Le Sultan d’Ankara fait des émules. Depuis lundi, c’est au tour du Royaume chérifien de se lancer à l’assaut d’un pays européen au moyen des masses de « migrants », comme l’avait fait la Turquie au printemps 2020. Cette fois, c’est l’Espagne qui est visée, et plus précisément Ceuta, ville espagnole (depuis l’incorporation à l’Espagne en 1580 du Portugal, auquel Ceuta appartenait après sa reconquête aux musulmans) située sur la côte de l’Afrique du Nord. Ceuta, comme Melilla, l’autre territoire espagnol (également depuis des siècles) en Afrique du Nord, est revendiquée par le Maroc, et c’est aussi dans ce contexte qu’est perçue en Espagne l’arrivée soudaine de milliers d’immigrants illégaux, pour beaucoup des Marocains, que les forces de sécurité marocaines ont soudainement décidé de laisser tenter leur chance.
Parmi eux, de nombreux mineurs auxquels les policiers marocains auraient déclaré, selon les témoignages d’immigrants recueillis par la presse espagnole, que la frontière était ouverte et que personne côté marocain n’allait les empêcher d’y aller.
Entre lundi et mardi, ce sont environ 8 000 « migrants » qui ont contourné la clôture frontalière à la nage pour se rendre à Ceuta, c’est-à-dire en fait dans l’espace Schengen. Une stratégie marocaine qui rappelle aux Espagnols la Marche verte de 1975, quand des centaines de milliers de Marocains envahirent de la même manière le Sahara occidental à l’époque du roi Hassan II, père de l’actuel Commandeur des croyants Mohammed VI. Des appels de Marocains à une nouvelle Marche verte sur « la ville occupée de Ceuta » (une incongruité historique) se sont d’ailleurs multipliés sur les réseaux sociaux.
Une véritable invasion
C’est pourquoi l’on entend aujourd’hui le Premier ministre Pedro Sánchez mais aussi les chefs de l’opposition de droite Pablo Casado (PP) et Santiago Abascal (Vox) parler de la nécessité de défendre la souveraineté nationale et l’intégrité territoriale de l’Espagne à Ceuta. Malgré l’attitude du Maroc, qui jusqu’à récemment collaborait avec les autorités espagnoles pour freiner le passage des « migrants », les expulsions « à chaud » continuent pour le moment de fonctionner. Sur les plus de 8 000 immigrants arrivés illégalement, la moitié environ avait déjà été expulsée vers le Maroc mercredi matin. C’est toutefois sous les sifflets et aux cris de « traître », « dégage » et « démission » que le Premier ministre Pedro Sánchez a été accueilli mardi par des groupes d’habitants à Ceuta. Car l’invasion que subit ce territoire est le fruit non seulement des déclarations pro-migrants de la gauche au pouvoir et de ses transferts d’immigrants illégaux arrivés au Canaries vers le continent (où on les laisse libres de circuler dans l’espace Schengen), mais aussi du soutien du parti d’extrême gauche Unidas Podemos, membre de la coalition gouvernementale, à l’indépendance du Sahara occidental et surtout de l’accueil en avril du leader du Front Polisario Brahim Gali. Brahim Gali est actuellement soigné dans un hôpital espagnol après une infection au COVID-19. Le 8 mai dernier, le gouvernement de Tanger avait prévenu qu’il tirerait « toutes les conséquences » de « la décision des autorités espagnoles de ne pas aviser leurs homologues marocains de la venue du chef des milices du Polisario », ce que Rabat estime être un « acte grave et contraire à l’esprit de partenariat et de bon voisinage ».
Olivier Bault
Article paru dans Présent daté du 19 mai 2021