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Mars 1815: le Vol de l'Aigle

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Le 1er mars 1815, Napoléon, échappé de l'île d'Elbe, débarque à Golfe-Juan. Il entame une marche triomphale qui le conduira à Paris, mais aussi trois mois plus tard à Waterloo.

« La victoire marchera au pas de charge : l’Aigle, avec les couleurs nationales, volera de clocher en clocher, jusqu’aux tours de Notre-Dame… »

Ce vol de l'Aigle, c'est Napoléon lui-même qui l'annonça, dans sa déclaration « À l'Armée », datée de Golfe-Juan, le 1er mars 1815. Cette déclaration solennelle, que l'Empereur échappé de l'île d'Elbe avait préparée avant de débarquer sur les côtes de-France, reçut une réponse inattendue, de la part du maire d'un village proche : « Nous commencions à devenir heureux et tranquilles, vous allez tout troubler », prédit cet homme.

Au lendemain de la première abdication de « l'ogre » à Fontainebleau, le 4 avril 1814, dans une France envahie et saignée, de très nombreux Français avaient sans doute poussé un soupir de soulagement. Les maréchaux eux-mêmes, Ney le premier, avaient contraint l'Empereur à abdiquer. Et sur le trajet qui le conduisit à Fréjus, où il allait s'embarquer pour l'Ile d'Elbe, l'hostilité des populations du midi fut telle qu'il revêtit, pour se protéger, un uniforme autrichien !

Arrivé sur l'île d'Elbe le 4 mai 1814, il la quitte pourtant le 26 février suivant, pour forcer de nouveau le destin. Un faisceau de raisons l'y poussent d'abord, bien qu'il y montre une activité débordante, la petite île n'est évidemment pas à la mesure de l'ancien maître de l'Europe. Par ailleurs, il s'inquiète : ni l'impératrice Marie-Louise - qui file le parfait amour avec l'Autrichien Neipperg -, ni le petit roi de Rome, son fils, ne l'ont rejoint dans son exil. Les rumeurs, aussi, vont bon train : on rapportait que les Français étaient déjà las des Bourbons et n'aspiraient qu'à son retour. Le bruit lui revenait que les puissances réunies en Congrès à Vienne envisageaient de le déporter aux Açores, ou aux Antilles anglaises, voire plus loin encore, dans une autre île nommée Sainte-Hélène… Ou bien de l'assassiner. Enfin, Napoléon se trouvait confronté à des difficultés matérielles, la royauté restaurée se souciant peu de payer à l'usurpateur déchu la pension annuelle de deux millions prévue par le traité de Fontainebleau.

Après un temps d'hésitation, il se décide dès le mois de janvier 1915, écrit Jacques Bainville(1), qui remarque que l'évasion est préparée « avec autant de soin qu'une campagne de la Grande armée ». Le secret est jalousement gardé : Létizia, « Madame mère », ne sera elle-même informée que la veille du départ. Napoléon quitte l'île d'Elbe le 26 février sur le brick L’Inconstant, suivi par une flottille de six petits navires, portant 1200 soldats. Echappant à la surveillance des navires qui croisent au large de l'île d'Elbe, il débarque à Golfe-Juan, le 1er mars.

Un triomphe ambigu

Les sentiments des Français correspondent-ils à ce qui lui en a été rapporté ? Une large fraction du peuple est hostile à Louis XVIII, accusé d'être rentré en France « dans les fourgons de l'étranger ». En outre, les émigrés revenus avec lui ne se rendent pas toujours compte qu'un quart de siècle a passé depuis le commencement de la Révolution - et quel quart de siècle Les paysans redoutent que les droits féodaux ne soient restaurés et les acquéreurs des biens nationaux naguère confisqués aux « contre-révolutionnaires », craignent de s'en voir contester la propriété. Les ouvriers souffrent du chômage et de nombreux soldats ont été licenciés. Une partie importante du peuple est donc prête à accueillir l'ex-empereur ; mais c'est beaucoup moins le cas des notables et de la bourgeoisie. De même, dans l'armée, les généraux et les officiers sont plus réticents que la troupe. Enfin, les sentiments varient en fonction des régions Napoléon en est d'ailleurs assez conscient pour préférer gagner Lyon par les Alpes et Grenoble, plutôt que par la vallée du Rhône, où il risque d'être mal accueilli. Au début de sa chevauchée, Antibes et Grasse lui ferment leurs portes. Néanmoins, son retour prend vite un aspect triomphal. « Dans l'étonnante carrière de Napoléon, peut-être n'y a-t-il rien de plus prodigieux que cette marche qui le mena en vingt jours de Golfe-Juan à Paris », a écrit Jean Tulard(2). Il entre à Digne le 4 mars, est à Sisteron le lendemain, puis à Gap. Grenoble approche.

Toutefois, ce triomphe est ambigu. « Armé des trois couleurs qu'il porte au célèbre chapeau, il marche à la conquête de la France d'un cœur intrépide et d'un esprit soucieux, sûr de chaque moment, sans foi en l'avenir », analyse Bainville. À Lyon encore, et jusqu'à Paris, il sera contraint, en effet, plus qu'il ne le choisira, de « chausser les bottes de 1793 » et de sacrifier à la démagogie révolutionnaire. « Je ne veux pas être un roi de la Jacquerie », dira-t-il… tout en menaçant de « lanterner » les aristocrates !

La partie la plus délicate, restée célèbre, se joue près de La Mure, au défilé de Laffrey, où la troupe Napoléonienne rencontre pour la première fois les royaux, à savoir les soldats du 5e régiment de ligne du commandant Delessart, vétéran des campagnes d'Egypte. « La France obéit maintenant à un Roi. Je ferai feu sur ses ennemis qui s’avanceraient vers mon bataillon », prévient celui-ci. Mais voici que Napoléon, se plaçant entre les deux troupes, lance « Soldats, s'il en est un parmi vous qui veuille tuer son empereur, me voici. » Un jeune capitaine ordonne d'ouvrir le feu, mais rien ne se passe. Et tout à coup, les soldats du 5e de ligne s'écrient « Vive l’Empereur ! » Les soldats fraternisent, tandis que Delessart rend son épée à Napoléon. La route de Grenoble est ouverte.

À suivre

1). Jacques Bainville, Napoléon, coll.Texto (Poche) 12 euros.

2). Jean Tulard, Napoléon, coll. Pluriel (Poche) 10,80 euros.

Hervé Bizien monde&vie 18 mars 2015 n°905

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