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L’HISTOIRE 5/6

Lorsque, sous le Portique qui porte le nom d'Instant, Zarathoustra interroge l'Esprit de Pesanteur sur la portée des 2 chemins éternels qui, venant de directions opposées, se rejoignent à cet endroit précis, l'Esprit de Pesanteur répond : « Tout ce qui est droit est mensonger, la vérité est courbe, le temps aussi est un cercle ». Alors Zarathoustra réplique avec violence : « Ne te rends pas, ô nain, les choses plus faciles qu'elles ne le sont ».

Dans la vision nietzschéenne de l'histoire, contrairement à ce qui était le cas dans l'Antiquité païenne, les instants ne sont donc pas vus comme des points se succédant sur une ligne, que celle-ci soit droite ou circulaire. Pour comprendre sur quoi repose la conception nietzschéenne du temps historique, il faut plutôt mettre celle-ci en parallèle avec la conception relativiste de l'univers physique quadridimensionnel. Comme ou le sait, l'univers einsteinien ne peut être représenté “sensiblement”, puisque notre sensibilité, étant d'ordre biologique, ne peut avoir que des représentations tridimensionnelles. De même, dans l'univers historique nietzschéen, le devenir de l'homme est conçu comme un ensemble de moments dont chacun forme une sphère à l'intérieur d'une « supersphère » quadridimensionnelle, où chaque moment peut, par conséquent, occuper le centre par rapport aux autres. Dans cette perspective, l'actualité de chaque moment ne s'appelle plus « présent ». Bien au contraire, présent, passé et avenir coexistent dans tout moment : ils sont les 3 dimensions de tout moment historique. Les oiseaux de Zarathoustra ne chantent-ils pas à leur Maître : « En tout moment, commence l'Être. Autour de tout Ici s'enroule la sphère Là. Partout est le centre. Courbe est le sentier de l'Éternité ».

le choix offert à notre époque

Tout cela peut paraître compliqué, tout comme la théorie de la relativité est elle-même “compliquée”. Pour nous aider, ayons recours à quelques images. Le passé, pour Nietzsche, ne correspond nullement à ce qui a été une fois pour toutes, élément figé à jamais que le présent laisserait derrière lui. De même, l'avenir n'est plus l'effet obligatoire de toutes les causes qui l'ont précédé dans le temps et qui le déterminent, comme dans les visions linéaires de l'histoire. À tout moment de l'histoire, dans toute “actualité”, passé et avenir sont pour ainsi dire remis en cause, se configurent selon une perspective nouvelle, conforment une autre vérité. On pourrait dire, pour user d'une autre image, que le passé n'est rien d'autre que le projet auquel l'homme conforme son action historique, projet qu'il cherche à réaliser en fonction de l'image qu'il se fait de lui-même et qu'il s'efforce d'incarner. Le passé apparaît alors comme une préfiguration de l'avenir. Il est, au sens propre, “l'imagination” de l'avenir : telle est l'une des significations véhiculées par le mythème de l'Éternel retour.

Par voie de conséquence, il est clair que dans la vision que nous propose Nietzsche, l'homme porte l'entière responsabilité du devenir historique. L'histoire est son fait. Ce qui revient à dire qu'il porte aussi l'entière responsabilité de lui-même, qu'il est véritablement et totalement libre : faber suae fortunae. Cette liberté là est une liberté authentique, non une “liberté” conditionnée par la Grâce divine ou par les contraintes d'une situation matérielle économique. C'est aussi une liberté réelle, c'est-à-dire une liberté consistant en la possibilité de choisir entre 2 options opposées, options données à tout moment de l'histoire et qui, toujours, remettent en cause la totalité de l'être et du devenir de l'homme. (Si ces options n'étaient pas toujours réalisables, le choix ne serait qu'un faux choix, la liberté, une fausse liberté, l'autonomie de l'homme, un faux-semblant).

Or, quel est le choix offert aux hommes de notre époque ? Nietzsche nous dit que ce choix est à faire entre le « dernier homme », c'est-à-dire l'homme de la fin de l'histoire, et l'élan vers le surhomme, c'est-à-dire la régénération de l'histoire. Nietzsche considère que ces 2 options sont aussi réelles que fondamentales. Il affirme que la fin de l'histoire est possible, qu'elle doit être sérieusement envisagée, exactement comme est possible son contraire : la régénération de l'histoire. En dernier ressort, l'issue dépendra donc des hommes, du choix qu'ils opéreront entre les 2 camps, celui du mouvement égalitaire, que Nietzsche appelle le mouvement du dernier homme, et l'autre mouvement, que Nietzsche s'est efforcé de susciter, qu'il a déjà suscité et qu'il appelle son mouvement.

À suivre

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