Au lendemain de la Virée de Galerne et de la défaite de la Grande armée catholique et royale au Mans, la République organisa le génocide de la population vendéenne, dans les campagnes comme à la ville.
Emile Gabory avait sans doute raison d'écrire du conventionnel Carrier, représentant en mission à Nantes, qu'« il ne dépasse en scélératesse ni ses complices nantais, les membres du Comité révolutionnaire, ni la moyenne des autres représentants chargés d'exécuter les rigueurs de la Convention dans les régions insurgées ». Les autres représentants en mission dans l'Ouest, Hentz, Francastel, Lequinio, en Vendée comme en Maine-et-Loire, le valent bien. À grossir le rôle du noyeur de Nantes au-delà de ce qui est dû, on risque de ne plus voir que l'arbre qui cache la forêt et d'oublier l'ampleur du drame - plus de 50 000 personnes, rappelle Gabory, « ont été fusillées, guillotinées, noyées ou sont mortes en prison, dans l'ensemble des chefs-lieux de la Vendée militaire », tandis que les colonnes infernales semaient aussi la mort dans les campagnes.
« Carrier, conclut-il, ne fut, en somme, que le rouage mécanique d'un organisme terrifiant, ni plus ni moins que les autres représentants en mission », un acteur du « grand duel entre la Convention et l'Ouest », exécutant de son mieux la mission qui lui avait été confiée.
Et quelle mission ! « Mes opérations révolutionnaires vont à grands pas; tous les jours des arrestations, la guillotine en permanence, des scélérats suppliciés », se félicite-t-il. À cette fin, il se fait assister par des collaborateurs zélés notamment le club Vincent-la-Montagne, les Commissions militaires créées par le décret du 19 mai 1793 et bien sûr le Comité révolutionnaire, présidé par un ancien négrier natif de Saint-Domingue, l'accusateur public Jean-Jacques Goullin.
« Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! »
Des milliers de prisonniers croupissent alors, dans des conditions de survie épouvantables, dans les geôles nantaises ou sur des bateaux transformés en prisons, et les épidémies y tuent autant que les supplices.
Pour tuer, tout est bon : la guillotine ne suffisant pas à la besogne, on recourt aux fusillades : « J'ai pris le parti de les faire fusiller. C'est par principe d'humanité que je purge la terre de ces monstres. », écrit Carrier.)
Puis, les balles et la poudre coûtant cher, on en vient à partir de novembre 1793 à embarquer les captifs à bord de gabares que l'on coule dans le fleuve, toujours la nuit (à une exception près) 90 prêtres sont noyés le 18 novembre, 58 en décembre, puis 150 prisonniers, puis 800… Selon le président du Tribunal révolutionnaire, Phelippes Tronjolly, il y aurait eu au total 23 noyades. On noie quels que soient les sexes et les âges, les femmes comme les hommes, et les enfants comme les vieillards.
« Quel torrent révolutionnaire que la Loire ! », ironise Carrier. On lui prête un autre trait, alors qu'on lui annonce l'arrivée d'un convoi de prisonniers comptant de nombreuses femmes enceintes « Qu'on les égorge ou qu'on les mette à boire dans le verre des calotins. »
« Il reste 20 000 hommes à égorger dans ce pays »
Il n'est pas seul à apprécier ce genre d'humour. Benaben, représentant dans le Maine-et-Loire écrit à son département : « En vérité, si les brigands se sont plaints quelquefois de mourir de faim, ils ne pourront pas se plaindre de mourir de soif. »
Carrier n'est pas un bourreau isolé. En Anjou, les représentants Hentz et Francastel (qui affirme qu'« reste 20 000 hommes à égorger dans ce pays ») ne guillotinent, ne fusillent et ne noient pas moins que leur collègue à Nantes.
Emile Gabory remarquait d'ailleurs avec raison que ce n'est pas à Nantes, mais à Angers que fonctionnait une tannerie de peau humaine où l'on écorcha 32 personnes pour faire des pantalons.
Carrier, Hentz et Francastel rendaient scrupuleusement compte de leurs actes à la Convention et ne firent jamais qu'appliquer ses consignes, en révolutionnaires zélés.
Hervé Bizien monde&vie 29 octobre 2011 n°850