On a beaucoup écrit et fantasmé sur le fameux colonel Thomas Edward Lawrence 1888-1935), révéré comme un héros par beaucoup d'Anglais et tenu par la plupart pour le champion chevaleresque de la cause arabe même si, à la fin des années 50 de l'autre siècle, Richard Aldington, auteur de l'admirable « Mort d'un Héros » avait écrit, de sa retraite montpelliéraine, un livre véridique, basé sur des témoignages authentiques et qui ramenait « le mythe Lawrence » à ses véritables proportions. Aldington critiquait impitoyablement le comportement du colonel, donnait d'innombrables exemples de sa cruauté, de son sadisme (il n'hésitait pas à faire massacrer par les irréguliers arabes les prisonniers turcs et allemands, au point qu'il s'attira les reproches sanglants d'un officier français, le capitaine Pisani, détaché à l'armée du Hedjaz).
D'autre part, il y avait dans la vie de Lawrence un mystère peu reluisant et même sordide : fait prisonnier à Deraa, il dut céder à la brutalité d'un "bimbachi" turc. Mais cet épisode humiliant - dont il avoua les détails ignobles à Mme Bernard Shaw la femme de l'illustre écrivain irlandais ne correspondait-il pas à ses goûts secrets ? Sa misogynie était notoire. Pour cacher sa honte (et peut-être son dégoût de lui-même), il renonça à son titre de colonel et aux honneurs que son pays était disposé à lui rendre pour s'ensevelir sous l'anonymat dans un détachement de la Royal Air Force où il servit obscurément sous le nom d'emprunt de « soldat Shaw » jusqu'à sa mort - qui fut peut-être un suicide.
Le mystère Lawrence n'a jamais été complètement éclairci. Il passait pour le défenseur passionné des Arabes. Il a eu même des compagnons arabes à qui le liait une amitié assez trouble, ce qui expliquait - pour certains - sa profonde sympathie pour la cause arabe.
Londre et la carte sioniste
On sait comment avait commencé l'affaire. En 1915, le haut-commissaire britannique au Caire, sir Henry Mac Mahon, cherchant à dresser le monde arabe contre la Sublime Porte, avait utilisé Lawrence, jeune archéologue d'Oxford - qui, avant la guerre, avait déjà « fait du renseignement » au bénéfice de l'Intelligence service en Syrie, sous prétexte de recueillir des documents pour sa thèse sur l'architecture militaire des Croisés -, pour contacter le chérif de La Mecque, Hussein, chef de la maison Hachémite, qui devait être plus tard renversé par le chef de la maison rivale des Wahhabites, Ibn Séoud. Sir Henry et Lawrence n'avaient pas hésité à promettre à Hussein et à ses fils, Feyçal et Abdullah, la création d'un grand royaume arabe. Seulement, peu après, des négociations anglo-françaises aboutissaient à l'accord Sykes-Picot, qui partageait le Levant en zones d'influence et accordait à la France le protectorat de la Syrie et du Liban, terres traditionnellement liées à la France depuis les Croisades. D'où fureur de Feyçal qui, appuyé par les agents anglais et Lawrence, intrigua contre les Français et fut finalement expulsé de Syrie par le général Gouraud. Les Anglais consolèrent Feyçal en lui donnant le trône d'Irak et découpèrent en faveur de son fils Abdullah une satrapie baptisée Transjordanie.
Seulement, peu après, le gouvernement anglais, qui avait promis à Hussein, à Feyçal et à Abdullah la totalité de l'Empire du monde arabe, accordait aux sionistes, par la fameuse lettre de Lord Balfour au Dr Weizmann (2 novembre 1917) le droit de créer en Palestine un « Foyer juif » qui, peu à peu, par un abus de droit évident, fut transformé en « État d'Israël », les Juifs empiétant sur les terres arabes d'où ils chassèrent les autochtones. En 1948, le Dr Weizmann, premier président du nouvel État, déclarait que l'expulsion des réfugiés arabes de Palestine était un « nettoyage miraculeux » et une « merveilleuse simplification de la tâche qui incombait à Israël ».
On sait comment, après la dernière guerre mondiale, l'expansionnisme juif s'est développé, l’État sioniste ayant été créé, selon le mot de M. Ilian Gilmour, membre du Parlement britannique, « afin de payer aux Juifs la dette que leur devait l'Europe pour les persécutions hitlériennes ». Seulement, c'est aux Arabes qu'Anglais et Américains firent payer la note.
M. Nutting, ancien ministre du gouvernement conservateur devait rappeler que, dès novembre 1917, l'Angleterre avait décidé d'utiliser la Palestine comme base stratégique, afin de défendre le canal de Suez et, comme l'a expliqué le journal New Statesman, pour barrer la route de Suez aux Français que le gouvernement anglais n'avait pu empêcher de s'établir au Liban et en Syrie. M. John Kimche, écrivain juif bien connu, devait également rappeler dans le Times du 31 juillet 1968 que le dessein des dirigeants anglais avait été, dès l'origine, de créer un État-tampon destiné à ménager un lien territorial entre leur protectorat égyptien et leur Empire des Indes. On songea naturellement à utiliser le sionisme à cet effet et l'on masqua cette politique impérialiste sous le voile humanitaire de la Déclaration Balfour.
Le Times publia aussi le 29 juillet 1969, sous la signature de M. Peter Hopkirk, quelques premières révélations tirées des « Vies secrètes de Lawrence d'Arabie » (par Philipp Knightley et Colin Simpson, Nelson éditeur), ouvrage dont la publication allait faire grand tapage et, selon le mot de l'auteur juif Sidney Sugerman, faire « l'effet d'un coup de tonnerre parmi les Juifs et les Arabes qui voyaient en Lawrence leur ami sincère ».
Le dessein que Lawrence s'était forgé pour l'organisation du Moyen-Orient sous tutelle anglaise devait beaucoup à l'influence de trois hommes : Lionel Curtis, D.H. Hogarth, le célèbre archéologue qui avait été son maître à Oxford et devint le chef de la section de l'Intelligence Service au Caire, et le colonel Symes qui y dirigea un temps le Bureau arabe.
Le calcul de Lawrence et de son équipe était donc d'utiliser Juifs et Arabes « ad majorem Britanniae gloria ». Lawrence réussit sans peine à se poser comme le grand ami des Arabes. Il se costumait volontiers en Bédouin, revêtait l'ample djellaba, se coiffant du "keffieh" et de Pagal" aux tresses d'or, etc. Mais il avait aussi des amitiés juives. N'a-t-on pas assuré que les mystérieuses initiales S.A. qui dissimulent le nom de la personne à qui fut dédié « La Révolte dans le désert » étaient celles de Sarah Aronson, une amie dévouée de Lawrence et son agent secret derrière les lignes ennemies, qui, découverte au cours d'une mission, fut exécutée par les Turcs ?
Ayant eu accès à des masses de documents, Knightley et Simpson révélaient aussi que, loin d'être le champion de la solution exclusive consistant à créer un vaste empire arabe, Lawrence travaillait en réalité derrière la scène pour établir la suprématie de l'Angleterre sur tout le Moyen-Orient, grâce à un « Dominion juif ». Selon eux, Lawrence, avait toujours su que la politique de Londres était en réalité opposée aux ambitions des dirigeants arabes qui avaient cru assez naïvement aux promesses anglaises. Il envisageait donc froidement de se servir des aspirations sionistes. Dans une lettre adressée confidentiellement par le colonel à un de ses proches collaborateurs, il exposait un plan calculé pour chasser les Français (« qu'il haïssait ») de La Syrie pour créer un Dominion juif associé au Commonwealth. Il se flattait d'ailleurs de gagner l'appui de Feyçal par d'importantes concessions (monétaires et territoriales). De fait, les deux princes hachemites avaient discuté au Caire avec le Dr Weizmann, le colonel Symes (chef du Bureau arabe, rappelons-le) et Lawrence. Et Feyçal était si bien disposé qu'il avait même offert de prendre comme membre de son gouvernement à Damas le propre secrétaire de Weizmann devenu lord Sieff. Feyçal avait été tenté par l'offre d'une aide financière considérable par la haute finance juive et son frère, l'émir Abdullah, fut assassiné à Amman précisément parce qu'un Arabe palestinien lui reprochait de pactiser avec Israël.
À suivre