Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Sous les pavés, Paris-Plages

916782172.2.jpg

Patrick Buisson

« Les hommes font l’histoire mais ils ne savent pas l’histoire qu’ils font. » Jamais la maxime de Raymond Aron ne se sera mieux appliquée qu’aux enragés de Mai 68. Croyant combattre l’ordre bourgeois, ils lui ont offert une seconde jeunesse en opérant la convergence entre une révolte individualiste et les besoins économiques et sociaux du néocapitalisme dont la stratégie de développement postulait une révolution culturelle, la liquidation du vieux monde et de cette France antiéconomique, dont le fond anthropologique fait d’entraide et de gratuité restait réfractaire à la modernité. Impulsivité et compulsivité, indifférenciation et illimitation : l’imaginaire libertaire de Mai 68 entra en résonance avec l’hybris du “capitalisme impatient”. Croyant ébranler les colonnes du temple consumériste, ils ont gravé sur les murs de Nanterre et de la Sorbonne les nouvelles tables de la loi de l’ordre marchand : “Prenez vos désirs pour des réalités”, “Jouir sans entraves”, “Tout tout de suite”, “Il est interdit d’interdire”, “Vivre sans temps mort”. Sous les pavés, on sait maintenant qu’il n’y avait pas la plage mais Paris Plages.

Il est vrai qu’avant de faire irruption sur la scène politico-sociale, la jeunesse avait été érigée en marché et le jeunisme en idéologie organique de la société de consommation naissante. Au début des années soixante, le transistor fut le médium d’un vaste processus d’unification des pratiques socioculturelles, en même temps que le vecteur d’une domestication du peuple adolescent. Saluons ce double coup de génie qui consista à convertir la rage improductive de l’adolescent œdipien en une attitude directement exploitable par le marché, tout en la retournant contre les figures d’autorité et les institutions qui faisaient obstacle à l’avènement du tout-marchandise.

Des millions de jeunes vécurent leur soumission au nouvel ordre marchand non comme une aliénation mais comme une modalité socialement valorisante d’une révolte sans concession. Ils s’étaient rêvés en James Dean, ils se retrouvèrent en idiots utiles de la révolution consumériste.

Source : Valeurs Actuelles 22/03/2018

Les commentaires sont fermés.