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Il y a 34 ans, je fus un enseignant agressé par de jeunes Arabes…

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« Frapper un professeur, c’est frapper la République », vient de pompeusement déclarer l’actuelle ministre de l’Education nationale, après qu’une professeure de Tourcoing a été giflée par une porteuse de voile récalcitrante. Moi, je ne peux m’empêcher de mettre cette affaire en regard avec les réactions de la même Education nationale, quand, le 13 février 1990, aux portes du mon lycée, c’est moi qui ai été assommé par un commando d’Arabes… Si je comprends bien, ce jour-là, j’aurais pu moi aussi, à l’instar d’un Mélenchon, bomber le torse et fièrement proclamer : « La République, c’est moi ! ».

Mais revenons d’abord sur les faits :
Le 13 février 1990 vers 17 h, ayant achevé ma journée de travail, je m’apprête à quitter le lycée où j’exerce alors, le lycée Henri Bergson, situé près des Buttes Chaumont, dans le XIXe arrondissement de Paris. Au moment de franchir les grilles qui séparent le bâtiment de la rue, j’assiste à l’irruption d’un commando de jeunes Arabes, lesquels se mettent aussitôt à tabasser un élève africain noir qui se trouvait là par hasard. Moi, je fais ce que probablement beaucoup, sinon tous, auraient fait à ma place : je tente de m’interposer entre les agresseurs et l’agressé. Mais je suis immédiatement assommé et je perds alors connaissance. Et c’est à l’Hôpital Saint-Louis que, un peu plus tard, je reprends conscience avec, sur la tête, une énorme bosse…

Bien sûr, je n’ai pas été tué comme l’ont été mes malheureux collègues Samuel Paty et Dominique Bernard, auxquels je pense beaucoup ces jours-ci. Mes agresseurs n’ont pas utilisé contre moi des couteaux mais des matraques ; et, au moment où ils me frappaient, ils n’ont pas crié « Allahou Akbar ! ». Je ne constituais d’ailleurs pas pour eux une cible prioritaire puisque, visiblement, c’était pour ratonner et casser du nègre qu’ils étaient venus. Néanmoins, si leur intention première n’était pas de taper sur un prof, quand ils m’ont trouvé sur leur route, en face d’eux, le fait que je sois, et un adulte, et un enseignant, ne m’a en rien protégé de leur violence aveugle ; cela ne les a nullement intimidés, cela ne les a en rien retenus de cogner sauvagement sur moi.

Mais pourquoi revenir aujourd’hui sur un événement tellement ancien ? 34 ans, ça fait tout de même un bail ! Mais si, 34 ans après, je pense qu’il n’est pas inutile de revenir là-dessus, ce n’est pas pour le plaisir de pleurnicher un petit coup, de jouer les martyrs et de me faire plaindre. Je n’ai nullement été saisi du désir opportuniste de profiter d’une actualité tragique pour tenter de me mettre en vedette ! Certes, et je serais le premier à le reconnaître, ce qui m’est alors arrivé est sans commune mesure avec ce qui s’est passé à Conflans-Sainte-Honorine et à Arras. Cependant, si l’on veut bien faire l’effort, un instant, de mettre les choses en perspective, qui pourra nier que, mutatis mutandis, il existe bien une filiation, un continuum entre ce que j’ai subi en ces temps reculés et la chose épouvantable, les crimes horribles, qui se sont perpétrés là-bas ?

Oui, la violence dans l’école, et en particulier la violence exercée par des allogènes, vient de loin. Elle ne date pas d’aujourd’hui et, tout au long de ma carrière de professeur, j’ai hélas pu assister, année après année, à son aggravation, à sa banalisation, parallèlement avec l’accroissement dans nos classes du désordre et de l’indiscipline. Après avoir rappelé ces faits anciens, ces faits plus ou moins graves (considérablement moins graves en tous cas, je l’accorde volontiers, que ceux qu’il nous faut – hélas ! – aujourd’hui déplorer) je voudrais surtout attirer l’attention de ceux qui voudront bien me lire sur ce qu’ont été concrètement, dans les deux domaines où on se serait attendu qu’elle et ils en eussent, l’Education nationale d’une part, et les médias d’autre part, les répercussions concrètes (ou plutôt les non-répercussions !).

Réactions dans l’Education nationale :
considérons d’abord l’Education nationale, l’institution dont je relevais professionnellement. Eh bien, peut-être refusera-t-on de me croire : pourtant je l’affirme de façon catégorique, je n’ai à l’époque reçu de la part de l’Institution aucun soutien de quelque ordre que ce fût. En effet, personne au ministère, ou au rectorat, ou à l’Inspection académique, n’a jugé bon de décrocher son téléphone, n’a pris la peine de prendre la plume, afin de me contacter pour demander de mes nouvelles. Certes, pour ce que j’avais fait, je n’attendais aucune médaille, mais on aurait pu imaginer que l’Institution, par la bouche d’une « autorité » quelconque, tînt à me témoigner un minimum de reconnaissance ou seulement d’attention :
« Cher monsieur, cher collègue, nous tenions à vous remercier ; c’est bien ce que vous avez fait… blablabla… ; comment allez-vous aujourd’hui… blablabla… » Sur le moment, je dois dire que ce silence ne m’a fait ni chaud ni froid ; je ne me suis d’ailleurs, à l’époque, même pas arrêté sur ce détail, mais, rétrospectivement, quand j’y repense, cela ne laisse pas de me paraître ahurissant, et même tout à fait scandaleux.

Il m’est même revenu que le proviseur de mon lycée, André Lacroix, pas directement bien sûr mais dans mon dos, se serait épanché auprès de certaines personnes qui me l’ont ensuite rapporté : « Cet imbécile de Pouchet, ah ! il nous fait bien ch… celui-là ! N’aurait-il pas mieux fait de s’abstenir ? ». Il faut dire qu’à la suite de mon agression le lycée s’est retrouvé en ébullition : les autres professeurs se sont en effet mis en grève afin d’obtenir que le proviseur acceptât de convoquer un conseil de discipline pour sanctionner aussi bien l’Africaine que l’Arabe, les deux élèves qui pour un motif futile s’étaient embrouillées et avaient été toutes deux à l’origine des violences. Quant aux élèves du lycée, eux, ils ont sauté sur l’occasion pour organiser de bruyantes manifestations dans le quartier, ce qui n’a pas peu contribué à ruiner définitivement la réputation de Bergson, laquelle, jusque-là, était encore quasiment intacte.

Plus tard, il y aura un procès en correctionnelle. En effet, la police appelée par le concierge et arrivée rapidement sur les lieux avait pu interpeller l’un de mes agresseurs. Ce dernier, en compagnie du père et de l’oncle de la jeune Arabe, sera donc présenté au tribunal. L’idée ne m’était pas venue pour ma part de me constituer partie civile. Quant au rectorat, je ne me souviens plus si, en ce qui le concerne, il avait commissionné un avocat pour le représenter. En tout cas, il ne m’a été de sa part proposé aucune assistance juridique afin de défendre mes intérêts de victime ! Cependant, je suis venu à la barre pour présenter le témoignage que l’on me réclamait. Bien sûr, ne m’étant pas constitué partie civile, je n’ai pas, contrairement à l’élève africain brutalisé en même temps que moi, sollicité et obtenu une quelconque indemnité ou compensation financière…

Réactions dans les médias :
Voyons maintenant comment dans cette affaire les médias se sont acquittés de la tâche d’information du public qui leur incombe en théorie. Certes il y a eu des articles dans le Parisien Libéré et dans France-Soir (j’en reproduirai certains dans le dossier joint). Ceux-ci ont relayé assez fidèlement les circonstances de l’agression ainsi que les manifestations qu’organisèrent ensuite les lycéens. Ils n’ont cependant pas épilogué (ce n’était d’ailleurs pas leur boulot) sur ce que ce genre d’incidents pouvait avoir d’inquiétant pour l’avenir de l’école.

Il y a eu aussi un article dans Présent, un quotidien franchement orienté à droite et de diffusion assez restreinte (voir également le dossier). Ce sont mes parents qui y étaient abonnés qui me l’ont communiqué. Cela m’étonnerait qu’il n’y ait rien eu à ce sujet dans l’hebdomadaire Minute, une publication qui, vu son positionnement politique, était avide de ce genre de faits divers. Mais je n’en gardé ni trace, ni souvenir. Ce dont je suis bien sûr en revanche, c’est que « les journaux sérieux », comme Le Monde et Le Figaro, ne se sont aucunement intéressé à ce « fait divers », considérant sans doute qu’il ne méritait pas qu’on en parlât.

Opiniâtre palinodie du « Monde de l’Education » :
Pour ma part, sorti de l’hôpital et me remettant chez moi de mon traumatisme, j’ai jeté sur le papier quelques réflexions que m’avait inspirées ma mésaventure. Par ce commentaire, je m’efforçais d’en tirer quelques enseignements pouvant être utiles. L’idée générale de mon propos, c’était que, la nature ayant horreur du vide, si l’autorité de l’institution cesse de s’imposer au sein de l’Ecole, une ou plusieurs autres autorités vont tenter d’occuper la place laissée vacante, par exemple des autorités communautaires, les Noirs, les Arabes, etc. Les élèves n’étant plus protégés efficacement par l’autorité officielle qui renonce « à maintenir l’ordre » vont avoir tendance à faire appel à une autorité de substitution, celle de la communauté à laquelle ils appartiennent.

On s’expose alors au risque d’une compétition et d’un affrontement entre deux autorités rivales et c’est ce à quoi l’on a, à mon avis, pu assister dans cette classe. Pour illustrer mon analyse, j’ai eu recours à une comparaison, laquelle m’était inspirée par la situation internationale de cette époque. Au Liban, l’État étant devenu impuissant, chaque communauté s’était armée et cela avait débouché sur une sanglante et interminable guerre civile. Je pouvais donc proposer ce slogan, un peu exagéré mais pas entièrement faux : « Bergson ne doit pas devenir Beyrouth ! »

Une fois rédigé mon papier, je l’affiche dans la salle des profs. Beaucoup de ceux qui le lisent semblent approuver ce que j’ai écrit. Aussi l’idée me vient de transmettre ce petit texte sans prétention à un journal spécialisé dans les problèmes de l’école, le mensuel « Le Monde de l’Education », une « succursale » du grand quotidien du soir du même nom. Après que je leur eus envoyé mon texte, ils me contactent aussitôt par téléphone. Ils veulent des informations complémentaires que je m’empresse de leur fournir. Je réponds aux nombreuses questions qu’ils me posent et je me dis alors que cela donnera peut-être matière à un entrefilet, voire un articulet dans leurs colonnes. Éventuellement publieront-ils quelques lignes de mon texte dans leur courrier des lecteurs.

Aussi ai-je été très surpris de recevoir quelques jours plus tard une lettre de Jean-Pierre Clerc, le rédacteur en chef du Monde de l’Education, lequel m’explique que tout ce qui m’était arrivé était bien triste mais que cela ne concernait aucunement leur magazine. Selon lui, il s’agit en effet « d’événements graves, mais ponctuels, qui relèvent mal d’un compte-rendu dans un mensuel ». Cette désinvolture à mon égard, et surtout ce refus de prendre au sérieux des problèmes sérieux qui, indubitablement, concernent l’école, alors même que les problèmes de l’école constituent, précisément, la raison d’être de leur publication, me surprend, m’agace et, aussitôt, je leur écris pour leur faire connaitre mon désappointement.

Le lendemain, je pense que mon agacement aurait pu s’exprimer autrement, avec d’autres mots, peut- être encore plus ironiques et plus cinglants. S’ensuit alors une longue « guerre de plume », laquelle prendra la forme d’une sorte de jeu littéraire, avec force pastiches et « à-la-manière-de » d’écrivains ou de personnages historiques, un jeu qui se prolongera pendant près d’un an et demi pour ne s’arrêter définitivement qu’en septembre 1991, le jour où Clerc consentira à publier un extrait d’une de mes lettres dans le courrier des lecteurs de son vilain petit canard.

Cette correspondance drolatique, je la nourrissais de ce tout que pouvait me fournir l’actualité ou le hasard de mes lectures. De temps en temps, Clerc m’envoyait une nouvelle lettre comme pour me narguer. Tandis que moi, en rédigeant contre lui mes diatribes, en vidant ma bile sur la cible commode qu’il constituait pour moi, je pouvais me changer les idées et oublier un instant les vicissitudes quotidiennes de l’enseignement. Tous ces écrits ont fini par constituer un épais dossier que j’ai même songé à faire publier mais les éditeurs qui s’étaient d’abord montrés intéressés m’en ont finalement dissuadé.

En 1996, j’ai fait une petite rechute et je me suis permis d’apostropher le quotidien « Le Monde », lequel avait eu le culot de déplorer dans un article le fait que certains, préférant « cacher la poussière sous le tapis », avaient fait le choix d’occulter jusqu’alors les phénomènes de violence affectant l’école. Les trouvant décidément très gonflés, ces folliculaires hypocrites, j’ai pris la liberté de le leur écrire (on trouvera des extraits de cette lettre dans le dossier joint), non dans l’espoir d’obtenir de leur part une publication ou un quelconque acte de contrition, mais pour le seul plaisir amer de leur plonger un peu « le nez dans leur propre caca ».

Et à la télé ?
J’allais oublier de signaler que, poussé par mon désir de donner un coup de projecteur sur la question de la violence et des désordres au lycée, je me suis laissé ingénument entraîner – ce que j’ai par la suite vivement regretté – dans un épisode télévisuel burlesque et parfaitement ridicule. Dans ces temps reculés, sévissait à la télé un personnage du nom de Christophe Dechavanne, lequel « animait » alors une émission hebdomadaire qui faisait beaucoup d’audience dénommée « Ciel, mon mardi ! ». Je ne sais plus qui, quelqu’un (sans doute un collègue ayant ses entrées à la télé) m’avait dit un jour : « Dechavanne prépare une émission sur la violence à l’école, serais-tu prêt à y participer ? ». Moi qui n’avais jamais regardé cette émission, j’ai pourtant donné mon accord. J’avais bien tort ! Dans quoi étais-je aller me fourvoyer ?

Dans la salle où était tournée l’émission, j’ai pu assister à une véritable foire d’empoigne ; il y avait là en effet toutes sortes de gens invités, des syndicalistes de diverses obédiences, des représentants d’associations de parents d’élèves et d’autres (il y a même eu un représentant des Jeunesses Communistes, lequel tenta de m’arracher le micro des mains, quand celui-ci me fut un instant offert !).

D’un côté donc toute une faune assez disparate, parmi laquelle chacun jouait des coudes pour parvenir à en placer une, de l’autre un « animateur » prétentieux et très satisfait de sa petite personne, dont, visiblement, le souci n’était nullement celui d’organiser un débat sérieux et constructif, mais plutôt celui de jeter de l’huile sur le feu de façon à multiplier les esclandres et les prises de bec spectaculaires. Un vrai journaliste Dechavanne ? Plutôt un vil histrion et un fomenteur de pantalonnades propres à fournir au cirque médiatique les aliments quotidiens que celui-ci réclame ! « Panem et circenses », disaient autrefois les Romains…

Conclusion :
Comme on peut hélas le constater, mes efforts (et ceux de quelques autres, car je suis loin d’avoir été le seul à m’inquiéter de l’évolution inquiétante de l’école), mes efforts anciens pour tirer efficacement la sonnette d’alarme n’ont rencontré aucun succès perceptible et j’ai en fait échoué sur toute la ligne : « Vox clamans in deserto », comme on dit.

Depuis cette époque la déliquescence de notre système éducatif, sur tous les plans, s’est poursuivie et considérablement aggravée. Sur le plan du niveau des élèves, devenu de plus en plus lamentable, aussi bien dans les disciplines scientifiques que littéraires. Sur le plan de l’ordre et de la discipline dans les classes, des classes où se sont très souvent les cancres et les caïds qui font la loi et terrorisent impunément les élèves qui souhaiteraient apprendre. Sur le plan de la qualité des personnels recrutés, notamment le personnel d’encadrement (principaux de collège et proviseurs de lycée, devenus pour la plupart de lâches adeptes du « pas-de-vaguisme ») mais aussi celle de beaucoup d’enseignants eux-mêmes (faute de suffisamment de candidats, à l’égard de ces derniers, les jurys des concours ne cessent en effet d’en rabattre sur leurs exigences disciplinaires).

Aujourd’hui, chacun le sait, l’Education, dite nationale, est en faillite totale. Cela fait longtemps que le bac ne veut plus dire grand-chose. Les fameux rapports Pisa enregistrent, année après année, le décrochement scolaire de la France par rapport aux autres grandes nations d’Europe et du monde. Cette déliquescence n’est d’ailleurs, on le voit bien, qu’un aspect particulier de la déliquescence générale de notre société, avec l’impuissance croissante de notre état dans de très nombreux domaines.

André Pouchet

le 14 octobre 2024

DOSSIER
– 2 articles de France-Soir et 1 de Présent
– Mon texte du 15 février 1990 à l’adresse de mes collègues du lycée
– Celui pour Le Monde de l’éducation du 19 février
– La lettre de Jean-Pierre Clerc du 26/02/90 et ma réponse du 05/03/90
– Extraits de ma lettre au quotidien Le Monde du 10 février 1996
Article de France-Soir du vendredi 16 février 1990
Article de France-Soir du samedi 17 février 1990
Article de Présent du 19/20 février 1990

Le texte que j’ai affiché dans la salle des profs du lycée

Chers collègues,
Le 13 février à 17h, sur le parvis du lycée, j’ai été assommé alors que je prétendais m’interposer entre un commando venu de l’extérieur et un de nos élèves qu’il avait pris à partie. Par-delà le problème de ma petite personne, peu atteinte en définitive, par-delà même celui d’Alkassoum, plus gravement atteint et ce uniquement parce que noir, se pose à mon avis un problème plus large, qui nous concerne tous. C’est pourquoi je prends la liberté de m’adresser à vous pour vous faire part de mes réflexions.
Il me semble tout d’abord que nos élèves ont droit, non seulement à la sécurité corporelle mais encore et surtout à la tranquillité d’esprit. Ils sont en droit d’attendre du lycée que celui-ci soit un lieu de vie et de travail où ils puissent trouver le calme c’est-à-dire le confort psychologique et moral propice à la poursuite sereine des apprentissages intellectuels dans lesquels ils se sont engagés. Par conséquent, notre devoir à nous, professeurs et membres de l’administration du lycée, est de tout faire pour leur garantir un tel climat et écarter de notre établissement violence, vol, vandalisme, drogue, racisme.
Il me semble en effet qu’à travers cette affaire ne se pose pas principalement (ou pas seulement) un problème d’ordre public mais un problème essentiellement pédagogique. Car, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il y a corrélation étroite entre la violence telle que nous venons de la vivre et le climat pédagogique qui règne dans certaines classes. Quelqu’un osera-t-il prétendre que c’est pur hasard si cette affaire est née et s’est développée en 2nde1 ? Je suis moi-même bien placé pour le savoir puisqu’avec la 2nde2, qui, à ce que l’on dit, n’a rien à envier à la 2nde1, je suis quotidiennement confronté à une classe insupportable, invivable, ingouvernable… (on pourrait à loisir accumuler les épithètes les plus négatifs). Pas plus tard que lundi dernier, les profs de 2nde2 ont dû se réunir avec M. Jarlegan pour décider de mesures d’exclusion temporaires (5) dont nous espérons qu’elles « terroriseront » un peu la classe et y ramèneront un semblant d’ordre pendant quelque temps.
Apparemment la 2nde1, comme la 2nde2, est une classe où le prof ne peut pas faire la loi. Or, n’est-ce pas parce que notre loi s’est montrée défaillante que cette famille a été tentée d’y substituer la sienne ? Si ce « clan » a pu se mettre en mouvement n’est-ce pas, parce qu’il a cru à tort ou à raison, que sa fille était victime de brimades et de persécutions auxquelles nous ne pouvions ou ne voulions mettre un terme ? L’attitude de cette famille est certes inexcusable mais ne sommes-nous pas responsables d’un climat qui fait que de simples querelles entre élèves, lors d’un cours, ne peuvent être « gérées » et prennent de telles proportions qu’elles finissent par tourner à la guerre de clans selon une logique aveugle, qui n’est ni plus ni moins que celle de la ratonnade ? Nous ne pouvons laisser le lycée devenir un petit Beyrouth. N’y a-t-il pas un symptôme inquiétant dans le fait que l’on se mette, à l’occasion de cette affaire, à dire les Arabes, les Noirs ? Ne laissons pas notre communauté scolaire qui ne connait et n’a à connaître que des personnes, éclater sous les coups de tensions communautaires.
Je crois que dans cette affaire nous devrions demander à l’administration qu’elle frappe fort et juste c’est-à-dire des deux côtés, sur tous ceux qui sont à l’origine de cette histoire. Il serait sain (et même de leur propre point de vue, prudent) qu’ils aillent poursuivre leurs études ailleurs (s’ils sont jugés dignes de poursuivre des études). Il ne devrait là, pas tant agir pour nous d’exercer à leur encontre des représailles individuelles que de proclamer, haut et fort, qu’il y a une loi dans le lycée. Faute de quoi c’est la loi de la rue qui, inévitablement, tentera à nouveau de s’y imposer.
Plus généralement, nous devrions, à mon sens, agir pour que les élèves qui manifestement ne fréquentent pas le lycée dans le but d’y travailler, d’y développer leurs capacités et leurs connaissances, de façon à se hisser jusqu’aux niveaux requis pour les examens, soient écartés sans ménagements. Après tout, s’il est effectivement souhaitable, comme le veut le ministre que 80% d’une classe d’âge soit scolarisée jusqu’au bac, il ne serait pas raisonnable de pousser le volontarisme jusqu’à décider que, ces jeunes, on les y mènera malgré eux, quoi qu’ils veuillent et quoi qu’ils fassent. Ou alors ramenons le bac au niveau du brevet que beaucoup de ces élèves de 2nde n’ont même pas. Et le tour sera joué : le ministre pourra pondre un beau communiqué !
Je suis, quant à moi, persuadé qu’il y a un lien entre cette catégorie d’élèves qui sont là pour autre chose que pour travailler et les éléments qui périodiquement sont source d’insécurité aux abords du lycée. J’imagine que dans la plupart des cas les uns et les autres ont partie liée, que les uns attirent les autres. Les policiers qui s’occupent de Bergson et auxquels, par la force des choses, j’ai eu affaire, ne me l’ont pas caché : les bandes de racketteurs que périodiquement ils ont eu à traquer devant chez nous avaient des contacts ou des complicités à l’intérieur.
Ne faudrait-il pas aussi que nous demandions à l’administration que, par le biais de visites médicales appropriées dans certaines (toutes ?) grandes classes, soit organisé un dépistage systématique de la toxicomanie afin que soit précisément mesurée l’étendue du phénomène et que des mesures adéquates puissent être élaborées et arrêtées ? L’école de la République a pour mission, selon moi, d’assurer l’égalité des chances de tous ceux qui, quelle que soit leur origine nationale ou leur extraction sociale, viennent au lycée avec l’intention d’y travailler, de satisfaire aux exigences de la vie dans une communauté apaisée et fraternelle, respectueuse des personnes. Donnons-lui les moyens de la loi. Nous ne devons pas hésiter à exclure ceux qui l’enfreignent car c’est seulement comme cela que la loi peut vivre et montrer qu’elle existe, qu’elle n’est pas lettre morte. N’oublions pas que, si elle punit quelquefois quelques-uns, la véritable raison d’être de la loi, c’est de protéger tous les jours la grande masse des personnes.
Je me garderai de prononcer de grands mots tels que laxisme, etc. Il n’empêche que, à mon avis, il faudrait réagir si nous voulons pouvoir exercer notre mission d’enseignement dans des conditions satisfaisantes et vivables. Voilà. Sans doute y aurait-il encore bien des choses à dire. Mais j’espère cependant que celles-là contribueront à amorcer une réflexion et que cette réflexion sera salutaire.
André Pouchet, le 15 février 1990

La lettre que j’ai adressée au comité de rédaction du mensuel « Le Monde de l’Education » le 19/02/90

Messieurs,
La semaine précédant les vacances de février, le lycée Bergson (Paris XIXème) était le théâtre d’événements sérieux et, à mon sens, symptomatiques :
Lundi 12 : une algarade éclate, dans une classe de seconde particulièrement difficile entre une élève maghrébine et deux Africaines. L’affaire s’envenime et se prolonge dans le bureau du proviseur, lequel tergiverse et ne prend aucune sanction.
Mardi 13 : à 17h, heure de la sortie, un « commando » armé de matraques pénètre derrière les grilles qui séparent le lycée de la rue et se met à « ratonner » les noirs. Deux blessés : un élève africain qui n’avait rien à voir avec le litige et un prof qui tentait de s’interposer (moi-même). La police, arrivée sur ces entrefaites, se saisit d’un des assaillants.
Jeudi 15 : j’adresse à mes collègues la lettre ci-jointe, rédigée après ma sortie de l’hôpital.
-10h 30. L’assemblée générale des professeurs, unanime, exige le renvoi des différents responsables de l’affaire. Le proviseur répond qu’il ne peut agir que dans la « légalité », que rien ne prouve qu’il y ait corrélation entre les élèves et les agresseurs, etc. Les enseignants se déclarent alors en grève illimitée.
Vendredi 16 : en fin de matinée, le proviseur accepte de convoquer les conseils de discipline demandés. La grève est alors suspendue par les enseignants.
-Dans l’après-midi, les élèves organisent une manifestation au rectorat pour protester contre l’insécurité et réclamer l’éloignement des fauteurs de trouble.
Lundi 19 : l’inspecteur d’Académie vient au lycée, reçoit les représentants des professeurs, les écoute avec patience et courtoisie et leur déclare : « Je vous ai compris… mais comme je ne suis pas un démagogue, ne comptez pas sur moi pour obtenir ne serait-ce qu’un surveillant de plus ou des moyens supplémentaires pour dédoubler les classes. »
Dans la mesure où les inquiétudes que j’évoque et les problèmes que je soulève dans ma lettre ne concernent visiblement pas que les seuls enseignants de Bergson mais l’Education Nationale dans son ensemble, j’ai pensé que peut-être vous voudriez bien donner à celle-ci un écho plus large.
Je vous remercie par avance et vous prie d’agréer l’expression de mes sentiments les meilleurs.
André Pouchet, Suresnes, le 19/02/90

La lettre du Monde de l’Education du 26/02/90
Ma réponse du 5 mars 1990
Monsieur et Cher Rédacteur en Chef,
J’ai trouvé à mon retour de vacances votre lettre du 26/02/90. Que finalement vous décidiez de ne rien publier sur les problèmes du lycée Bergson, vous savez, je m’en contrefiche.
Il est bien évident que le problème de ce qu’il conviendrait de faire en seconde avec des élèves qui ne souhaitent rien y faire, n’est pas du ressort d’une publication comme la vôtre, prisonnière qu’elle est de sa périodicité mensuelle.
Et il parait effectivement judicieux de renvoyer tout cela au Monde quotidien, lequel, cependant, du moins à ma connaissance, n’a pas dit un mot de l’affaire.
Mais il est vrai qu’un quotidien – qui plus est un quotidien paraissant tous les jours ! – est un peu gêné pour s’intéresser aux faits-divers vieux de quinze jours. Bref, laissons cela à la presse « populaire » : France-Soir et Le Parisien du 16/02 ou à la presse dite « fascisante » : Présent du 20/02 et Minute du…
Cela est juste bon à engraisser les choux de ces gens-là !
Bah ! Comme dit l’Inspecteur d’Académie, ce n’est qu’un mauvais moment à passer, quelques années tout au plus. Après tout, on a déjà connu ça, il n’y a pas si longtemps dans les collèges. A la longue, ça finira bien par se tasser aussi. Eduquons ! Eduquons ! Sans trop nous mettre martel en tête.
Allez, ça roule, ça ronronne même ! A la prochaine ! Continuez, de votre côté, à nous faire vos beaux journaux, nous, du nôtre, nous continuerons à nous débrouiller comme nous pouvons.
Veuillez croire, Cher Monsieur le Rédacteur en Chef, à ma profonde considération.
André Pouchet, Suresnes, le 05/03/90

Suivront, égrainées au fil des jours, jusqu’en juin 1991, une série de missives (une cinquantaine environ), plus ou moins insolentes et vindicatives, qui prendront vite la forme de pastiches ou d’« à-la-manière-de » différents auteurs ou personnages historiques. Défilerons ainsi Emile Zola, Maurice Schumann, le Père Duchesne, Hubert Beuve-Méry (le fondateur et premier directeur du Monde), Cicéron (en latin s’il vous plait !), Blaise Pascal, Voltaire, Montesquieu, Rabelais, Shakespeare (en vers et en anglais bien sûr !), Cervantès, Saint Paul, San Antonio, Léon Bloy ; et puis des vers de Corneille, de Malherbe, de Verlaine, de Nerval, de Rostand, de Martial (également en latin), une version inédite de « La mauvaise réputation » de Brassens, etc.

Extraits de la lettre que j’ai adressée au courrier des lecteurs du quotidien Le Monde le 10 février 1996 :
« Le 7 février dernier, vous avez dressé un tableau accablant de la situation de l’école… en Grande Bretagne ! Vous avez cité des statistiques qui font apparaître que les savoirs élémentaires ne sont pas maîtrisés par près de la moitié des enfants. Voilà un tableau qui semble présenter beaucoup de points communs – hélas ! – avec celui de l’école française ; mais ce dernier quand pourra-t-on en contempler l’image véridique dans vos colonnes ? Cela fait des années que vous préférez nous en donner l’image idyllique, avec du niveau qui ne cesse de monter (Usque non ascendet ?) et de la rénovation qui ne cesse de rénover !
Avec « l’enfant enfin placé au centre du système éducatif » (Où était-il relégué, le pauvre, jusque-là ?), avec l’ouverture de l’école sur « les valeurs de la vie » (i.e. comme le dit fort bien Jacques Julliard sur les valeurs de la télé : fric, drogue, violence, obscénité, bêtise…), avec la promotion des « droits de l’enfant » et autres fariboles démagogiques ejusdem farinae. Aujourd’hui, à l’heure où les méfaits de la violence sont à l’ordre du jour, pour avoir une relation précise, factuelle des incidents violents qui se multiplient, il vaut mieux lire le Parisien Libéré que Le Monde.
« Dans la page entière que vous consacrez à la question le 8 février on trouve beaucoup de choses. Mais l’essentiel ? Ainsi on peut y lire un article sur « la mobilisation des enseignants » qui évoque en arrière-plan les désordres qui l’ont suscitée, mais de façon extrêmement floue, tout à fait vague et aseptisée. Un autre (dans l’inimitable registre triomphaliste auquel, sur un tel sujet, vous nous avez depuis longtemps accoutumés) sur « les innovations pédagogiques [qui] n’ont cessé depuis 1982 à Saint Etienne du Rouvray ». Un reportage enfin, mi-chèvre, mi-chou, sur un module à l’IUFM de Créteil consacré au « public (sic !) scolaire difficile », module visiblement ressenti comme bidon par ceux-là mêmes qui y participent. Mais rien sur les moyens d’en imposer aux fauteurs de trouble, rien sur l’objectif de donner à la loi toute sa place dans les établissements scolaires, rien sur les nécessaires sanctions à imaginer et à mettre en œuvre pour intimider ceux qui sont tentés de la transgresser. On chercherait d’ailleurs en vain le mot « sanction » dans vos articles. Pas plus que les mots : loi, discipline, règlement… Je ne dis même pas le mot « répression ». Fi donc ! Pas de gros mots, s’il vous plait ! […] « Cependant à votre place, je ne ferais pas les fiers. J’irais même – quelle outrecuidance ! – jusqu’à vous suggérer un examen de conscience. Au détour d’une phrase, vous concédez que cette situation déplorable ne date pas d’aujourd’hui ; les profs, dites-vous, « ont décidé de rompre la loi du silence qui recouvrait d’un voile pudique une exaspération de plus en plus difficilement contenue ». Tiens, comme c’est curieux ! Qu’est-ce que ce « voile pudique » ? Comment se fait-il donc que vous, le parangon de l’information libre et courageuse, vous ne l’ayez pas enfreinte, cette loi du silence, vous ne l’ayez pas audacieusement soulevé ce voile pudique ? Y aurait-il là l’amorce d’une autocritique ? Pas trop tôt quand même !
« Alors me reviennent en mémoire, avec une satisfaction mêlée d’amertume, les vains efforts qu’en février 90 j’avais déployés pour vous faire accepter mon témoignage, à la suite d’une agression qui m’avait envoyé à l’hôpital. J’avais été assommé devant mon lycée en essayant de m’interposer entre un commando d’arabes (oui, ça existe) et un noir (ça existe aussi) qu’ils avaient entrepris de tabasser. Problème de l’immigration ? Mais non ! Tout le monde sait bien qu’il n’y a pas de « problème de l’immigration » ! […]
« Bref, j’avais fait un texte pour mes collègues. Puis je l’avais envoyé au Monde de l’Education. Innocemment, ingénument, je croyais que ça pouvait les intéresser. Mais là, censure. Pas de son rayon ! Pas de place ! Vous savez, faut programmer les numéros trois mois à l’avance… Et d’autres justifications dilatoires et dérobatives. J’avais poursuivi une correspondance fournie avec le rédacteur en chef de ce temps-là : Jean-Pierre Clerc. En pure perte. Ça m’a amusé un moment. Puis ça m’a lassé et j’ai cessé. […]
« Je ne vous envoie pas tous ces vieux papiers (dans lesquels à mon avis pouvaient se lire les prodromes de la situation actuelle) pour que vous les publiiez – rassurez-vous j’ai aujourd’hui abandonné ce genre de fatuité – mais uniquement pour votre instruction, dans l’espoir (ténu mais tenace) que vous en fassiez votre profit et que – qui sait ? – vous puissiez en acquérir un peu plus de modestie.
Je vous prie d’agréer, Monsieur le Grand Chef du Grand Courrier des lecteurs du Grand Journal, la vision réjouissante de mon humble et déférente prosternation. »

André Pouchet, Suresnes, le 10/02/96

Sera-t-on vraiment étonné d’apprendre que cette dernière lettre – sans doute, je le reconnais, un peu trop acide et pas assez révérencieuse – n’obtiendra, de la part de notre grand quotidien de référence, ni réponse, ni écho d’aucune sorte ?

https://ripostelaique.com/il-y-a-34-ans-je-fus-un-enseignant-agresse-par-des-jeunes-arabes.html

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