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Il faut encore penser... contre la Révolution française !

Il faut encore penser... contre la Révolution française !.jpegavec Philippe Pichot-Bravard

Philippe Pichot-Bravard est docteur en droit, maître de conférences en histoire du droit, directeur d'émission sur Radio Courtoisie. Son livre, La Révolution française, a été couronné du Prix Renaissance des Lettres 2015 remis par le prince Sixte-Henri de Bourbon-Parme. Il a osé revenir sur une bibliographie bien fournie et ajouter un livre à tous les livres qui évoquent la Révolution française. Un livre de plus, après Gaxotte, après Soboul… Mais pas un livre de trop.

Quel était votre angle d'attaque dans ce livre ? L'histoire des idées ?

Ma formation d'historien du droit et d'historien des idées politiques me porte à prêter une attention particulière aux conceptions philosophiques, à l'évolution des mentalités, à la conception du droit, à la traduction des idées dans la législation, au contenu des constitutions et des lois. Jusque-là, l'histoire de la Révolution, et d'une manière générale, l'histoire de France, a été écrite par des historiens des facultés de lettres. Un historien du droit peut apporter un éclairage différent, qui insistera moins sur l'événementiel (sans pour autant le négliger) pour offrir de la Révolution une analyse philosophique, un éclairage institutionnelle et juridique qui mettra en valeur les traits les plus saillants, ceux qui sont utiles à la compréhension de l'événement. Ainsi, certains aspects très importants, habituellement négligés par les historiens des Lettres sont mis en valeur. Un exemple ? La définition par l'abbé Sieyès du système représentatif sur lequel repose notre ordre constitutionnel.

C'était le 7 septembre 1789. À la tribune de l'Assemblée, il expliqua aux députés qu'ils avaient le choix entre deux formules politiques : la démocratie, régime dans lequel le peuple décide lui-même des lois auxquelles il doit obéir, et le régime représentatif, dans lequel le peuple élit des représentants qui décident à sa place de ces lois, des représentants qui, une fois élus, échappent complètement à ceux qui les ont élus, votant la loi en leur âme et conscience, sans être tenus par quelque mandat impératif que ce soit. Le choix dès cette époque d'un système représentatif illustre finalement toute l'ambiguïté de notre système politique qui se prétend démocratique alors qu'il est représentatif, c'est-à-dire, par nature, oligarchique. L'une des tensions les plus fortes que connaît notre système politique découle de là.

Une leçon magistrale contre l'idéologie des droits de l'homme

Qu'est-ce que la « régénération de l'homme » pour un révolutionnaire ? Comment s'y prend-on pour refabriquer l'homme ?

La Révolution française a eu pour ambition essentielle de régénérer la société et de régénérer l'homme, c'est-à-dire, de donner naissance à une société nouvelle et à un homme nouveau, « le citoyen », auquel Jean de Viguerie vient de consacrer une très belle étude. Le mot « régénération » souligne le caractère religieux de cette ambition, caractère dont témoigne, dès la Fête de la Fédération, la volonté d'établir une religion du citoyen, religion théorisée par Rousseau dans Le Contrat Social, dont la Patrie révolutionnaire est la divinité, dont la Constitution et les droits de l'homme sont l’Évangile. L'idée de l'homme nouveau est bien présente dès 1789. « Chargée défaire le bonheur d'un peuple, […] il fallait renouveler ce peuple même, changer les hommes, changer les choses, changer les mots. […] Il faut renouveler ce peuple, le rajeunir, changer ses formes pour changer ses idées, changer ses lois pour changer ses mœurs, et tout détruire, oui, tout détruire, puisque tout est à recréer », explique, par exemple, le député Rabaut Saint-Etienne le 12 novembre 1789. L’ambition de « changer les hommes » est nourrie par la conception matérialiste et sensationniste de l'homme, typique des penseurs des Lumières et des acteurs de la Révolution. Si l'homme n'est qu'une petite machine réagissant aux sensations qu'il perçoit, si l'homme est façonné par son environnement, alors il devient techniquement concevable de changer cet homme en changeant cet environnement, en manipulant les sensations qu'il perçoit. De cette régénération, la loi est l'instrument privilégié, ce qui suppose que le législateur intervienne dans tous les domaines de la vie sociale, ce qui était inconcevable au temps de la monarchie absolue. La mission régénératrice assignée à la loi a survécu au Coup d’État de Bonaparte le 18 Brumaire. Elle apparaît ainsi, comme l'a montré Xavier Martin, lors de la rédaction du code civil, entre 1800 et 1804. Outre la loi, les fêtes révolutionnaires, constitutionnellement établies en 1791 en 1793 et en 1795, sont un outil de toute première importance. Il s'agit, à l'occasion de grands rassemblements, de mobiliser tous les arts (le chant, la musique, la danse, la sculpture, la rhétorique…) afin de faire impression sur chaque citoyen et de le transformer à son insu. De plus, l'instauration d'un nouveau calendrier, en 1793, est explicitement justifiée par Fabre d'Eglantine on retrouve dans cette ambition calendariste, la volonté de « régénération du peuple français ». Il s'agit de « substituer […] au prestige sacerdotal la vérité de la nature ». Dans l'esprit des conventionnels, la déchristianisation du calendrier doit engendrer la déchristianisation des mentalités. Sous le Directoire, le gouvernement se donne beaucoup de mal pour faire respecter ce calendrier révolutionnaire dont pas grand monde ne veut. L'enjeu est d'importance : « Le calendrier républicain […] est une des institutions les plus propres à faire oublier jusqu’aux dernières traces du régime royal, nobiliaire et sacerdotal », explique un arrêté du 3 avril 1798. Ce calendrier ne sera abandonné qu en 1806. Enfin, parmi les outils de régénération, il en est un autre qui a conservé toute son actualité l'instruction publique, dont le conventionnel Marie-Joseph Chénier a pu dire, le 5 novembre 1793, qu'elle avait d'abord pour but « déformer des républicains ».

Quelle est l'ambiguïté des droits de l'homme ? Demeure-t-elle aujourd'hui ?

Il y a une triple ambiguïté dans la déclaration des droits de l'homme. Premièrement, il existe dans la déclaration une tension entre l'article 2 qui proclame l'existence de droits naturels de l'homme et l'article 6 qui définit la loi comme l'expression de la volonté générale, l'article 6 fait de la volonté de la nation souveraine la source de toute norme juridique; ce faisant, il escamote l'existence d'un ordre naturel supérieur à la volonté du législateur. Or les constituants, de manière volontaire, ont refusé d'établir un organe et une procédure juridique permettant de vérifier que les textes adoptés par le législateur soient réellement respectueux des droits naturels proclamés dans la déclaration. Avec la déclaration des droits de l'homme, la volonté du législateur ne rencontre plus aucune limite, ce qui était l'une des conditions de la régénération révolutionnaire. Deuxièmement, comme l'a montré Edmund Burke, le caractère abstrait des droits de l'homme n'offre aucune garantie. Tout au contraire, la Liberté abstraite s'avérera très rapidement redoutablement dangereuse pour les libertés concrètes. Un exemple, parmi d'autres ? L'article premier proclame que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit ». Or, quelques mois plus tard, l'Assemblée constituante ventile les citoyens en quatre catégories censitaires, les citoyens passifs, les citoyens actifs, les citoyens actifs éligibles et les citoyens actifs éligibles à la députation. Les deux-cinquièmes des hommes se voient ainsi privés du droit de vote et les trois-quarts sont exclus de l'éligibilité. Troisièmement, la déclaration des droits de l'homme passe pour porter une conception élevée de l'homme; en réalité, elle exalte l'homme comme individu, mais, en escamotant la nature spirituelle et sociale de cet homme, elle l'appauvrit considérablement. J'invite ici le lecteur à consulter les ouvrages du Pr. Xavier Martin qui a mis en lumière le réductionnisme anthropologique qui découle du matérialisme et de l'individualisme des Lumières.

Aujourd'hui, notre système occidental insiste beaucoup sur la promotion de droits de l'homme, abstraits, qui restent soumis à la définition qu'en donnent les institutions, et notamment les cours suprêmes de justice, nationales et supranationales, définition qu'adopte une opinion publique changeante et partiellement mondialisée, que des campagnes de presse peuvent guider aisément. De là d'inévitables inflexions qui permettent de concilier ces droits de l'homme avec de puissants intérêts économiques et idéologiques. Ainsi, la promotion des droits de l'homme coexiste harmonieusement avec le refus catégorique des sociétés contemporaines de protéger la vie des êtres humains depuis la conception jusqu'à la mort naturelle. Comment accorder du crédit à l'idée de droits de l'homme lorsque le premier droit, celui de vivre, est non seulement nié mais combattu afin de satisfaire tout à la fois les revendications idéologiques du féminisme révolutionnaire, les préoccupations malthusiennes des organisations supranationales et les calculs financiers des laboratoires de recherches ?

Être contre-révolutionnaire aujourd'hui

La franc-maçonnerie a-t-elle un rôle dans la Révolution française ?

La Révolution française a été un événement d'une grande complexité. Dans les années 1780, la France, par-delà ses indéniables atouts, traverse une crise très grave, crise des mentalités, crise sociale, crise institutionnelle et financière, aggravée ultimement, en 1787-1789, par une dégradation de la situation économique due à des difficultés climatiques et à la mise en œuvre d'un traité de libre-échange avec la Grande-Bretagne. Cependant, il y a aussi, au sein des élites sociales, nobiliaires et surtout bourgeoises, des hommes qui aspirent à bouleverser les institutions et l'ordre juridique de la France pour construire une société nouvelle. Ces hommes appartiennent aux sociétés de pensée, c'est-à-dire à des cercles de sociabilité, reliés entre eux, qui s'intéressent aux questions politiques, économiques et sociales. Ce sont les cabinets de lecture et les loges maçonniques. Ces sociétés de pensée ont joué un rôle important dans la déstabilisation de la monarchie. Elles ont orchestré la fronde des corps intermédiaires contre le cardinal de Loménie de Brienne et la réforme Lamoignon au cours du printemps 1788. Pendant l'hiver 1788-1789, elles ont préparé activement la réunion des assemblées d'électeurs et l'élection des députés, réussissant à faire élire leurs amis presque partout dans les assemblées du Tiers-État, et souvent même, dans les assemblées du Clergé. La stratégie et les objectifs des sociétés de pensée ont été décrits par l'abbé Sieyès dans son pamphlet, Qu'est-ce que le Tiers-État ? Cette stratégie fut mise en œuvre avec succès entre le mois de mai et le mois de juillet 1789.

Y-a-t-il une essence de la Révolution française valable à toute époque, qui justifie que Ton soit contre-révolutionnaire aujourd'hui ?

L’essence de la Révolution réside dans la volonté de faire table rase de l'héritage des pères, de l'ordre naturel, dans la négation du réel, la négation de la transcendance, dans l'ambition de construire une société entièrement élaborée par la volonté humaine, constituée d'hommes qui sont « régénérés », refaçonnés par la main de l'homme. Le conflit qui n'a pas manqué de surgir entre cette ambition idéologique et le réel a débouché sur la première expérience totalitaire des temps contemporains, source d'inspiration puissante, souvent explicitement assumée, des grands totalitarismes du XXe siècle. Etre contre-révolutionnaire aujourd'hui exige d'abord le respect du réel, le respect de l'autorité effective du droit naturel, tel que le concevait la pensée juridique romaine et la philosophie thomiste. Être contre-révolutionnaire exige aussi un retour de chacun sur soi-même afin de se libérer de soi, du subjectivisme, de l'insupportable, stérile et omniprésent « Moi, je pense que » pour rechercher la justice, pour admettre les faits tels qu'ils sont et non tels qu'on voudrait qu'ils soient. Être contre-révolutionnaire dans la Cité repose sur deux principes l'enracinement et la transcendance.

Philippe Pichot-Bravard, La Révolution française, éd. Via romana 294 pp. 24 euros, préface de Philippe de Villiers Postface de Reynald Sécher

Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn monde&vie 20 mai 2015 n°908

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