On n'en a jamais fini avec la Révolution française, rupture fondamentale dans l'histoire de France. L'historien Frank Attar s'intéresse au bellicisme des « grands ancêtres », une machine de guerre révolutionnaire à l'intérieur aussi bien qu'à l'extérieur de nos frontières.
La Révolution ne fait plus recette pour les éditeurs. Depuis les grosses caisses du bicentenaire, et quelques centaines d'ouvrages après, le sujet semble bien épuisé… Certes, on retient dans nos milieux les études majeures de Xavier Martin et de Jean de Viguerie, mais malheureusement elles ne bénéficient pas de l'audience qu’elles mériteraient. Pour cette raison, nous ne saurions bouder notre plaisir quand un grand éditeur parisien comme Le Seuil se lance, contre toute attente, dans le sujet, et qu'il accepte de surcroît de publier un livre aux accents franchement contre-révolutionnaires…
Peut-être Le Livre noir de la Révolution française publié aux Editions du Cerf a-t-il révélé l'existence d'un public en recherche d'une approche plus honnête de la Révolution. Car Aux armes citoyens, signé par l'historien Frank Attar, nous apparaît comme un ouvrage bien éloigné de la doxa louangeuse des heures terribles de 1792 et 1793. Par ailleurs, ce livre possède quelque chose, non pas d'inédit, mais de totalement oublié. En effet, notre lecture de la révolution reste profondément, et à tort, franco-française. Pourtant, dans le contexte de l’époque, ces assemblées qui grignotèrent peu à peu le pouvoir royal pour ensuite le faire disparaître, ont eu une politique étrangère et des relations diplomatiques avec les pays d'Europe. Ces relations dégénérèrent assez rapidement, on le sait, puisque la guerre éclata le 20 avril 1792. Le mérite du livre d'Attar est d'abord de le rappeler et de faire ensuite de cette date un événement clé, tant en matière de politique intérieure qu’extérieure : « Longtemps occultée ou ravalée, la période qui court entre l'entrée en session de l'Assemblée nationale législative (octobre 1791) et la déclaration de guerre constitue, en fait, le cœur efficient de la Révolution. »
Peut-être plus importante que le symbolique 14 juillet 1789, la date de la déclaration de guerre à l’Autriche révèle la vraie nature du rouleau compresseur idéologique mis en branle par la philosophie des Lumières. Le bellicisme révolutionnaire devient à la fois un instrument de conquête du pouvoir, l'expression d'une course en avant aux allures sanglantes, le révélateur aussi de tous les opportunismes.
Le règne de la « conjuraphobie »
Au fil des pages et après avoir rappelé dans un premier chapitre les événements chronologiques qui menèrent au conflit, l'auteur décrit par le menu tous les ressorts qui présidèrent à la relance d'un phénomène révolutionnaire dont le rythme était pourtant bien essoufflé… Au centre de l'action, on trouve bien évidemment Brissot et ses affidés, mais il serait erroné de lui attribuer la seule responsabilité dans ce large mouvement dont l'ultime sursaut ne « s'éteindra qu'en 1815, sur le champ de la bataille de Waterloo. » Le bellicisme est ainsi indissociable de la radicalisation, du « toujours plus » et de la démesure non seulement à nos frontières mais aussi en politique intérieure.
« En l'espace de quelques mois, la plupart des acteurs du grand drame sont évincés de la représentation », selon le principe bien connu qu'un pur trouve toujours un plus pur qui l'épure : « Pendant que la France se débarrassait de la monarchie, le débat entre les Brissotins et l'aile gauche des Jacobins s'exacerbait. » Le tout dégénère dans une guerre civile dont les protagonistes cherchent des boucs émissaires. Naît ainsi ce que Frank Attar appelle la « conjuraphobie » : peur du complot des émigrés, peur de l'étranger, peur des religieux, peur simplement de l'autre… La Fraternité s'épanouit dans le sang. La légalité explose au nom d'un légitimisme révolutionnaire à géométrie variable : « La surface tempétueuse et chaotique de ces évolutions ne reflétait pourtant en définitive qu'une gigantesque lame de fond : la permanence de la lutte pour un pouvoir aux allures de Protée mais immuable dans sa nature. »
Disciple de François Furet, Attar utilise la même méthode comparative. Sa réflexion repose à la fois sur une historiographie riche et sur une solide connaissance des textes d'époque. Il cite souvent son maître, mais nous renvoie aussi à Jaurès et à Michelet, au grand Albert Sorel et à René Girard. À l'appui de sa thèse, les références et les précisions pleuvent comme autant de preuves implacables. Derrière les symboles romantiques auxquels tout le monde a eu droit à la fin des années quatre-vingt, nous retrouvons une dimension pleinement historique des faits.
Frank Attar, Aux armes citoyens ! Naissance et fonctions du bellicisme révolutionnaire, Le Seuil, 395 pages, 23 €
Christophe Mahieu monde et vie 12 mars 2011 n°840