Malgré ses fondements peu susceptibles d’entraîner l’émergence d’un État diplomatiquement interventionniste, le changement dans la politique étrangère a bien eu lieu. Après les prémices des années 20 et 30, le tournant définitif s’opère en 1945.
Suite à la victoire des Alliés, les États-Unis sont la seule économie majeure à sortir renforcée de la guerre, n’ayant pas connu de destruction sur son propre territoire. Avec le Plan Marshall, les Guerres de Corée et du Vietnam, Les États-Unis vont devenir une « superpuissance » politique mondiale. Ces événements ont cependant lieu dans le cadre de la guerre froide. À l’avènement du monde unilatéral qui succède à l’écroulement du bloc soviétique, les interventions militaires américaines ont notablement continué, dans différentes opérations armées menées entres autres au Moyen-Orient, au nom, officiellement, d’un messianisme démocratique et de la sécurité nationale.
Nombreuses sont pourtant les voix qui se sont levées, dès les années 20, pour dénoncer un interventionnisme contraire à la nature et à l’intérêt profond du pays. Ces contestations ne sont pas le fait de pacifistes de la génération Woodstock, mais bien celle d’hommes politiques se réclamant d’un certain traditionalisme et conservatisme américain, et refusant le rôle leader militaire (et économique) des États-Unis, au nom même de la tradition nationale. Depuis les tenants de la Old Right jusqu’à Ron Paul, en passant par les « paléo-conservateurs », voici quelques illustrations de la constante résistance isolationniste se réclamant d’un patriotisme authentique.
Howard H Buffet, un congressiste républicain (anticommuniste) critiqua la pertinence et la moralité de l’interventionnisme militaire américain, en particulier au sujet de la guerre froide. Voici, traduit par mes soins, une de ses citations tirée d’un article du Québecois Libre écrit par Christ Leithner : « Nos idéaux chrétiens ne peuvent être exportés vers d’autres pays par les dollars et la force armée…. Nous ne pouvons utiliser la puissance et la force à l’étranger et conserver la liberté au niveau national. ». Fait très intéressant : Howard H Buffet fut connu pour être un virulent partisan du retour à l’étalon or… Les mêmes propos se retrouvent dans l’article The transformation of the American Right (paru dans la revue Continuum en 1964) de Murray Rothbard, célèbre économiste et politologue de « l’école Autrichienne ». Rothbard note par exemple qu’un pays basé sur les libertés individuelles se retrouve en pleine contraction en voulant « libérer » par la violence les peuples qui ont fait le choix du communisme. D’une manière générale, il identifie l’impérialisme américain comme le « problème essentiel de [son] temps ».
Les différentes générations d’isolationnistes qui se sont succédé ont aussi insisté sur le fait que l’interventionnisme militaire allait à l’encontre de l’intérêt du peuple américain. Durant la campagne présidentielle de 2000, Patrick J. Buchanan, un républicain rattaché au groupe des « paléo-conservateurs » lance : « n’a-t-on pas assez souffert, depuis PanAm 103, l’attentat à la bombe du WTC de 1993, jusqu’aux attentats des ambassades à Nairobi et Dar Es Salaam, pour comprendre que l’interventionnisme est l’incubateur du terrorisme ? ».
Le journaliste proche de la tendance Old Right Garet Garrett, en s’adressant aux défenseurs du « nouvel ordre mondial » dit : « Est-ce la sécurité que vous voulez ? Il n’y a pas de sécurité au sommet du monde ». Howard H Buffet semblait pour sa part avoir déjà compris que derrière l’impérialisme américain se cachait l’intérêt d’une oligarchie réduite. A propos du projet de construction d’un pipeline en Arabie Saoudite soutenu par le gouvernement américain, en 1944 (! !), il dit carrément qu’il s’agissait là d’une politique « garantissant pratiquement l’envoi des enfants [de la Nation] mourir dans un endroit éloigné, pour défendre les intérêts marchands de la Standard Oil ou les rêves mondialistes de nos planificateurs du monde unilatéral ». Une filiation directe est donc visible entre l’isolationnisme explicite que l’on retrouve dans les éléments fondateurs du pays (insistons encore une fois sur le contenu du discours de fin de mandat de Georges Washington) et les différentes générations d’opposants à l’interventionnisme militaire.
Il est intéressant pour conclure de noter que la plupart des tendances de pensée isolationnistes, depuis le mouvement Old Right jusqu’aux années 2000, montreront clairement le lien entre l’aggravation de l’interventionnisme militaire extérieur et l’émergence de l’interventionnisme intérieur, économique ( sur-protectionnisme, poids croissant de la fiscalité et de la redistribution bancaire (centralisation bancaire privée, interdiction temporaire de détenir de l’or, politique de la FED…) et sociétale (Patriot Act, lois sur la régulation d’internet…) qui ensemble portent atteinte à la neutralité et à la précieuse liberté individuelle originelle du peuple américain.
Cette politique d’interventionnisme double est à présent nommée le « Welfare-Warfare ». Garet Garrett insiste sur les racines libérales du pays dans son ouvrage The American Story. Il s’oppose à la fois au New Deal et à l’implication américaine dans la Seconde Guerre Mondiale qui ensemble symbolisent le passage d’ « une république à un Empire », mettant à mort l’héritage américain le plus précieux : la liberté. Connu pour son opposition à l’interventionnisme militaire, Ron Paul est aussi connu pour son engagement contre l’oligarchie privée et étatique. Il fait d’ailleurs très clairement le lien entre le géopolitique et l’économique, dans cette célèbre et simple phrase extraite de son ouvrage End The Fed : « Ce n’est pas une coïncidence si le siècle de la guerre mondiale coïncide avec celui de la centralisation bancaire ».
Nous avons donc ici en quelques paragraphes rappelé que les États-Unis en tant que Nation sont basés en premier lieu sur la liberté individuelle, ce qui a pour conséquence directe l’affirmation d’une tradition de démocratie et d’économie locale, d’une défiance vis-à-vis d’institutions publiques ou privées fortes, et donc de tout type d’interventionnisme ou de centralisation du pouvoir. L’ensemble des évolutions interventionnistes de l’État américain en interne et en externe, tout comme l’hégémonie financière de Wall Street, sont en tous points exogènes à la Tradition américaine authentique. Les argumentations des patriotes refusant l’évolution qu’a connu la politique gouvernementale mettent en lumière le fait que le soutien populaire à ces politiques relèvent de la pure manipulation : sous le prétexte des menaces aux libertés individuelles venues de l’intérieur (communisme) et de l’extérieur (terrorisme) l’État s’est engagé dans un double interventionnisme, aux dépends finalement de ces mêmes valeurs cruciales de liberté.
Certainement avons-nous, par ces quelques paragraphes, enfoncé des portes ouvertes, mais il nous semble important aujourd’hui de bien montrer à quel point les Nations, au sens des peuples et de leurs valeurs, sont utilisées, à la fois comme fer de lance et comme bouc émissaire, dans un conflit de civilisations qui se profile. On s’étonnera facilement de cet acharnement des manifestants en Libye et ailleurs à s’attaquer aux symboles nationaux américains, suite à cet étrange film anti-Islam, fait par on-ne-sait-pas-vraiment-qui (l’identité du « réalisateur » ayant changé d’un jour à l’autre) et on s’étonnera encore plus de l’acharnement des médias occidentaux à parler de ces débordements et à nous montrer des images de drapeaux qui brulent.
Il semblerait que, d’un coté comme de l’autre, on monte de toutes pièces une haine réciproque, qui amènera inexorablement les conflits armés prochains, au travers desquels coulera le sang des peuples laborieux. Pour trouver qui sont les fauteurs de troubles, peut-être devrions nous commencer par chercher qui, en fin de compte, en tirera profit…
http://www.egaliteetreconciliation.fr/L-histoire-oubliee-de-l-isolationnisme-americain-14317.html