S’il est un domaine dans lequel l’Etat ne se laisse pas démonter par la crise sanitaire et déploie même aujourd’hui des trésors d’imagination, c’est bien celui de la traque des contribuables. Ainsi, après la publication fin janvier au Journal officiel d’un décret technique légalisant le renforcement du dispositif de rémunération par Bercy de ses « indics » et autres délateurs, ou bien encore l’extension imminente aux particuliers de la pratique dite du « name and shame » (publication des noms des fraudeurs) jusque-là réservée aux seules personnes morales, Bercy entend maintenant renforcer son dispositif de surveillance fiscale sur Internet, déjà orwellien, en ayant recours à une intelligence artificielle auto-apprenante chargée d’examiner toutes nos transactions sur les réseaux sociaux.
Un « algorithme auto-apprenant » pour aspirer les données
Rappelons que si l’administration fiscale avait déjà la possibilité de collecter sur Internet de nombreuses données pour comparer le train de vie affiché par les contribuables à celui qu’ils déclaraient dans les documents officiels, les informations ainsi récupérées avaient une durée limitée de conservation, et seules les données volontairement révélées par les contribuables pouvaient être utilisées. Or, le 13 février dernier, un décret relatif à la mise en œuvre de la surveillance des réseaux sociaux par le fisc est venu préciser (et renforcer) les modalités d’application de l’article 154 de la loi de finances pour 2020. C’est ainsi que l’administration fiscale pourra non seulement utiliser les plates-formes numériques pour vérifier que les contribuables n’y publient rien de contraire à la loi ou qui contredise leurs déclarations fiscales, mais aura également la possibilité de systématiser la collecte d’informations en faisant appel à un « algorithme auto-apprenant » qui pourra identifier des mots clefs, des ratios ou encore des indications de dates, d’heures et de lieux !
Les réserves de la CNIL
Un dispositif redoutable qui, selon la Direction générale des finances publiques, devrait être mis en œuvre « dans les semaines à venir » et concernera aussi bien les réseaux sociaux que les plates-formes de mises en relation entre particuliers, telles que Airbnb, Facebook, YouTube, BlaBlaCar, ou bien encore Le Bon Coin. Quant au délai de conservation des données, le décret précise qu’il sera d’une durée maximale de 30 jours lorsqu’elles ne sont pas de nature à concourir à la constatation d’un manquement fiscal. Mais, dans le cas contraire, il pourra s’étendre jusqu’à un an maximum. Et jusqu’à la fin d’un contentieux si une procédure est ouverte à la suite d’une omission. Bref, avec ce décret, la surveillance et la traque fiscales des contribuables sur Internet devraient très rapidement prendre une ampleur effrayante, et peut-être même donner lieu à un certain nombre de dérives. C’était d’ailleurs l’une des inquiétudes de la CNIL qui, en septembre 2019, avait rendu un avis particulièrement critique lors de la présentation de ce dispositif devant le Parlement, en reprochant notamment au fisc d’« aspirer une très grande quantité de données pour y détecter des irrégularités sans avoir de doute précis sur un comportement ».
Franck Deletraz
Article paru dans Présent daté du 18 février 2021
https://fr.novopress.info/220931/traque-fiscale-bercy-renforce-sa-surveillance-des-reseaux-sociaux/