliste. Déposséder l’État de la responsabilité de l'enseignement et de l'éducation, fût-ce au nom d'une défense bien-pensante de la famille, et dans le but de rogner les griffes de cet État toujours supposé "totalitaire", c'est s'engager dans une voie qui relève de l'esprit du libéralisme, ainsi de l'individualisme et du subjectivisme, lesquels sont comme les matrices du jacobinisme et les fondements de l'esprit maçonnique. Le libéralisme politique est cette doctrine absolutisant (sous couvert d'exalter la responsabilité personnelle) la liberté individuelle, et selon laquelle, par voie de conséquence, l’État est un mal nécessaire. C'est un mal, pour le libéral, en tant qu'il n'exerce jamais ses pouvoirs que sur le mode coercitif, limitant des libertés privées qui ne sont pleinement des libertés qu'en tant qu'elles sont à la fois illimitées et privées, ainsi appartenant en droit à la sphère de la société civile, celle du déchaînement de l'individualisme, mais aussi - toujours selon le libéral qui ne conçoit pas d'initiative personnelle autrement que sur le mode de l'égoïsme calculateur - des initiatives et de toutes les formes de créativité L’État est cependant un mal nécessaire, parce que l'anarchie créatrice définitionnelle de relations privées spontanément tissées est aussi gravide, sans lui, de forces délétères capables de détruire ces relations mêmes en laissant les plus forts ou les plus astucieux l'emporter sur les autres au point de supprimer leurs libertés, c'est-à-dire ces mêmes libertés ayant présidé à l'agglomération des hommes en communautés fondées sur l'intérêt et le besoin. L’État du libéral est cette instance publique assez forte pour rendre compossibles des libertés privées conflictuelles, et finalisée par cette compossibilité même. Si l'on observe qu'un certain catholicisme a toujours développé une phobie de l’État politique fort, c'est-à-dire de cet État toujours supposé entrer en conflit avec l’Église dont le magistère moral sur ses fidèles se veut immédiat et sans partage, on comprend que cette phobie, menée au nom des droits de l’Église contre les pouvoirs humains, ait pu engendrer, via un ultramontanisme (Lamennais, Lacordaire, Ozanam, Montalembert) rigoureux se voulant foncièrement réactionnaire, ce qu'il est convenu de nommer, en forme d'oxymore, « catholicisme libéral ». Une telle collusion contre nature entre le dogmatisme du catholicisme et le relativisme du libéralisme ne présenterait qu'un intérêt spéculatif ténu si elle n'était fondée que sur le mécanisme de ce que la sagesse populaire formule dans les termes suivants : « les ennemis de mes ennemis sont mes amis ». Mais c'est sur d'autres affinités, plus profondes, qu'elle se fonde en vérité :

Le libéralisme a par principe évacué le souci d'harmoniser, sans faire injure à aucun de leurs termes, les rapports entre privé et public (le privé est pour lui cause finale(1) du public indûment réduit au statut de mal nécessaire) d'une part, politique et Église d'autre part (l’Église n'a pour lui d'autorité que sur ceux qui la reconnaissent et qui la cantonnent dans la sphère du privé, ce qui spolie le droit de l’Église en faisant dépendre son autorité du consentement subjectiviste des libertés individuelles posées comme souveraines); dans les deux cas, la « privacy » absolutisée a dévoré les droits de l’État et de l’Église. En retour les doctrinaires de la pensée catholique demeurée véritablement catholique (totalitaire et dogmatique) n'ont, semble-t-il, jamais su proposer de solution vraiment satisfaisante au problème - renouvelé par l'intromission dans l'histoire des hommes d'une vocation non mondaine, ainsi excédant l'ordre politique - du rapport entre domaine privé et domaine public, devenu, sous le poids complexifiant de cette vocation de l'individu à un salut individuel éternel, celui du rapport entre État et Église. Réfléchir sur le statut de l'école nous donne ainsi l'occasion de tenter de déterminer au moins certains aspects des rapports vrais, conformes à ce qu'attend l'ordre des choses, qui doivent subsister entre privé (dont le domaine de la famille) et public, mais aussi entre État et Église.

On nomme couramment "totalitaire" un pouvoir, exercé par des hommes sur des hommes, qui non seulement se veut "absolu" ("délié", c'est-à-dire indépendant, selon cette césure obligée entre dirigeants et dirigés sans laquelle l'autorité n'est qu'un mot), mais encore total aucune sphère de la vie individuelle ne lui échappe en droit, parce qu'il a la prétention, au rebours (dit-on) d'une dictature classique ou d'une monarchie, de produire un homme nouveau, ainsi de changer l'homme; or telle est la définition, propre à l'enseignement de saint Paul, de l’Église catholique, apostolique et romaine. C'est pourquoi il ne nous a pas paru abusif d'user de ce vocable, nullement péjoratif à nos yeux, pour qualifier l'autorité de l’Église, et même celle de l’État, en un sens que nous aurons à préciser dans le cours de notre réflexion. Notons d'emblée que ce "totalitarisme" n'a rien à voir avec les pratiques de type "kagébiste", ou avec celles que s'autorisait un Calvin dans sa Genève de parpaillots que la vie privée jouisse d'une autonomie que l’État ou les hommes d’Église ne sauraient violer, n'implique pas que les acteurs de la vie privée n'auraient pas moralement de comptes à rendre tant à l’État (le bien privé n'est pas sans répercussions sur le bien public) qu'à l’Église (la sainteté des fidèles n'est pas sans effets sur la vie de l’Église) On dira, non sans raison, qu'il n'appartient pas au politique de revendiquer la prétention prométhéenne de créer un « homme nouveau », et que cette prétention est une profession de foi athée, qui déifie l'homme en ravissant au profit du politique une prérogative religieuse que l’État totalitaire laïcise et qui n'appartient qu'à Dieu. Soit , on notera cependant que l’État n'a pas vocation à se limiter à la "gestion" (comme s'il n'était qu'un État "comptable") des médiocrités morales, à l'intendance d'une vie humaine que seule la morale transfigurée par la religion serait habilitée à spiritualiser à toute distance d'une conception libérale de l’État qui réduit ce dernier au statut d'instrument juridique, judiciaire et économique de la vie spirituelle, l’État rationnel rend effective une conception du politique assumant la morale en la dépassant, l’État rationnel a des préoccupations spirituelles; il ne "crée" certes pas l'homme, il le fait néanmoins advenir à sa vérité en actualisant l'humanité dans l'homme. L'homme est tout entier, quoique non totalement, mobilisé par les exigences de l’État, telle est la thèse qui résultera d'une analyse du concept de bien commun.

Dieu, selon la doctrine catholique, a créé l'homme en état de grâce, de sorte qu'un état de pure nature n'a jamais existé. Mais la grâce est gratuite, de sorte que cet état de pure nature eût été possible, et c'est même en considération de cet état qu'une méditation sur la condition humaine était philosophiquement accessible. Avant l'irruption du christianisme les hommes ont vécu en se référant à cet ordre naturel, et les œuvres des sages de l'Antiquité sont là pour nous révéler ce à quoi il est possible à l'homme, en fait de sagesse naturelle, de parvenir par ses propres forées, qui sont l'intelligence et la volonté. Au vrai, même l'antiquité, pour le catholique, était déjà marquée par l'économie d'un ordre surnaturel, parce que, selon le catholicisme, il exista une révélation primitive, une sorte de protévangile(2) dont l'homme pécheur d'avant le Christ faisait mémoire de manière plus ou moins dévoyée; de plus, le souvenir de cet état adamique demeurait en lui de manière confuse, d'autant que ses misères morales et physiques n'étaient, aux yeux des plus lucides d'entre les sages païens, aucunement explicables par un défaut contingent de l'ordre naturel en tant que tel : il fallait avoir été surélevé pour que l'on eût pu être tombé si bas dans la possibilité du mal quelque grande et légitime que soit l'admiration d'un homme d'aujourd'hui - c'est-à-dire d'un décadent conscient de sa misère - pour les grandeurs du paganisme, il serait illusoire de méconnaître l'extraordinaire brutalité dont ce dernier fut marqué, mais aussi d'ignorer la dose d'irrationalité dont il fut gravide. Il y avait, pour l'Homme antique, un ordre des choses; le fléau ravageur du subjectivisme (maladie typiquement moderne induite par une laïcisation du christianisme, trou noir de la conscience pure qui engloutit tout au point d'en venir à s'abolir lui-même) ne l'avait pas gâté; cependant, incapable qu'il était de référer à son véritable Auteur la beauté de l'ordre du monde qu'il célébrait, l'Homme antique, glorifiant un tel ordre, absolutisait en même temps la contingence du monde en lequel il se réalisait, et cette démarche se résolvait dans deux attitudes générales, concomitantes et opposées : ou bien, se faisant panthéiste l'Homme antique en venait inchoativement (des Sceptiques et des Cyniques à l'existentialisme balbutiant d'un Lucrèce à s'absolutiser lui même, puisque, aussi bien, c'est en la conscience humaine, par là exhaussée à la dignité de ce dont elle était la conscience, que cet ordre mondain absolutisé advenait à la connaissance ou révélation de lui-même; ou bien, évitant de s'absolutiser mais conscient de la contingence des manifestations mondaines de l'ordre universel, le païen en venait, pour signifier un au-delà de la Nature, à célébrer dans l'anti-nature (la tératologie, les perversités) cet au-delà surnaturel qui seul mérite d'être reconnu comme absolu; dans les deux cas, le monde antique faisait l'aveu de son impuissance à se rendre pérenne; cette exigence incoercible, cette attente impuissante d'une intromission, dans le monde contingent mais dans la forme de la contingence (l'absolu s'incarnant, l'éternel se temporalisant sans cesser d'être éternel, se disant dans sa révélation tel qu'il est en lui-même indépendamment de sa révélation) -, de l'absolu, ne pouvaient s'expliquer en l'Homme antique que par la réminiscence confuse d'une promesse surnaturelle - souillée et oblitérée par le sentiment aussi vif qu'obscur d'une Chute dont il gardait mémoire dans ses mythes - offerte dès le principe au père du genre humain. Il reste que les types les plus élaborés d'organisation politico-religieuse des hommes de l'Antiquité, à savoir ceux des mondes grec et latin, nous offrent une approximation non totalement infidèle de ce à quoi l'homme eût été naturellement voué s'il avait été créé sans la grâce, ainsi sans la Révélation, dans une vie communautaire exclusivement politique, et non ecclésiale.

À suivre

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