Malheur au vaincu ! Comme le règne de Napoléon Ier celui de Napoléon III s'acheva par la défaite et l'invasion. Mais, tandis que la relégation à Sainte-Hélène et le malheur avaient servi la légende de l'oncle, c'est l'opprobre qui accompagna la mémoire du neveu. Comme l'écrit Eric Georgin dans la préface du remarquable ouvrage publié sous sa direction, « Les oppositions au Second Empire, du comte de Chambord à François Mitterrand », le règne de Louis-Napoléon a longtemps pâti d'une légende noire, alimentée par les œuvres de grands écrivains - Victor Hugo, Alphonse Daudet, Emile Zola. - et longtemps entretenue par les manuels d'histoire. Une historiographie hostile au Second Empire a toutefois cédé la place à une relecture de cette période, d'abord réalisée par des historiens d'origine anglo-saxonne. Le 2 décembre 2016, l'Institut Catholique d'Enseignement Supérieur (ICES) de La Roche-sur-Yon a souhaité y participer en organisant un colloque sur le thème « Combattre le Second Empire », auquel ont contribué dix-huit chercheurs et universitaires Eric Anceau, Arnaud Bertinet, Pascal Cauchy, Henri Courrière, Stéphane Courtois, Olivier Dard, David Delpech, Eric Derennes, Jean-Pierre Deschodt, Jérôme Grévy, Alain Lanavère, Alain Laquièze, Benoît Le Roux, Hervé Robert, Simon Sarlin, Jean-Noël Tardy et, bien sûr, Eric Georgin.
La démarche, originale, consistait à rechercher ce que voulut être et ce que fut effectivement ce régime, en se plaçant du point de vue de ses adversaires légitimistes, orléanistes, blanquistes, socialistes de l'Internationale des travailleurs, républicains, libéraux, catholiques (comme Louis Veuillot), mais aussi opposants à l'annexion du comté de Nice et adversaires de la politique transalpine de Napoléon III.
Du Second Empire à la Ve République
Le régime impérial, qui, au lendemain du coup d'État du 2 décembre 1851 bride les libertés - selon Tocqueville, la Constitution de 1852 est « la plus despotique qu'ait eue la France dans aucun temps » -, ne rencontre pas partout, ni au même moment, les mêmes résistances. Ainsi, l’Église catholique, mais aussi l'Internationale des travailleurs, composent-elles d'abord avec le nouveau pouvoir. Quant aux royalistes, absorbés par les querelles entre légitimistes et orléanistes, ils se montrent assez peu entreprenants. Henri V comte de Chambord, recommande aux légitimistes « l'exil intérieur », tandis que les princes d'Orléans jouent la carte de l'Union libérale et attendent la délivrance d'une défaite militaire à venir. Par ailleurs, le régime bénéficie du ralliement de personnalités issues de ses différentes oppositions. Les résistances trouvent d'autres moyens de s'exprimer que les travées des assemblées.
Une deuxième partie du livre est consacrée à ces formes d'opposition, dans le monde artistique (ce qui vaut un portrait peu flatteur de Courbet), à l'Académie française, par les souscriptions républicaines, ou encore en prenant les chemins de l'exil. Certains adversaires de la politique de Napoléon III, souvent républicains, combattent aux côtés des partisans de l'unité italienne, quand d'autres, catholiques, défendent le trône du roi de Naples ou les États du pape au sein des zouaves pontificaux se rencontrent de nombreux royalistes français, souvent issus des provinces de l'Ouest, Vendée et Bretagne.
L'opposition passe aussi par une réécriture de l'histoire - un exercice dans lequel les républicains passeront maîtres et qui triomphera dans les manuels de la Troisième République, comme l'a montré Jacques Heers dans L'Histoire assassinée. Il s'agit pour l'instant de détruire le mythe napoléonien, en mettant même en cause son génie militaire, comme le fit Edgar Quinet.
Enfin, dans une troisième partie, le livre aborde les critiques du Second Empire ultérieures à la chute de Napoléon celles formulées par Zola, mais aussi, à la veille de la Première Guerre mondiale, par Léon de Montesquiou et l'Action française ou, pendant le deuxième conflit mondial, par Emmanuel Beau de Loménie, pointant les responsabilités des dynasties bourgeoises - autrement dit, celles d'un « monde orléaniste » enclin aux compromis et aux ralliements - dans les échecs de la droite.
Enfin, deux contributions, respectivement signées par Stéphane Courtois et Pascal Cauchy, relient le Second Empire à la Troisième République. Les communistes, avec Jacques Duclos, avaient en effet associé le personnage de « Badinguet » - sobriquet péjoratif attribué jadis à Napoléon III - à Charles De Gaulle. Et François Mitterrand, dans Le coup d'État permanent, devait reprendre à son tour la critique d'un pouvoir issu d'un coup de force - en 1851 comme en 1958… avant de se glisser, quelques années plus tard, dans les guêtres du général. (Et en effet, la Ve République tient davantage du césarisme napoléonien que d'une monarchie, fût-elle « républicaine »).
Pour conclure, le livre publié par Eric Georgin, riche et dense, présente de nombreux visages - et portraits - d'une période souvent caricaturée et que l'on prend plaisir à redécouvrir.
Les oppositions au Second Empire, du comte de Chambord à François Mitterrand, sous la direction d'Eric Georgin, éd. PSM, 28 €
Hervé Bizien monde&vie 1er août 2019 n°974