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La postmodernité, nouveau cadre du Système ? 2/4

Les vieux réflexes identitaires et ethno-confessionnels

À l'époque contemporaine, le besoin et la demande de spirituel sont propices au foisonnement anarchique des religions de substitution. Les grandes idéologies de la modernité (sous la forme du postmarxisme, post-fascisme, post-capitalisme) fonctionnent encore à l'état latent, prophylactique, grégaire et, si elles ont bien perdu de leur force d'attraction et de leur valeur sociale d'intégration, il n'en demeure pas moins qu'elles subsistent en tant que sotériologies, véritables religions séculières auxquelles font référence Raymond Aron et Eric Voegelin. Il n'est pas certain que la condition postmoderne a définitivement liquidé le fait idéologique en tant que facteur de mobilisation et vecteur d'appartenance identitaire. La notion d'idéologie est d'abord un instrument de démarcation. Elle sert à rejeter la pensée de l'adversaire, stigmatisée comme une pensée dangereuse, et à dénoncer une forme pathologique de la pensée dont il serait urgent de guérir.

Dans son grand livre Idéologie et utopie, écrit en 1929, Karl Mannheim explique que l'idéologie est souvent le fruit d'un contexte polémique où la légitimation de la force implique la dévalorisation et la disqualification de la pensée concurrente(1). L'idéologie qu'Antoine Destutt de Tracy nomme « science des idées » (qu'il entend substituer à la métaphysique), dans son Mémoire sur la faculté de penser (1796), est toujours l'idéologie de l'autre(2). Elle est consubstantielle à l'idée du social, du vivre-ensemble. Mannheim propose de voir dans l'idéologie l'état normal de la pensée en enracinant celle-ci dans l'être social. Dans cette perspective négative, la « pensée faible », en tant que produit de la postmodernité avec ses attributs hyper-individualistes, a-historiques et anti-métaphysiques, pourrait très bien constituer elle-même une idéologie, en tant que structure conflictuelle qui serait destinée à détruire et discréditer d'autres systèmes de pensée concurrents ou tout simplement antagonistes de l'Occident.

Avec pertinence, Jean-Pierre Dozon remarque que le diagnostic de la fin des grands récits est une forme de discours qui ne parvient pas à renoncer à un certain « occidentalo-centrisme ». En effet, la scène internationale, comme les nombreux conflits contemporains de l'Ukraine au Moyen-Orient, mobilise hors du champ épistémologique de la postmodernité occidentale, des dispositifs uchroniques, idéologiques et religieux qui semblent parfois appartenir à la pré-modernité, comme le projet djihadiste d'un califat islamique mondial. Il existe d'autres grands récits non occidentaux - et même anti occidentaux - qui s'éveillent à travers la multipolarisation l'Industan, le panafricanisme, le bolivarisme continentaliste sud-américain, l'eurasisme russe néo-impérial de Poutine, rejettent l'anti-essentialisme et l'apolitisme économiciste et l'individualisme iréniste de la postmodernité occidentale. Même si les ressorts mobilisateurs de l'idéologie au sens moderne du terme ont perdu de leur vigueur dans une société atomisée et fragmentée où l'homme-masse au sens d'Ortega y Gasset n'existe plus, on assiste stupéfait, dans l'affaire ukrainienne et au Moyen-Orient, à la résurgence des vieux réflexes idéologiques, identitaires et ethno-confessionnels (le « chacun chez soi » qui, en quelques jours, ont fait voler en éclat des entités étatiques multinationales, dont la postmodernité faisait autrefois l'éloge.

À suivre

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