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Conflit constitutionnel en vue

6a00d8341c715453ef0263c83e6277200b-320wiDeux jours après la séance du 28 avril où le Premier ministre a fait voter par l'Assemblée son plan de déconfinement, la grande majorité du pays réel se préoccupe, évidemment, d'abord des conditions de vie concrètes. Il s'agit de la survie de nos métiers, de nos régions, de nos familles, de nos libertés.

De ce point de vue les équilibres géopolitiques, et les menaces que représentent, en particulier la puissance impérialiste de la Chine, autant que les déchirements et les déchaînements du monde de l'Islam, passent au second plan.

Dans le pays légal, la vraie question, celle qui taraude les politiciens et qui détermine, dans cette crise, aussi bien les décisions des gouvernants que les déclarations des opposants, tourne autour des élections à venir. Les sénatoriales prévues à l'automne dépendent elles-mêmes du résultat des municipales. En 2021 viendront les régionales, en 2022, sauf dissolution, les législatives et les deux tours des présidentielles, précédés peut-être de primaires...

Dans un tel contexte, deux dossiers brûlants préoccupent sourdement la classe politique et, de façon sous-jacente les médias : celui des plaintes pénales qui s'accumulent, et celui du territoire respectif des institutions et de leurs pouvoirs.

Le premier contentieux mène à la Cour de Justice de la République. Traditionnellement les principaux accusés, jugés par leurs pairs, se retrouvent blanchis.

Aux dernières nouvelles, Mme Lagarde fut déclarée imprudente mais affranchie de toute sanction. Ceci lui a permis de passer de la direction du FMI à celle de la Banque centrale européenne.

Quant à Laurent Fabius, traîné dans cette boue, de façon probablement injuste au gré de l'affaire du sang contaminé, est devenu président du conseil constitutionnel. C'est en ce moment sur son bureau que s'accumule un autre dossier : celui des Questions préalable de constitutionnalité. Elles sont posées aussi bien à propos de la décision catastrophique de maintenir le vote du 15 mars que celle de valider les victoires au premier tour, dans 30 000 communes sur 35 000, en dépit d'une abstention au taux invraisemblable de 55 %, révélateur de l'anomalie du scrutin... Bientôt viendront d'autres QPC autour des sanctions pénales en application des mesures restrictives de liberté du confinement.

Le second dossier, plus compliqué, souligne les faiblesses intrinsèques de la cinquième république. Ce costume taillé en 1958 pour les mesures de son fondateur n'a cessé de se déformer à l'usage sous ses décevants successeurs.

On n'a jamais tranché en effet, sur les pouvoirs respectifs du chef de l'État et du chef du Gouvernement.[1]

On ne s'est jamais suffisamment interrogé, non plus, sur la montée lancinante, face à la déliquescence des instances démocratiques du pouvoir des juges, non seulement du Conseil constitutionnel, mais aussi du conseil supérieur de la magistrature, de la Cour des Comptes, etc.

Le plus prolixe rédacteur de textes juridiques de l'Histoire de France, peut-être même de l'Histoire tout court, s'appelait Napoléon Bonaparte. On lui doit successivement la Constitution du 22 frimaire an VIII en 1799, le Sénatus-consulte organique du 16 thermidor an X instituant le Consulat à vie, le Concordat de 1801, le Code civil de 1804, le Sénatus-consulte organique du 28 floréal an XII fondateur de l'Empire, le Code pénal de 1810, et enfin l'Acte additionnel aux constitutions de l'Empire de 1815. De plus, toute cette littérature fut importée de force dans une bonne moitié du continent européen.

C'est donc en connaisseur qu'il nous rappela un jour qu'une bonne constitution est l‘œuvre du temps. Observons à cet égard en effet la Constitution britannique : elle n'a jamais été écrite.

Ajoutons que si d'excellents institutions ont été forgées par l'expérience des siècles, il en va également de même pour les mauvaises habitudes. Les pays d'Amérique latine, sous l'influence de ce qu'on appelle doctrine Monroe, ont pratiquement tous rédigé des documents fondateurs copiés eux-mêmes sur ceux de l'Amérique du nord. Ils n'en ont pas fait le même usage. Sous diverses influences on s'efforçait alors d'empêcher, à tout prix, l'avènement de monarchies bourboniennes dans les colonies espagnoles et portugaises en voie d'émancipation. Ceci ouvrait la porte aux pires démagogues.

Sous l'influence des idées romaines nous croyons cependant, de façon presque naïve, que la lettre l'emporte sur l'esprit, que la loi, gravée dans le marbre des codes, selon l'expression consacrée, balaye la coutume comme un résidu de feuilles mortes. Seuls de rares constitutionnalistes français ont cherché à corriger cette vision artificielle et déformante : dès sa thèse de 1929, René Capitant (1901-1970) s'inscrivait en faux contre la doctrine dominante de nos facultés de Droit. Il fit une longue carrière, notamment comme expert nommé par Jean Moulin pour participer à l'élaboration du programme de la Résistance.

Doit-on rappeler que ce juriste éminent, porté à la tête de l'Union démocratique du travail n'hésitait pas à déclarer : "le vrai gaullisme est à gauche !"[2]

Plus clairement encore, son disciple le professeur Olivier Beaud soulignait ainsi en 1999 : "il ne suffit pas de lire la Constitution écrite, pour connaître la Constitution réelle, c'est-à-dire les normes qui régissent effectivement le Gouvernement du pays."

Ainsi, depuis 1971 une théorie s'est emparée progressivement de nos constructions juridiques. Elle se réfère au concept imprévu d'un prétendu "bloc de constitutionnalité", intégrant désormais les préambules, et notamment le texte socialo-communiste de 1946. Fondateur du régime, De Gaulle, qui venait de mourir, eût jugé certainement cette doctrine perverse. Elle confère un pouvoir exorbitant au Conseil constitutionnel. Celui-ci est en effet composé d'une manière très différente des instances comparables dans les pays voisins. On cite souvent en modèle la cour de Karlsruhe. Or, les juges allemands se recrutent parmi les magistrats. Le conseil français ne devait en aucun cas jouer le rôle qui caractérise les institutions américaines, pratiquant la séparation des pouvoirs, car, selon la formule gaullienne "en France la cour suprême c'est le peuple".

Le peuple détient seul, dans la théorie officielle, la légitimité.

Dans la pratique quotidienne le pays réel n'en bénéficie guère.

JG Malliarakis

Apostilles

[1] cf. notre chronique du 29 avril : "Peut-on encore parler de confiance ?"

[2]cf. à ce sujet mon article dans Lectures Françaises n° 756 d'avril 2020 consacré à "Notre Plus Grand Diviseur Commun".

https://www.insolent.fr/2020/04/conflit-constitutionnel-en-vue.html

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