La dégradation de la maîtrise de la langue chez les élèves ne concerne pas que l’orthographe lexicale et ses innombrables chausse-trappes. Elle s’étend aussi à la syntaxe de base et donc à la capacité à comprendre, analyser et s’exprimer. C’est bien plus grave.
Qu’aurait pensé Danièle Manesse, grande dame de la linguistique décédée au printemps 2022 de cette gloire posthume ? Voilà donc sa fameuse dictée érigée par le gouvernement en preuve irréfutable que « le niveau baisse ». En son absence, le procédé peut sembler un peu indélicat mais force est de constater que l’épreuve passée par un panel représentatif d’élèves de CM2 en 1987, 2007, 2015 et 2021 n’incite pas à l’optimisme. Comme l’a souligné le précédent ministre de l’Education Pap Ndiaye en janvier dernier, le nombre d’erreurs commises par nos enfants a presque doublé en trente-quatre ans, la proportion de « bons rédacteurs » à moins de dix fautes passant de 31 à 7 %. Un résultat d’autant plus troublant que le texte de cette courte dictée de 66 mots est très accessible d’un point de vue lexical et que les élèves de 2021 chutent le plus souvent sur des situations d’accords sujet-verbe sans difficulté manifeste (voir ci-dessous). […]
Dans l’enquête Cedre réalisée par le ministère en 2021, on y apprend que seuls 55 % des collégiens ont une maîtrise satisfaisante de la langue en fin de troisième, que 37,5 % se disent découragés à l’idée de lire un texte dépassant une page et que 40 % sont en difficulté quand il faut exprimer une opinion. […]
Cette complexité de la langue française associée à une pédagogie défaillante n’est pas sans conséquences. La France, on le savait, est le grand pays développé où les origines pèsent le plus sur les résultats scolaires. Mais, en ce qui concerne la maîtrise du français, ces inégalités prennent une forme encore plus inquiétante. Face à la dictée de Danièle Manesse, les enfants de familles populaires sont en grande difficulté, on pouvait s’y attendre. Mais, singularité : ceux issus des classes moyennes, qui habituellement « moyennisent », ne s’en sortent guère mieux. Il n’y a que chez les 25 % les plus favorisés que la chute est ralentie. Si cet effet ciseau persiste, l’impact sur notre ascenseur social déjà grippé pourrait être catastrophique car les entreprises, loin de se désintéresser du français, en font de plus en plus un critère de recrutement de leurs cadres. La maîtrise de l’orthographe, bientôt un privilège et une rente pour les classes aisées ?
La dictée test de 66 mots :
“Le soir tombait. Papa et maman, inquiets, se demandaient pourquoi leurs quatre garçons n’étaient pas rentrés.
– Les gamins se sont certainement perdus, dit maman. S’ils n’ont pas encore retrouvé leur chemin, nous les verrons arriver très fatigués à la maison.
– Pourquoi ne pas téléphoner à Martine ? Elle les a peut-être vus !
Aussitôt dit, aussitôt fait !
À ce moment, le chien se mit à aboyer.”