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La saloperie que nous n’achèterons pas : le dopant quotidien

Le 24 octobre 2013, les députés ont voté une taxe sur les boissons énergisantes d’une euro par litre. Par souci de santé publique ? On peut en douter. Car si ces doux breuvages provoquent des problèmes cardiaques et neuro-comportementaux, il suffirait de les bannir. Ce qui était le cas pour la boisson phare des hommes pressés, le « Red bull » (taureau rouge), avant que les libéraux adeptes du « il est interdit d’interdire » n’autorisent la commercialisation en France des cannettes explosives (en 2008), tout en se donnant bonne conscience avec l’inscription de la mention « à consommer avec modération, déconseillé aux enfants et aux femmes enceintes ». 
     Le marché des boissons énergisantes a depuis connu une croissance fulgurante. Le nombre de marques se multiplie, aux noms tous plus conviviaux les uns que les autres : Burn intense energy (avec des flammes sur la cannette), Ginger Energy (avec des flammes sur la cannette), Energy drink, Monster energy khaos, Monster ripper, Dark dog... Les publicités présentent sans détour ces produits en doses dopantes : « de la taurine et de la caféine pour garder la patate », « la boisson la plus diabolique de la planète », « bourrée d’énergie », « explosive », « coup de fouet », « vous donne la pêche d’enfer », « vivifie le corps et l’esprit », « vous donne des ailes quel que soit le moment où vous en avez besoin », etc. 
     Mais le culte de la performance s’est étendu jusque sur les emballages des produits de consommation les plus ordinaires. Le dopage s’est génétalisé. Il suffit d’entrer dans un supermarché pour être martelé d’exhortations à la puissance. Un jus de fruit multivitaminé « contribue à votre tonus », une boisson chaude vous apporte votre « énergie du matin ». Des barres de céréales ou des pruneaux d’Agen, « concentrés d’énergie », assurent vitalité et équilibre. « Rayonnez au quotidien » et « croquez la vie à pleines dents » avec des substances 100% energy », « fitness » et « fine ligne ». Même une tisane, c’est une « pause vitalité ». Même l’eau fouette notre corps, avec des bouteilles « high energy », « high protein », permettant « d’entretenir son capital osseux » et même de se forger « un corps tout neuf ». « Equipez votre corps », va jusqu’à ordonner une transhumaniste boisson bleue. 
     Sous la douche, le moindre shampoing est présenté par les perroquets du marketing comme un produit vivifiant, relaxant, nourrissant, régénérant, stimulant, tonifiant, euphorisant. « Vous vous sentez comme revigoré. » Après un rasage détonnant, assuré par des Formule Un quatre lames, des « Power fusion » ou des « Mach 3 turbo », déboulent les après-rasages « réveil express », « anti-fatigue, anti-cernes, anti-rides ». « Effet ultra-frais », comme un dentifrice « fraîcheur » et « haleine pure » qui entretient le « capital buccodentaire ». Les marques dynamiques de déodorants affirment un « caractère sport » : « pur ani-mâle », « team force », « cool kick », « pure game ». 
     Dans les vitrines des pharmaciens, dès que les feuilles mortes se ramassent à la pelle des affiches nous proposent les petites pilules miracles pour rester dans le vent. « Des états grippaux vous empêchent d’avancer ? » Interdit de paresser au lit, une-deux une-deux voilà un comprimé providentiel. Un rhume ? Un médoc pour rester dans les starting-block. Dépression ? Un cacheton. Vous vieillissez ? Achetez de la crème, « anti ride, anti tâche, anti relâchement : l’anti âge absolu ». 
     Soyez en parfait état de marche, c’est un ordre. Un impératif martelé partout. Ce discours thérapeutique permanent appelle à se dépasser, rester toujours dynamique, mobilisé, jeune, sportif, puissant, per-for-mant. Pour suivre le rythme de la croissance et tenir les « chocs de compétitivité », bien se placer dans la course à la concurrence généralisée, résister au stress. Adapté, efficace, motivé, robot sans défaut et enjoué. Jusqu’à ce que, pour les plus zélés des soldats du PIB, les doses de caféine, de ginseng ou de vitamines ne suffisent plus. Il leur reste alors des drogues pas encore vendues en supermarché, comme la cocaïne ou autres psychotropes. Se défoncer pour foncer, c’est une pratique de plus en plus courante au travail ces dernières années, selon les observations médicales. 
     L’escargot de la décroissance préfère se traîner et refuser cette accélération permanente. Reconnaître ses limites physiques, accepter les défaillances de son corps, la vieillesse, la maladie, et la mort. Fatigués ? On arrête tout, on se met au lit ! 


La Décroissance N° 105

http://www.oragesdacier.info/2014/01/la-saloperie-que-nous-nacheterons-pas.html

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