Nietzsche prophète ? On l’a dit. Mais on a surtout trop souvent séparé la dimension prophétique du veilleur de Sils Maria de sa dimension de philosophe. C’est l’objet du livre de Philippe Granarolo, tiré d’une partie de sa thèse, travail à la fois érudit et d’une totale clarté.
Nietzsche était haruspice, à la manière des Etrusques. Il voyait dans les entrailles de notre monde les signes du monde de demain. La préoccupation essentielle de Nietzsche n’était pas la déploration, fut-ce de la disparition de la noblesse féodale, mais le « devinement » du futur. Dans les différents mouvements de sa pensée – positivisme, classicisme, puis dépassement des deux – Nietzsche ne remet jamais en cause ce qu’il a cru apercevoir, même s’il en conteste ensuite la valeur. Ainsi, il ne remet jamais en cause le projet de Wagner d’unir l’oreille et le regard, la musique et la scène, une nouveauté qui annonce le cinéma du XXe siècle.
Dans la futurologie de Nietzsche, le plus important est l’idée que l’individu exceptionnel, singulier, échappe au politique. L’individu exceptionnel est ainsi, au-delà de l’actuel effacement du politique, susceptible d’échapper au nihilisme. Il vit « dans son propre système solaire ». Dans Humain trop humain, Nietzsche écrit en ce sens : « Il y a de grands avantages à se faire une bonne fois et dans une large mesure étranger à son temps, à se laisser flotter sur l'océan des conceptions passées du monde. De là, reportant ses regards vers la côte, on en embrassera, pour la première fois sans doute, la configuration d'ensemble, et on aura, au moment de s'en rapprocher, l'avantage de la comprendre mieux en totalité que ceux qui ne l'auront jamais quittée. »
Philippe Granarolo, Nietzsche. Cinq scénarios pour le futur, L’encre marine-belles lettres, 158 pages, 21 euros.
Philippe Granarolo présenté par Pierre Le Vigan
Notes
Philippe Granarolo a consacré à Nietzsche une thèse de Doctorat d’État ès-Lettres (« Le futur dans l’œuvre de Nietzsche ») soutenue en 1991. Il n’en avait publié jusqu’alors que la troisième partie ( L’individu éternel / L’expérience nietzschéenne de l’éternité, Vrin, 1993 ), L’auteur aime rappeler qu’il appartient à la première génération ayant eu le privilège d’avoir à sa disposition l’intégralité du corpus nietzschéen, ce qui rend possible une rigueur dans les analyses à laquelle ne pouvaient prétendre les commentateurs des générations précédentes.
source : metamag :: lien
http://www.voxnr.com/cc/dt_autres/EupuylAZuurTcLgpXs.shtml