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De Gaulle et ses Premiers Ministres 1/2

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Considérations sur le pouvoir gaullien autour du colloque de l’Institut Charles de Gaulle

Le 4 novembre 1960, le général de Gaulle ajoute au texte de son discours l’incidente suivante : « (…) la République algérienne laquelle existera un jour ». Il s’agit d’un geste de la plus grande importance, qui consent officiellement à l’indépendance de l’Algérie. Son Premier ministre, Michel Debré, est stupéfait. À aucun moment, de Gaulle ne lui a parlé de sa volonté de rajouter au texte cette petite phrase fatidique. L’anecdote est révélatrice des rapports entre Charles de Gaulle et ses Premiers ministres, Michel Debré (en exercice de 1959 à 1962), Georges Pompidou (1962-1968), Couve de Murville (juillet 1968 à avril 1969), que décrit un ouvrage récemment paru chez Plon, De Gaulle et ses Premiers ministres 1959-1969, publication reprenant les communications d’un colloque de l’Institut Charles de Gaulle.

De Gaulle est généralement appréhendé dans le courant de pensée dit de la Nouvelle Droite comme figure du politique. Ses relations avec ses différents premiers ministres sont donc intéressantes parce qu’à même de livrer des enseignements sur la fonction présidentielle mais aussi sur les différentes strates de l’exécutif. Ce livre des éditions Plon révèle ainsi un de Gaulle, Président de la République à l’influence prépondérante, définissant le principe essentiel du « domaine réservé » que tempèrent peu à peu les volontés d’indépendance de ses premiers ministres, Pompidou y réussissant beaucoup mieux que Debré ou Couve. Cet infléchissement du partage des responsabilités était aussi le corollaire de la lassitude du Général. L’ensemble ressort plus, de toute façon, du registre des rapports humains que de celui des arguties du droit constitutionnel.

Un exécutif fort

Un certain flou juridique est d’autant plus manifeste que le premier enseignement à retirer de ce colloque est que la répartition des pouvoirs sous la Ve République est placée sous le signe de l’ambiguïté. Les rédacteurs de la Constitution ont manifestement voulu renforcer le pouvoir exécutif, formule un peu vague que Bertrand de Jouvenel préférait appeler le pouvoir d’action. Mais selon l’analyse de François Goguel, ils ont confié ce pouvoir d’action à la fois à un Président de la république indépendant du Parlement par son mode d’élection — et cela était capital —, mais aussi à un gouvernement doté de compétences et de prérogatives propres. Seule la pratique est appelée à résoudre cette délicate dualité, ce que résume ainsi de Gaulle : « une constitution, ce sont des institutions, un esprit et une pratique ». Une autre formule qu’il délivre le 20 septembre 1962 permet de cadrer l’idée qu’il se faisait de sa fonction : « le Président est le garant (…) de l’indépendance et de l’intégrité du pays ainsi que des traités qui l’engagent ». Cette identification du Président de la République avec la nation, thème récurrent du gaullisme, est en fait une réponse, par-delà l’histoire, à l’incapacité constitutionnelle du Président Lebrun qui, dans la tourmente de juin 1940, ne put et ne sut que nommer un nouveau gouvernement. La situation appelait une réaction beaucoup plus énergique et symbolique, qui ne trouvera son expression que dans l’appel du 18 juin 1940.

De Gaulle refuse d’être contraint à l’impuissance de ses prédécesseurs des IIIe et IVe Républiques. Il entend au contraire s’intéresser à tous les sujets, comme il l’avait énoncé dans ses Mémoires d’espoir. Il s’immisce ainsi, en 1963, dans la conception du plan, domaine jusqu’alors réputé inaccessible au profane. En 1968, il récidive sur le terrain des relations monétaires internationales. Cette volonté d’un renforcement de l’activité présidentielle se retrouve dans la suppression des Conseils de cabinet, héritage des IIIe et IVe Républiques, qui réunissaient, en l’absence du Président, l’ensemble du gouvernement sous l’égide du Premier ministre. Comme il veut être partout, l’ancien chef de la France libre, qui ne saurait être omniscient, imbrique étroitement Matignon et l’Élysée. Chaque collaborateur du Président dispose d’un correspondant à Matignon et réciproquement. Cette omniprésence du chef de l’État réduit bien sûr d’autant les prérogatives du Premier ministre.

Un rôle de timonier

Serge Berstein (professeur à l’Université de Paris X Nanterre et à l’IEP de Paris) fait ainsi remarquer, dans sa communication du colloque, que dans la période 1962-1967, cruciale pour le gaullisme de gouvernement, aucune initiative politique n’émane du Premier ministre. Cela montre la nature de la marge d’action qui est laissée à Matignon, Est-ce à dire pour autant que Michel Debré, Georges Pompidou ou Maurice Couve de Murville furent totalement éclipsés par l’ombre du général de Gaulle, moderne et politique statue du Commandeur ? Il convient de noter que la Constitution ne leur en donnait pas la latitude. L’article 20 est explicite : « le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation ». Certes, il ne s’agit pas pour eux d’affronter de Gaulle mais comme l’écrit Michel Debré, dans le troisième tome de ces Mémoires, qui est précisément intitulé Gouverner, d’affirmer que l’exécutif est double.

Cette sentence, lumineuse d’un point de vue constitutionnel, s’avère fort ardue à mettre en pratique. Debré se heurte, alors qu’il désire établir un équilibre entre l’Élysée et Matignon, à l’obstacle que constitue la crise algérienne. Charles de Gaulle, qui a établi sa légitimité sur son rôle charismatique dans la libération du pays, ne peut en effet se concevoir, face au pouvoir, au cœur de la guerre d’Algérie, que comme un timonier. Il ne saurait être question pour lui de partager, dans la tempête, la conduite du vaisseau France. Cette idée de l’unique action du Président en cas de crise grave est déjà préfigurée par l’appel du 18 juin, geste noble d’un homme seul, et se concrétise, en 1958, au moment du retour au pouvoir, par l’établissement manu militari d’une constitution sur mesure. Elle trouve ensuite sa parfaite expression dans l’affaire d’Algérie où de Gaulle met un point final au difficile processus de décolonisation, tout en reprenant en main, l’action de l’armée et son état d’esprit.

Elle aboutit finalement avec le départ du commandement intégré dé l’OTAN, en 1966, garantie indispensable de notre indépendance, qui permet de revoir complètement notre politique étrangère, donc les liens avec nos alliés en matière de défense et en conséquence de dessiner une nouvelle maquette de notre année. Cependant, du principe de la seule décision du chef de l’État en période de crise, découle, de façon attendue, « le domaine réservé ». La définition la plus pertinente en a été donnée par François Mitterrand, en 1988, dans sa Lettre à tous les Français : « (je suis) responsable de la route à suivre par la nation quand sa sécurité et sa place dans le monde sont en jeu, (je suis) responsable des grandes orientations et de la défense du pays ».

À suivre

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