Mardi 11 janvier, le taux des obligations allemandes à dix ans (– 0,02 %) a failli redevenir positif. La barre symbolique du zéro n’a pas été franchie, mais c’est sans doute une question de jours. Quand cela arrivera, ce sera la fin d’un cycle de deux ans et demi de taux négatifs, amorcé en mai 2019. Depuis début décembre 2021, le taux allemand a augmenté de près de 0,4 %. La tendance est la même partout en Europe. En France, les obligations à dix ans sont désormais à 0,3 %, au plus haut depuis mai 2019, tandis qu’elles atteignent 1,2 % en Italie, un record depuis mai 2020. Progressivement, la parenthèse des taux négatifs se referme.
Avec une inflation de 5 % en zone euro et de 7 % aux Etats-Unis, les marchés anticipent des hausses des taux d’intérêt. Aux Etats-Unis, la Réserve fédérale (Fed) pourrait augmenter son taux directeur dans les mois à venir, et les analystes misent sur au moins trois hausses en 2022. La Banque centrale européenne (BCE) n’en est pas au même point : une hausse cette année est « très improbable », a prévenu Christine Lagarde, sa présidente. Mais l’institution de Francfort a commencé un retrait progressif de son programme d’intervention sur les marchés : de 70 milliards d’euros injectés par mois actuellement, elle doit en principe passer à 20 milliards par mois à partir d’octobre ( (https://conseildansesperanceduroi.wordpress.com/2022/01/10/lobsession-de-la-croissance-mondiale-se-heurte-au-mur-des-realites/).
La tendance est donc massive : les taux d’intérêt vont remonter. Cela pose deux problèmes principaux : un risque, potentiellement proche, d’une violente chute boursière ; un autre, relativement contenu, sur la soutenabilité de la dette publique (le fameux « quoi qu’il en coûte » d’Emmanuel Macron !). La Banque de France a tiré le signal d’alarme, lundi 10 janvier : « Certains indicateurs de valorisation boursière pointent un niveau d’exubérance persistant, qui rend les marchés d’actifs risqués vulnérables à une correction brutale. » L’institution souligne l’étrangeté de la situation boursière. Alors même que les économies européennes ne sont pas encore revenues à leur niveau d’avant la pandémie de Covid-19, les Boursent flambent. Le CAC 40 a gagné 29 % en 2021. Il n’y a aucun doute là-dessus… ces gens sont fous.
Les valorisations boursières (le ratio du prix de l’action sur les bénéfices, corrigé du cycle économique) atteignent désormais des niveaux connus seulement avant les grandes crises : elles « ont dépassé [celles de] 2008, aussi bien en France qu’aux Etats-Unis, et s’approchent outre-Atlantique des pics touchés avant l’éclatement de la bulle Internet [de 2001] », note la Banque de France. Or, ces valorisations viennent directement des taux d’intérêt bas, qui poussent les investisseurs à aller chercher des rendements plus élevés vers des produits risqués, notamment les actions. S’ils augmentent, les valorisations sont appelées à baisser.
La Banque de France s’alarme en particulier de la fragilité des fonds spéculatifs, qui utilisent l’endettement pour jouer sur les marchés. Elle cite l’exemple d’Archegos, un fonds qui a fait faillite en mars 2021, et avait pris des positions très concentrées sur certaines actions. Quand le cours de celles-ci s’est retourné, le fonds s’est trouvé dans l’incapacité de payer et les deux banques contreparties ont subi une perte de 7 milliards de dollars (6,1 milliards d’euros).
La crise sanitaire a provoqué une forte hausse de l’endettement des Etats. « Le grand risque est qu’une hausse des taux [par les banques centrales] ne provoque une panique autoréalisatrice sur les marchés obligataires », comme cela a été le cas pendant la crise de la zone euro, note Jack Allen-Reynolds, du cabinet Capital Economics. Ce scénario d’une envolée des taux (ils avaient alors frôlé 7 % en Italie) est cependant écarté par la plupart des analystes… pour le moment.
Par ailleurs, le cas de la France est encore rassurant: à 0,3 %, les conditions offertes par les investisseurs restent favorables et le taux de remboursement moyen de la dette publique française baisse est actuellement à 1,5 %, son plus bas niveau historique.
Mais pour combien de temps ? Car, ne l’oubliez pas, ces situations peuvent changer en un instant !
Le 14 janvier 2022.
Pour le CER, Jean-Yves Pons, CJA.