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Le nomadisme patronal, un danger pour les entreprises françaises ?

Par Jean-Philippe Chauvin

Mercenaire, c’est ainsi que l’éditorialiste de Challenges (dis)qualifie Luca de Meo qui, de patron du constructeur automobile Renault va devenir celui de la multinationale du luxe Kering sans coup férir et sans avoir vraiment terminé ce pour quoi il avait été recruté il y a cinq ans, c’est-à-dire remettre sur pied Renault et préparer l’entreprise aux défis du lendemain. Comme l’écrit Vincent Beaufils, « Luca de Meo a beau répéter en boucle qu’au bout de cinq ans, le job était terminé, le sentiment est au contraire qu’il l’a abandonné au milieu du gué. D’ailleurs, pourquoi avoir rempilé l’an dernier pour un deuxième mandat de quatre ans si l’essentiel du travail avait été exécuté ? (…) L’automobile est une industrie de temps long ».

Ainsi, cette démission apparaît juste comme le moyen d’aller vers un poste plus rémunérateur pour ce patron qui, néanmoins, n’a pas que des défauts mais qui fait jouer, en somme, le Marché avant tout : c’est donc le Capital qui a le dernier mot, et non l’intérêt de l’entreprise, du moins ici celle d’origine, délaissée malgré les difficultés et les enjeux du moment, en particulier ceux concernant la transition énergétique (pas forcément écologique, en définitive) du secteur automobile et son financement devenu fort compliqué. Dans le même temps, cela marque « l’ère des patrons interchangeables », comme le titre Marianne, et cela peut confirmer le qualificatif de mercenaire évoqué par Challenges, qui signifie que les nouveaux patrons, loin des grands capitaines d’industrie d’antan, privilégient leur destin plutôt que celui des entreprises à la tête desquelles ils ne font que passer, précédés d’une réputation et alléchés par des revenus promis, mais aussi soumis à la pression, non pas des travailleurs eux-mêmes mais bien plutôt des Conseils d’administration, des actionnaires et de multiples ac­teurs qui n’ont que peu à voir avec la production elle-même… Cela pose quelques questions sur cette architecture entrepreneuriale générale et peut susciter quelques regrets du statut ancien dans lequel « les capitaines d’industrie français (…) faisaient corps avec leur boîte », ce qui marquait une forme d’enracinement social (bien différent de ce nomadisme patronal), un enracinement ancien (qui subsiste encore, mais ne semble pas être dans l’air libéral du temps) qui, de par sa nature, offrait quelques assurances pour la pérennisation des entreprises là où elles étaient nées. Dans la nouvelle donne mondialisée, et dans laquelle la formule franklinienne (« le temps, c’est de l’argent ») tient lieu de boussole et de « morale immorale », « l’étau financier ne cesse de se resserrer sur les entreprises du CAC40, avec l’arrivée de nouveaux actionnaires sans visage – des fonds de pension ou d’investissement tels que BlackRock et Vanguard », ce qui accroît la dévaluation de l’activité productive elle-même et, par conséquence directe, celle des producteurs de base, salariés ou sous-traitants. Mais, c’est aussi la tyrannie du court terme qui s’installe partout là où, au contraire, il faudrait prendre le temps ou, au moins, ne pas toujours vouloir aller trop vite : le président François Mitterrand se souvenait-il de ses lectures maurrassiennes quand il affirmait – avec raison – qu’il fallait « laisser du temps au temps » ? Toute stratégie industrielle ou économique qui entend se passer de cette sage précaution risque bien de mener, à plus ou moins brève échéance, à la catastrophe, et pas seulement économique… Mais, pour autant, cela ne signifie pas qu’il faille toujours attendre que l’occasion se présente pour la saisir : le mieux est encore de la susciter, autant que faire se peut. Il est des moments où il faut savoir accélérer, prendre de la vitesse mais sans la confondre avec l’inverse de la vitesse utile et efficace, c’est-à-dire cette vaine précipitation qui ne construit rien de durable…

Or, la terrible formule de Franklin relue et répétée à l’aune du monde de 2025 ouvre des perspectives folles, sans doute plus encore à l’heure de la numérisation du monde et d’une Intelligence artificielle qui paraît réduire l’action intellectuelle de l’homme à la manipulation d’un clavier et à la rédaction de « prompts », que lorsqu’elle a été prononcée pour la première fois, au milieu du XVIIIe siècle…

« Cette nouvelle culture du court terme génère un processus de rotation à la tête des entreprises. C’est ainsi que nous avons une génération de patrons qui se comportent comme des employés, atomisés, sélectionnés avant tout pour leurs compétences financières, indifférents envers le savoir-faire et la culture de l’entreprise » : est-ce une bonne chose ? Pas vraiment, mais rien ne sert de regretter cette situation si aucune réflexion n’accompagne ce constat. Un autre souci est la dénationalisation des patrons des grandes entreprises françaises du CAC40, soulignée par un article récent du Figaro-économie, une dénationalisation assez logique, somme toute, dans le cadre d’une mondialisation qui veut s’affranchir des contraintes étatiques et frontalières pour ne reconnaître que « le monde, le monde seul » (mais existe-t-il vraiment ou, plutôt, la formule n’est-elle pas un alibi pour cacher la prise de contrôle par des féodalités qui, elles, restent attachées – ou rattachées – à des puissances nationales qui leur servent de parapluie de sécurité ou de vecteur d’expansion ?). En fait, c’est surtout le terme de défrancisation qui pourrait le mieux s’appliquer au cas des multinationales cotées au CAC40, car une dénationalisation peut s’avérer aussi renationalisation, mais ailleurs comme le suggère le très significatif cas de Stellantis : « L’illusion aura tenu quatre ans. Il y a toujours deux conducteurs derrière le volant de Stellantis, mais ils sont tous deux italiens désormais (…). À la création du géant Stellantis en 2021, via le rapprochement du français Peugeot-Citroën et de l’italo-américain Fiat Chrysler, (…) la direction générale était entre les mains d’un ex-PSA, Carlos Tavares. L’éviction de ce dernier, en décembre dernier, a fait basculer l’équilibre au sein du groupe. Ce qui s’est rapidement traduit par une décision pénalisante pour son ancrage français : fin décembre, Stellantis a décidé que le siège opérationnel se situera désormais à Milan, et plus à Poissy, à côté de Paris.

« Une décision qui montre bien que la nationalité des dirigeants et des organes de direction d’une entreprise a un effet sur le poids accordé à un pays. « L’origine et la nationalité des dirigeants ont inévitablement un impact (…) ».

« Les rapports de force nationalistes et les arbitrages politiques sont régulièrement présents au sein des organes de direction des grands groupes… ». Cette simple et forte leçon doit être méditée, surtout à l’heure où la France aurait besoin de toutes ses forces entrepreneuriales, productives et commerciales, pour financer et mener ses efforts de réarmement industriel, l’un des vecteurs de sa puissance sans en être forcément le préalable qui, lui, est éminemment politique. Cela peut, en tout cas, nous inciter à prôner un nationalisme économique, intelligent et mesuré, qui ne soit pas une fermeture aux autres, ni une guerre commerciale en définitive plus dévastatrice que réparatrice, mais une affirmation des possibilités françaises et une valorisation des capacités et atouts français, une intégration des meilleures compétences dans le cadre de la puissance française et en fonction de l’avenir « que tout esprit bien né souhaite à sa patrie », selon la formule consacrée…

Ce nationalisme économique ne doit pas forcément privilégier des patrons français en tant que tel, mais bien plutôt des serviteurs assumés de la France et de ses intérêts. Effectivement, à quoi cela sert-il d’avoir un dirigeant français qui se servirait d’abord avant de servir l’entreprise française et la France elle-même ? Selon Pierre Lelièvre, responsable du pôle souveraineté au cabinet d’intelligence économique Vélites, « Luca de Meo, lorsqu’il était chez Renault, a pris en compte les intérêts français (…). Et il vient d’être engagé par une entreprise familiale ancrée en France ». Au-delà de ce que l’on peut considérer comme une forme de désertion fort regrettable et condamnable de son poste chez Renault, attitude que j’évoquais en début de cet article, il reste au moins au service des intérêts français, ce qui est déjà plutôt honorable par les temps qui courent, reconnaissons-le. « À l’inverse, Serge Tchuruk (ex-patron d’Alcatel) ou Patrick Kron (ex-patron d’Alstom), qui étaient français, sont réputés ne pas l’avoir fait » : l’ingratitude de ces patrons envers une France à laquelle ils doivent tant, a coûté fort cher au pays, et cela nous rappelle qu’il vaut mieux un étranger bon serviteur de la France qu’un Français oublieux de ses devoirs nationaux et, donc, sociaux ; mieux vaut un Mazarin qu’un Nicolas Fouquet… Le nationalisme économique que nous pouvons légitimement prôner se fonde d’abord sur l’attachement simple et manifeste à l’égard de la nation française, base de toute action crédible et efficace de la France : c’est d’ailleurs une force, tout comme une nécessité pour l’établissement et la pérennisation d’une présence et d’une puissance de la France sur la scène économique mondiale.

https://www.actionfrancaise.net/2025/08/13/le-nomadisme-patronal-un-danger-pour-les-entreprises-francaises/?doing_wp_cron=1755098464.0586259365081787109375

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