À l'aube du 13 octobre, tandis que la France était menacée par la Flandre, les agents du roi arrêtèrent tous les Templiers. Philippe IV le Bel prit tout le monde par surprise pour réaffirmer la souveraineté de la couronne.
Cette année-là, la vingt-deuxième de son règne, Philippe IV dit le Bel, trente-neuf ans, se trouvait une nouvelle fois tenu d'affirmer par une action d'éclat la souveraineté pleine et entière de la couronne de France.
Des mesures d'exception devaient être prises
Nous l'avons déjà vu quatre ans plus tôt (AF 2000 du 1er mai 2008) s'élever avec une rare impétuosité contre l'irascible pape Boniface VIII, lequel prétendait imposer son autorité aux rois même dans les affaires politiques. Philippe, sachant ne tenir sa couronne que de Dieu seul, avait alors osé réclamer la déposition de Boniface dont l'intransigeance mettait en péril l'autorité et l'unité morale du royaume. Le comportement royal, quelque peu insolent, reflétait la fougue de la jeunesse d'une nation en pleine éclosion, et la question avait été réglée tant bien que mal avec les papes suivants, Benoît XI et Clément V, reconnaissant que le spirituel et le temporel devaient rester distincts (ce qui ne signifie pas séparés).
Le drame des Templiers, qui intervint en cette année 1307, fut, lui aussi, quelque peu douloureux, mais la monarchie capétienne se trouvait en grand péril ; tout devait être subordonné au salut de la France et des mesures d'exception devaient être prises.
Le péril c'était la Flandre qui menait la guerre contre le roi - une guerre qui nous avait déjà valu la grave défaite de Courtrai en 1303 et qu'il nous fallait à tout prix gagner pour protéger notre sûreté contre l'Angleterre. Philippe IV avait besoin, pour conduire cette entreprise, de beaucoup d'argent. Il avait déjà recouru à la fabrication artificielle de monnaie, ce qui avait déchaîné dans Paris des émeutes contre la vie chère. Il lui fallait aussi empêcher que l'argent français passât les frontières.
Or, l'ordre du Temple, à la fois religieux et militaire, créé au XIIe siècle pour protéger les pèlerins sur les chemins de Palestine, ne se montrait plus guère fidèle aux intentions pures et désintéressés de ses fondateurs... En créant des divisions entre chrétiens, les Templiers avaient sans doute hâté la chute du royaume franc de Jérusalem. Immensément riches mais ne versant aucun impôt, ils entretenaient en France une véritable armée permanente, ses commanderies s'érigeaient en véritables forteresses et le grand maître avait rang de souverain. En somme un État dans l'État et, qui plus est, une puissance supranationale !
Une opération de police
Le roi commença par leur tendre un piège en lançant l'idée d'une hypothétique croisade pour laquelle il demanderait au pape Clément V de fusionner Templiers et Hospitaliers, frères plus ou moins ennemis. C'est alors que réapparut Guillaume de Nogaret. Il avait à Anagni brutalisé Boniface VIII ; il allait cette fois se comporter en « commissaire politique », dit Georges Bordonove, manifestant un zèle démesuré, enquêtant auprès des Templiers exclus de l'ordre pour fautes graves. Il eut vite constitué un dossier accablant (impiété, hérésie, sodomie...), puis dans l'ombre et le silence, sans se soucier de Clément V, il dressa un réquisitoire fulminant. Philippe voulut frapper vite et fort, prendre tout le monde par surprise. À l'aube du 13 octobre 1307, partout en France, les agents du roi arrêtèrent tous les Templiers et les forcèrent aux aveux. Le secret avait été si bien gardé que le grand maître lui-même, Jacques de Molay, qui assistait la veille parmi les princes aux funérailles de Catherine de Courtenay, épouse de Charles de Valois (frère du roi), ne se doutait de rien.
Des moeurs bien dures...
Le procès, mené par le grand inquisiteur de France, allait être retentissant et durer quelques années, jusqu'au concile de Vienne où, en 1312, Clément V prononça l'abolition définitive de l'ordre du Temple et la remise de ses biens aux Hospitaliers.
En fait, pour Philippe, il s'agissait d'un procès politique, et si certains grands dignitaires dont Jacques de Molay furent brûlés comme relaps quand ils voulurent se rétracter, c'était surtout, dit Jacques Bainville, « pour donner à cette opération de politique intérieure un prétexte de religion et de moralité ».
Cette page dramatique de notre histoire, marquée par les moeurs encore bien dures de ce temps, a souvent terni l'image de Philippele Bel qui, pourtant, en digne petit- fils de saint Louis, encouragea les fondations religieuses, réunit souvent les assemblées représentant le peuple en ses états, accueillit la papauté à Avignon et agrandit la France de la Champagne, de la Marche, d'Angoulême, de Lyon et du Vivarais.
L'enfantement de la France ne se réalisait pas toujours sans douleur... La fin du règne (le roi mourut le 29 novembre 1314) fut marquée par une montée des mécontentements, mais, dit encore Bainville, « les progrès territoriaux, l'autorité croissante de la France exaltaient au contraire les esprits désintéressés ».
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 7 au 20 janvier 2010