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La fraude en col blanc Vers un capitalisme criminogène 4/5

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Les normes et les régulations s'étant relâchées, les acteurs financiers ont la bride sur le cou. La question n'est pas celle un peu naïve de leur moralité - qui n'est pas faillible ? - mais celle d'un système qui génère en permanence les conditions favorables à de la déviance de haute intensité. Puisque les normes, les contrôles, les surveillances et les sanctions se sont assouplies, les acteurs financiers sont incités à violer la loi.

Dans un tel dispositif, les fraudeurs disposent d'un avantage concurrentiel permanent. Ce système fonctionne alors comme une loi de Gresham systémique : les mauvais acteurs chassent les bons acteurs, les mauvaises pratiques chassent les bonnes pratiques. Faute de régulation et de sanctions effectives, il y a une prime constante à la prédation et à la fraude. La fraude fait alors système. Quand ce n'est pas le système qui lui-même est une fraude, comme c'est le cas avec le trading de haute fréquence (qui combine hypervitesse et gigantesques volumes de transactions gérés par des ordinateurs et des algorithmes) où la fraude réside dans l'architecture même du dispositif.

ÉLÉMENTS : Tous vos travaux évacuent les théories du complot. Vous ne vous intéressez pas à l'occulte, mais à ce qui est occulté : le caractère méthodique et systématique de la tricherie...

JEAN-FRANÇOIS GAYRAUD : Les « arcanes sombres » ont toujours existé. Cependant, ce qui m'intéresse est d'un autre ordre. D'une part, les phénomènes de déni, d'aveuglement et d'occultation du crime dans les sociétés spectaculaires et festives, imprégnées d'idéologie libérale-libertarienne. Le crime ne se voit pas spontanément : il a besoin de révélateurs analytiques et conceptuels, car les mots précèdent les choses et leur donnent vie. Or, les mécanismes de déni et d'occultation sont nombreux, tous destinés à enfouir le crime avec le but évident de le laisser impuni : combat-on ce qui ne se voit pas et n'est pas censé exister ? D'autre part, le rôle du crime dans les modalités de fonctionnement des marchés économiques et financiers, sujet central dans une époque guidée par la cupidité et l'économisme.

ÉLÉMENTS : Dans le monde réellement renversé de la finance, où même le vrai est un moment du faux, tout ne serait-il pas truqué, de la théorie économique aux produits financiers ? Comme un immense faux en écriture ?

JEAN-FRANÇOIS GAYRAUD : À l'observation, ce capitalisme financiarisé semble largement truqué et comme l'a en effet écrit Guy Debord : « Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux ». On ne peut s'empêcher de penser que toute cette haute finance vit dans les eaux glacées du profit égoïste, mais aussi dans des eaux opaques et boueuses. Vous évoquez le faux en écritures. Il est en effet omniprésent dans toutes les grandes fraudes contemporaines : de la faillite des caisses d'épargne américaines, en passant par celles d'Enron ou de Lehman Brothers. Au-delà des actes frauduleux, on pourrait aussi interroger des mécanismes légaux comme la titrisation, le trading de haute fréquence ou la manière dont sont valorisées les sociétés contemporaines, non à leur valeur historique mais à leur hypothétique valeur de marché. Et il faut interroger nombre de théories économiques néolibérales et les produits financiers qui en découlent, ce que j'ai nommé les « lois de la contrefaçon financière »...

ÉLÉMENTS : Comment la haute finance s'est-elle émancipée des États et des peuples ?

JEAN-FRANÇOIS GAYRAUD : La réponse est simple : la dérégulation-mondialisation. Encore faut-il comprendre que la dérégulation-mondialisation a été enfantée par un triple mouvement : un corpus d'idées venant légitimer cette vision de la société, des lois votées par des parlements et enfin des innovations technologiques. Fondamentalement, la nouvelle architecture du monde autour des triptyques « déréglementation, décloisonnement, désintermédiation » ou encore « privatisations, rigueur budgétaire, libre-échange » a été mise en œuvre par des lois. Il faut casser le mythe d'une dynamique naturelle et inéluctable de la mondialisation-dérégulation qui se serait imposée aux politiciens. La mondialisation a été initiée par les classes supérieures des pays riches du Nord et du Sud; et ce sont elles qui en ont le plus profité. Pour les marchés et les entreprises, ce transfert n'a pas été volé ou arraché, il a été offert par les États. Le mauvais génie est sorti de la lampe et ne fera rien spontanément pour y rentrer.

À suivre

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