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Hommage à Maurice Ronet, le cinéma de la droite absolue

Hydre absolue, ivre de ta chair bleue...

Valéry

Je participerai à une émission de Radio Courtoisie (le 12 mars prochain, à 21h30) consacrée à Maurice Ronet par mon ami Arnaud Guyot-Jeannin. J’en profite pour proposer ce petit texte en en-cas. Le sujet Ronet, un des plus aristocratiques qui soient, me poursuit tel une ombre rebelle depuis vingt ans ou presque. Même le bref hommage d’Eric Neuhoff n’y suffira pas...

Maurice Ronet avait milité discrètement dans les années 70 au Parti des Forces Nouvelles de Tixier-Vignancour, donnant en quelque sorte raison à Jean Parvulesco qui affirmait quinze ans avant - d’Espagne dans la revue de la Phalange -, que la nouvelle vague était « fasciste ». Cette déclaration tempétueuse était bien sûr à tempérer mais il y aurait à dire sur Godard (qui fait d’ailleurs parler Parvulesco dans l’immortel A bout de souffle), Chabrol et Gégauff (revoir la scène très provo des Cousins, avec Brialy grimé en officier allemand) et sur Rohmer (deux amis se saluent bras tendu dans la collectionneuse en prononçant le cri de guerre Montjoie !). Ronet a tout en tout cas du beau ténébreux maudit, du dandy de droite, du guerrier maudit, du nihiliste caviar, même s’il vaut mieux que les héros parfois caricaturaux et ennuyeux du bon Drieu.

Ronet excellait à se faire détester et tuer : pensez à la Piscine (il joue le rôle d’un Américain !) et bien sûr à l’extraordinaire Femme infidèle. Il se moquait de lui-même disant qu’il avait été tué une trentaine de fois au cours de sa carrière. Sa dernière mort, d’ailleurs abjecte, se produit dans l’horrible film la Balance, qui montre peut-être une transition terminale dans le cinéma français : on n’y sera effectivement plus en France, après. Le vieux fusil a changé d’épaule. Vogue la galère.

Je fais un crochet par les studios américains. Ce n’est pas un hasard si le seul film d’extrême-droite du cinéma français se joue avec Delon et Ronet, sans oublier Anthony Quinn : c’est bien sûr les Centurions, hymne à la gloire de Bigeard et des paras d’Alger, provocation intenable dès l’époque puisque l’excellent film de Mark Robson, tourné d’ailleurs à Almeria, justifiant quelque peu la torture, fut ostracisé dix ans durant (quel honneur !).

Au début des années 80, alors qu’il sait sans doute qu’il va mourir, notre grand homme (plus encore que grand acteur), marié à une très belle fille Chaplin (et petite-fille du prix Nobel irlando-américain O’Neill !) désire aussi adapter pour la télé encore française une vie du général Boulanger. Le sujet est important car si Boulanger n’avait pas flanché à l’époque, l’histoire de la France et de l’Europe aurait été changée (que ce serait-il passé en cas de chute de la république méprisée et de nouvelle défaite face à l’Allemagne ?). Cela montrait en tout cas que Maurice Ronet s’intéressait en tout cas aux sujets pointus, et qu’on le suivait : car il y avait encore une télévision et un cinéma nationaux, je le maintiens sans sourciller. De cette fin de carrière je recommanderai aussi l’étonnant Madame Claude, avec une Françoise Sagan géniale, film d’un chic vulgaire et racoleur. Ronet y joue un ami de la dame et essayeur dandy de belles espionnes. Le film traite aussi de l’affaire Lockheed qui défraya la chronique dans les années 70 quand une partie des Bilderbergs (la Trilatérale) décida de se débarrasser de l’autre en prétextant des achats militaires (les fameux avions défectueux)... Le cinéma français s’intéressait à de ces choses...

Mais ce qui est surtout intéressant chez Maurice Ronet, c’est sa culture, sa recherche personnelle. Il a adapté les génies absolus de la littérature américaine, Poe et Melville, avant que l’Amérique - comme le cinéma français - ne soit plus l’Amérique. Ronet adapte deux fois Edgar Poe, l’excellent Scarabée d’or et l’extraordinaire Ligeia, un des plus beaux textes jamais écrits en hommage à la femme. Jugez-en en trois lignes traduites il est vrai par Baudelaire(1) :

« Une intensité singulière dans la pensée, dans l’action, dans la parole était peut-être en elle le résultat ou au moins l’indice de cette gigantesque puissance de volition qui, durant nos longues relations, eût pu donner d’autres et plus positives preuves de son existence. »

Ce film est introuvable. On peut par contre voir sur Youtube le prophétique Bartleby de Melville où l’éternel Michel Lonsdale adapte dans le Paris grisonnant des années 70 l’extraordinaire petit résistant à la matrice du maître de Moby Dick. Lonsdale traînaille autour du palais Brongniart comme si l’on pressentait que c’était à cet endroit que se jouerait la fin de notre histoire. Ici et à Wall Street naturellement. Je voudrais bien ne pas le faire, répète Bartleby d’une manière cyclique.

Le grand opus est bien sûr celui sur les dragons de Komodo, que je cite comme joyau mythique dans ma "Damnation de stars"(2). Ronet les compare à des chevaliers, à des héros solaires aux armures brillantes (pensez à Excalibur) qui bataillent près du cratère du Krakatoa (je sais, ce n’est pas la même île !!!) au commencement du monde, mythologie éclatée, au commencement du temps et de l’espace. De ce moyen-métrage (j’allais écrire moyen âge) fantastique, Ronet avait tiré un livre publié dans la célèbre et formidable collection j’ai lu, l’aventure mystérieuse, qui nous a tant permis de rêver quand nous avions dix ans et que nous attendions la venue des soucoupes violentes et des tibétains télépathes ! Les années 70 sont aussi les années fastes de Pierre Kast, qui tourna les Soleils de l’île de Pâques et avec qui le feu follet de la droite absolue oeuvra. Je me suis souvenu qu’avec Jünger bien jeune j’ai regretté aussi que soixante-dix s’efface. Nous avions soixante ans d’écart mais nous savions qu’après cette décennie sauvage et décalée, libertaire et païenne, sur fond d’agonie de tout, nous ne reverrions plus rien. Et ça n’a pas manqué.

On trouve ce bel extrait, qui explique si bien notre Ronet, dans le livre cité sur les dragons :

« Beaucoup de gens de notre temps que la fortune a fait naître en pays développés, perdent, jour après jour, le besoin de leurs jambes et celui de la curiosité. Ces gens-là mettent des manteaux à leurs petits chiens, tiennent rigueur aux gouvernements de ne pouvoir empêcher la neige de tomber sur les divines autoroutes où ils se font prendre comme mouches sur le papier à glue, et, grâce à la télévision, se croient au fait de tout ce qui se passe dans le monde. Pourtant, qu’il est dérisoire le petit écran si l’on songe à l’infini des horizons où perpétuellement se transforme et se recrée l’univers. En vérité, l’homme qui cesse de lire et de voyager parce qu’il possède un poste de télévision est comparable à l’enfant qui se fait une idée suffisante du soleil en contemplant les rayons d’ostensoir dont l’embellit son livre d’images. »

Et comme je n’ai pas envie d’en dire plus, me réservant pour la radio, je laisse Ronet conclure, ouvrir plutôt un débat supérieur, digne de mon "Voyageur éveillé"(3) :

« L’existence de tout homme n’est que l’incessant combat contre ses propres dragons. »

Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info

(1) <ebooksgratuits.com>
(2) Filipacchi, 1997
(3) Les Belles Lettres, 2002

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