Michel Boyancé, doyen de la Faculté libre de philosophie comparée (IPC-Paris), écrit dans l'Homme Nouveau :
"Il semble que les chrétiens doivent répondre par l’affirmative à la question de savoir si payer ses impôts est un devoir civique. Cela est posé explicitement par saint Paul (Rm, 13,7) :
« Rendez à chacun ce qui lui est dû : à qui l’impôt, l’impôt ; à qui les taxes, les taxes (…) ».
Cependant, une certaine conception contemporaine de l’État risque d’absolutiser cet acte de citoyenneté. [...]
La philosophie sociale et politique incluse dans la doctrine sociale de l’Église développe un ensemble de considérations qui relativise ce devoir civique en le subordonnant, de part et d’autre, à la justice (ce que saint Paul mentionne dans le fait de « rendre à chacun ce qui lui est dû »). Celle-ci se déploie en trois dimensions principales : distributive (dans la répartition équitable des biens), commutative (dans les échanges entre particuliers) et générale (en vue du bien de tous). Toute autorité politique et juridique doit se soumettre à ces rapports de justice, toujours en vue du bien commun, c’est-à-dire du meilleur bien des personnes en relation les unes aux autres dans l’unité d’une société politique. [...]
Il s’agit d’aider les personnes à atteindre leur bien dans le respect de leur liberté, notamment celle de conduire leurs affaires et leur vie. Cette aide ne veut pas dire ni que l’État doit laisser faire, ni qu’il doit faire à la place des personnes. Il doit leur donner les conditions, les cadres juridiques notamment, pour atteindre leur fin, assurer la justice (rendre à chacun ce qui lui est dû) notamment distributive, c’est-à-dire, comme le mentionne le Compendium de la doctrine sociale de l’Église (Conseil pontifical Justice et Paix, Compendium de la doctrine sociale de l’Église), pour la solidarité si, et seulement si, les instances intermédiaires ne peuvent le faire par leur propre moyen et discernement. C’est ainsi que l’impôt prélevé peut combler des manques (on pense aux allocations familiales, à des subventions pour aider des organismes à but non lucratif, des réductions d’impôts pour les entreprises, etc), sans tomber dans l’assistanat, destructeur de la liberté car étouffant les initiatives et particulièrement les efforts pour ne pas dépenser sans compter.
On voit donc bien que l’impôt doit être utilisé moralement par l’État et ceux qui sont chargés de la gestion publique. La mauvaise gestion, la gabegie financière, les privilèges exorbitants des personnels de l’État, etc, remettent en cause le principe du versement de l’impôt car le respect du bien commun (justice générale) n’existe plus. Par voie de conséquence, la justice est à la fois la vertu des gouvernants et celle des gouvernés. [...] Une administration pléthorique, tatillonne, étouffant les initiatives légitimes, ne permet pas une vraie justice générale. En ce sens, l’impôt ne se justifie pas.
Cependant, quand est-il légitime de ne plus payer l’impôt ? La réponse relève de la prudence c’est-à-dire du discernement sur le fait que l’État, par des lois injustes, empêche gravement la réalisation de la justice et du bien commun. Il n’y a pas de règles précises. Il s’agit de juger si, à un moment donné, le fait de ne plus payer d’impôts est légitime et s’il n’entraînera pas plus de maux. Autrement dit, le fait de ne plus payer l’impôt ou de se révolter quand manifestement il y a abus des autorités publiques, entre dans le principe général de désobéissance civile. C’est un principe à manier avec précaution mais il peut s’avérer dans certaines circonstances comme le meilleur moyen de signifier à l’État et à ses représentants que la justice n’est pas à sens unique et que la vertu n’est pas dans une seule partie de la société : ceux qui sont assujettis à l’impôt."
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