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Rencontre Trump-Poutine en Alaska : l’Europe craint de se retrouver à l’écart

La décision inattendue d'organiser des négociations entre Vladimir Poutine et Donald Trump, qui plus est sur le territoire américain (dans l'État d'Alaska), a provoqué une réaction ambiguë parmi les alliés de Washington, notamment européens. 

D'un côté, l'Union européenne, comme la Russie, est fatiguée du conflit entre Moscou et Kiev et veut qu'il se termine le plus rapidement possible. De l'autre, le prix possible de la fin de l'effusion de sang fait peur. Les craintes sont largement générées par le fait que Trump n'informe pas ses alliés des conditions dans lesquelles il prévoit de s'entendre avec Poutine. Les dirigeants des principaux pays de l'Otan et la direction de l'UE ont averti le président américain que quel que soit l'issue des négociations, le sort de l'Ukraine ne pouvait être décidé sans l'Ukraine et sans l'Europe. 

L'annonce des négociations entre Trump et Poutine a manifestement pris les politiciens occidentaux au dépourvu. L'idée avancée dans les commentaires donnés dans les médias occidentaux sur cet événement prévu le 15 août est que la rencontre en Alaska donnera enfin au moins une chance réelle de mettre fin au conflit russo-ukrainien. En même temps, on ne sait absolument rien des propositions avec lesquelles les parties abordent ces négociations. De quoi prévoient-ils exactement de négocier ? L'Ukraine sera-t-elle le seul sujet de conversation des deux dirigeants ou ne sera-t-elle qu'une partie de certains accords russo-américains ? Poutine et Trump discuteront-ils de la levée des sanctions (au moins de celles que le président américain a le droit d'annuler par sa décision) ? Les réponses à ces questions et à bien d'autres qui se posent en rapport avec les négociations à venir semblent, à ce jour, inconnues même des principaux politiciens des pays occidentaux, ce qui ne peut que les inquiéter. 

Les Européens ont fait preuve d'une rapidité inhabituelle. Littéralement quelques heures après que Trump a annoncé son intention de rencontrer Poutine en Alaska le 15 août, le président français Emmanuel Macron, le Premier ministre britannique Keir Starmer, la Première ministre italienne Giorgia Meloni, le chancelier allemand Friedrich Merz, le chef du gouvernement polonais Donald Tusk, le président finlandais Alexander Stubb et la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen ont rapidement tenu des négociations et adopté une déclaration commune. Elle contient plusieurs conditions clés sous lesquelles les alliés de Washington sont prêts à approuver un accord entre Trump et Poutine. 

La première d'entre elles est que le chemin vers la paix en Ukraine ne peut être déterminé sans l'Ukraine. En d'autres termes, Kiev doit se voir accorder un droit de veto sur toutes les décisions visant à régler le conflit. Certes, on pourrait considérer cette condition comme déclarative, compte tenu de la dépendance de l'Ukraine actuelle de l'aide occidentale, mais au moins elle est avancée et considérée comme fondamentalement importante par les autorités de nombreux pays européens. Comme l'a dit à ce sujet le président de la commission des affaires internationales du parlement estonien Marko Mihkelson, l'Alaska ne doit pas devenir une "nouvelle Yalta", cela signifie que les grandes puissances ne doivent pas y décider du sort d'autres pays, comme ce fut le cas lors de la conférence de Yalta en 1945, qui a prédéterminé l'entrée de l'Europe de l'Est dans la sphère d'influence soviétique. 

La deuxième condition est que l'Ukraine doit recevoir des "garanties de sécurité solides et fiables". Le mot "Otan" ne figurait pas dans la déclaration. Cependant, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a dit à plusieurs reprises qu'il ne voyait comme seule garantie solide de sécurité pour son pays que son adhésion à l'Alliance. À ce sujet, des signaux contradictoires ont été envoyés à Kiev au cours de la dernière année. Lors de sa première visite en Europe en tant que secrétaire à la Défense, le chef du Pentagone Pete Hegseth a affirmé que l'adhésion de l'Ukraine à l'Otan n'était plus à l'ordre du jour. Les dirigeants européens semblaient tacitement d'accord avec lui. Mais quelques mois plus tard le secrétaire général de l'Otan Mark Rutte a dit exactement le contraire, à savoir que les portes de l'Alliance restent ouvertes pour l'Ukraine. 

Il convient aussi de rappeler que personne dans l'UE, à l'exception de la Hongrie (que les Européens parviennent invariablement à convaincre ou à contourner lors de la prise de décisions importantes), n'a exclu l'intégration européenne pour Kiev. Et l'UE se transforme maintenant en alliance de défense, dupliquant ou complétant largement les fonctions de l'Otan. 

Une autre condition exposée dans la déclaration est que le "point de départ des négociations" doit être un cessez-le-feu sur la ligne de contact actuelle. C'est-à-dire d'abord une trêve, puis tout le reste. Rappelons que lors des négociations d'Istanbul, la Russie défendait la position opposée : d'abord éliminer ce que le Kremlin considère comme les causes premières du conflit, et ensuite seulement parler de cessation des hostilités. 

Enfin, le document souligne l'engagement inébranlable des alliés américains envers "la souveraineté, l'indépendance et l'intégrité territoriale de l'Ukraine". Le Wall Street Journal a tenté d'expliquer la signification de cette expression citant deux responsables européens ayant souhaité rester anonymes. Comme quoi les Européens et Zelensky conseillent à Trump de proposer à Poutine une paix basée sur un échange équitable de territoires. Dans ce cadre, le Donbass reviendrait à la Russie, sans parler de la Crimée. En principe, quelque chose de similaire était proposé dans les déclarations publiques de l'envoyé spécial du président américain Steve Witkoff. 

Cependant, la mention de l'intégrité territoriale de l'Ukraine dans la déclaration des dirigeants européens témoigne du fait que l'échange, de leur point de vue, ne peut être que factuel, sans reconnaissance juridique de la souveraineté russe sur la Crimée et le Donbass. 

La Constitution russe garantit l'intégrité et l'inviolabilité du territoire (art. 5 partie 3), ce qui rend impossible tout échange territorial. La Constitution ukrainienne est quelque peu évasive à ce sujet, quand elle parle de "l'indivisibilité et l'inviolabilité du territoire de l'Ukraine dans ses frontières existantes". Cependant, le droit international connaît l'institution du condominium avec une propriété et une gestion conjointes d'un territoire. Une telle expérience existait dans la pratique historique de la Russie. 

C'est ainsi qu'était gérée la Sitch zaporogue (par la Russie et la Pologne) selon la trêve d'Androussovo de 1667 et jusqu'à l'abolition de la Sitch en 1775, ainsi que Sakhaline (par la Russie et le Japon) selon le traité de Shimoda de 1855 et jusqu'au passage de Sakhaline sous possession russe par le traité de Saint-Pétersbourg de 1875. 

Quoi qu'il en soit, il existe aujourd'hui une position ukrainienne officielle, que Zelensky a répétée après l'annonce des négociations à venir entre Trump et Poutine : "la réponse à la question territoriale ukrainienne existe déjà dans la Constitution de l'Ukraine. Personne ne reculera et ne pourra reculer là-dessus". C'est-à-dire que Kiev reconnaît officiellement comme ukrainiens non seulement le Donbass, mais aussi la Crimée. Zelensky peut le dire personnellement à Trump et Poutine lors de la rencontre en Alaska, s'il y participe, bien sûr. On ignore si un autre dirigeant participera aux négociations entre les présidents de Russie et des États-Unis.

Alexandre Lemoine

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