Il y a décidément un problème avec les autorités supranationales. En Europe, tout d’abord, où Bruxelles doit affronter l’opposition grandissante de certains États européens à ses directives et, surtout, son système punitif. Ainsi la Pologne se trouve-t-elle frappée par une amende quotidienne d’un million d’euros pour n’avoir pas encore fermé une mine de lignite, dont la République tchèque voisine ne voudrait pas ; sans oublier une autre astreinte d’un million d’euros par jour, le gouvernement national-conservateur de Varsovie, le PiS (Droit et Justice), refusant de revenir sur la réforme de son système judiciaire. Du coup, Zbigniew Ziobro, ministre de la Justice, affirme : « Que ce soit dans le cas de sanctions illégales concernant la mine de Turów ou dans le cas de sanctions pour les changements dans le système judiciaire, la Pologne ne peut et ne devrait pas payer un seul zloty. »
Il est vrai que le différend polono-tchèque relatif à la mine en question aurait plutôt vocation à être réglé dans les deux États concernés et on voit mal au nom de quoi les autorités européennes devraient se mêler des affaires internes à deux nations souveraines. Pour l’autre dossier, Le Figaro résume la situation en ces termes : « Bruxelles estime que les réformes entravent les libertés démocratiques, mais la Pologne affirme qu’elles sont nécessaires pour éradiquer la corruption parmi les juges. » Question de point de vue.
Et la volonté du peuple, dans tout cela ? En effet, ce n’est pas après une nuit trop arrosée de vodka que celui de Pologne a mis le PiS au pouvoir, mais en parfaite connaissance de cause, n’en déplaise aux médias occidentaux. Pourtant, Mateusz Morawiecki, président du Conseil des ministres, finalement arrangeant, se dit « prêt au dialogue », tout en refusant d’agir sous « la pression du chantage ». Car « chantage » il y a, à juger des 36 milliards d’euros du plan de relance polonais actuellement bloqués par la Commission européenne. Une chaîne a beau être en or massif, elle n’en demeure pas moins une chaîne.
De la Communauté européenne à la communauté internationale, il n’y a qu’un pas. Le point commun entre ces deux entités ? N’être qu’assez peu représentatives des peuples et des États qui les composent. En Europe et en matière sociétale, surtout, prime le droit des pays du Nord, épris de « progressisme », de « diversité » et de « bienveillance », sans négliger leurs obsessions de rigueur budgétaires. Bref, une communauté n’ayant d’européenne que le nom, puisqu’elle passe en pertes et profits ses voisins du Sud.
À l’échelle planétaire, le dévoiement du langage est le même : les nations qui ne participent pas à la vision états-unienne de la planète et de ses vassaux de l’OTAN sont rejetées dans un fantomatique « axe du mal ». D’où cette autre forgerie sémantique, ces « États voyous » au rang desquels ceux qui contestent, pour telles ou telles raisons, bonnes ou mauvaises, les diktats de la Maison-Blanche sont régulièrement mis au ban de cette fameuse « communauté internationale » et accablés de sanctions économiques généralement iniques : Russie, Chine, Iran, pour ne citer que les plus puissants.
Mais à force de tirer sur la corde, il ne faut pas s’étonner que cette dernière se tende, puis se rompe, comme le constate, ce 29 octobre, Le Monde, sorte de mainate du « cercle de la raison », qui s’inquiète de « l’isolement de la Chine ». Et les mêmes de s’étonner que les présidents chinois et russe sèchent les prochaines réunions du G20 à Rome et de la COP26 de Glasgow.
Un tel ethnocentrisme a de quoi laisser perplexe. Car si la Chine, la Russie, l’Iran, mais aussi l’Inde, le Brésil et autres pays de plus en plus rétifs aux oukases d’un Occident vieillissant, font comme si ce dernier n’existait pas, ne serait-ce pas ce même Occident qui se trouverait en voie d’isolement ?
Nicolas Gauthier