Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

L’Europe d’une guerre à l’autre (VIII-2) – L’étrange Grande Guerre

Par Nikolay STARIKOV  ORIENTAL REVIEW

Partie I

Le comportement étrange de tous les monarques en guerre à la veille et pendant la Première Guerre Mondiale était à l’instigation de Londres. Le chantage et la tromperie flagrants, animés avec tant de «virtuosité» par le secrétaire britannique aux Affaires étrangères, Edward Grey, ont pu fonctionner chez les Allemands. Les Anglais menèrent également le même jeu du côté opposé chez les Russes et, après une courte pause, ce fut le tour de la Turquie.

Le moment est venu pour nous de parler un peu de l’entrée d’Istanbul dans la guerre. Le mystère n’est pas plus clair à ce stade que pendant toute l’histoire trouble de cette période. La Russie est entrée dans la guerre mondiale simplement pour se défendre. C’est une forte motivation, mais le gouvernement russe doit avoir eu un autre motif plus mercenaire. Sinon, si les Allemands avaient offert la paix, la Russie aurait pu l’accepter. Une sorte d’appât savoureux était nécessaire et pour Saint-Pétersbourg, c’était le détroit turc. Cependant, les «alliés» auraient été incapables d’offrir les Dardenelles tant convoités à la Russie sans la participation de la Turquie au conflit mondial. Et en effet, les Anglais eux-mêmes n’auraient pu prendre une partie du territoire turc que si Istanbul entrait en guerre contre les puissances de l’Entente. D’où la logique suivante derrière la tactique de la diplomatie britannique: essayer de toutes ses forces de provoquer la Turquie à soutenir l’Allemagne. Il n’y a pas lieu de s’étonner de l’absurdité apparente du comportement de l’Angleterre, seuls des gestes peu orthodoxes et des décisions courageuses auraient pu leur permettre d’accomplir la tâche herculéenne de mener une guerre mondiale selon leur propre scénario. Et puis plus tard, après avoir détruit la Turquie pendant la guerre, les Britanniques pourront glorieusement diviser son territoire. Seule la Russie n’obtiendrait absolument rien. Pour elle, Sir Grey prévoyait une guerre civile, le chaos et une perte de territoire.

À un moment donné, il s’est avéré que les efforts diplomatiques de la Russie et de la Grande-Bretagne allaient dans des directions opposées. La diplomatie russe essayait d’avoir la Turquie à son côté ou de la convaincre de rester neutre. Saint-Pétersbourg n’avait certainement pas besoin d’un autre adversaire. À cette fin, le ministre russe des Affaires étrangères Sazonov offrait de garantir la sécurité de la Turquie et de lui rendre les îles de Lemnos. La diplomatie anglaise avait répondu à cet accord en ne garantissant que la sécurité de la Turquie pendant la durée de la guerre. En ce qui concerne les îles, Londres émit un refus catégorique. L’Angleterre provoquait presque ouvertement les Turcs, en faisant clairement, avec toute l’amabilité adéquate, des «concessions» aux Allemands, qui étaient prêts à se soumettre à toutes les conditions que l’Etat turc pourrait avoir.

En plus des jeux diplomatiques qui se déroulaient, il y avait aussi des attaques offensives et hostiles contre la Turquie. En tant que première puissance de construction navale au monde, la Grande-Bretagne avait reçu de nombreux États des commandes de construction de nouveaux navires de pointe. Quelques années avant le début de la guerre, le Brésil avait commandé son troisième cuirassé à l’Angleterre, un cuirassé armé de 14 canons de 305 mm. Cependant, le pays du café et des carnavals n’avait pas tout à fait pris en compte ses capacités financières et se préparait déjà à annuler sa commande lorsque la Turquie est arrivée sur la scène. Non seulement la Turquie racheta le navire brésilien, mais le pays paya également la construction d’un autre navire du même type. À l’été 1914, ils auraient dû être remis au client, mais les firmes anglaises commencèrent à utiliser toutes les excuses possibles pour retarder la livraison des navires et, le 28 juillet 1914 (le jour où l’Autriche-Hongrie déclara la guerre à la Serbie), la Grande-Bretagne réquisitionna les deux dreadnoughts turcs et les intégra comme faisant partie de sa propre flotte sous les noms de “HMS Agincourt” et “HMS Erin”.

Alors que Sir Grey s’efforçait de «se battre pour la paix», le ministère de la Guerre britannique mettait la dernière main à ses préparatifs de guerre. L’idée d’une guerre mondiale ne s’était présentée à personne à ce moment-là, sauf peut-être au gouvernement britannique. C’est pourquoi le gouvernement turc a trouvé la réquisition de ses navires si offensante, telle une gifle publique dans le visage. Logique intéressante: l’Autriche déclare la guerre à la Serbie, donc l’Angleterre saisit les navires de la Turquie. Ces actes provoquèrent une explosion d’indignation à Istanbul, puisque la construction des navires de guerre avait en partie été financée par une souscription publique. Le déficit inattendu des deux navires de haut rang sapait la capacité défensive de la flotte turque. C’était l’Angleterre qui en était responsable, mais la haine de la Turquie s’étendit à l’ensemble de l’Entente, dont le membre le plus proche était géographiquement … la Russie.

Croiseur léger allemand Breslau, qui deviendra plus tard le Midilli turc.
Croiseur léger allemand Breslau, qui deviendra plus tard le Midilli turc.

Le commandement militaire allemand décida de profiter sans délai de la situation en cours et proposa secrètement au gouvernement turc d’acquérir deux nouveaux navires de guerre allemands qui, depuis 1912, se trouvaient en Méditerranée. C’étaient le croiseur de bataille “SMS Goeben” et le croiseur léger “SMS Breslau”. Comme cela arrive souvent en politique, les actions audacieuses du Commandement allemand pour amener la Turquie de son côté s’inscrivent pleinement dans les intérêts des Anglais, raison pour laquelle «SMS Goeben» et «SMS Breslau» arrivèrent à Istanbul sains et saufs. Cette histoire est d’un tel intérêt que nous allons y jeter un coup d’œil un peu plus en détail.

“SMS Goeben” et “SMS Breslau” se trouvaient en mer au moment culminant du début de la guerre mondiale, au moment où l’Angleterre et l’Allemagne étaient sur le point de devenir des ennemis. La destruction des deux navires allemands n’aurait pas été difficile pour la flotte britannique, qui était la meilleure au monde. La marine anglaise n’en était pas très éloignée, mais … permit aux croiseurs allemands de lui glisser entre leurs doigts. Quand les Anglais rattrapèrent de nouveau les navires à Istanbul, la situation avait déjà radicalement changé. Le gouvernement turc avait annoncé qu’il avait acheté “SMS Goeben” et “SMS Breslau” à l’Allemagne. Désormais, ce n’était plus des navires allemands mais turcs nommés “Sultan Yavuz Selim” et “Midilli”. Le commandement des navires restait allemand, ils avaient simplement changé les casquettes allemandes contre des fezzes turcs.

La «négligence» des Britanniques eut de graves conséquences. Le 29 octobre 1914, l’amiral allemand Souchon, ayant accepté le poste de commandant en chef de la marine ottomane, conduisit sa flotte en mer, prétendument pour des exercices d’entraînement. Et il fit ce que les dirigeants du gouvernement allemand attendaient de lui et pas seulement le gouvernement allemand, mais aussi … la reconnaissance britannique. “SMS Goeben” avait ouvert le feu sur Sebastapol, “SMS Breslau” sur Novorossiysk et le croiseur “Hamidiye” sur Odessa. Le lendemain matin, l’ambassade de Russie à Constantinople demanda des passeports et, contrairement aux souhaits de la Russie, la Turquie se révélait être le prochain adversaire de la Russie et le nouvel allié de Berlin. En conséquence, les voies navigables de la mer Noire, le long desquelles la Russie pouvait recevoir tout ce dont elle avait besoin, étaient bloquées. Et ce qui est plus grave, le flux principal des exportations russes passait par ces Détroits: à la veille de la Première Guerre Mondiale, entre 60 et 70% de toutes les exportations de céréales russes passaient par le Bosphore et les Dardanelles, et le nombre total des exportations russes représentait près de 34% du commerce total. La Russie avait maintenant du mal à vendre ses produits et à recevoir les matériaux dont elle avait besoin. Les pénuries dans les premières années de la guerre peuvent, à bien des égards, s’expliquer par ce tragique «incident», lorsque deux navires allemands ont «trompé» la flotte britannique.

 Empire Ottoman en 1820-1924
Empire Ottoman en 1820-1924

Traduit du Russe par ORIENTAL REVIEW

Source : https://orientalreview.org/2012/10/03/the-great-odd-war-ii/

Traduction : Avic – Réseau International

https://reseauinternational.net/leurope-dune-guerre-a-lautre-viii-2-letrange-grande-guerre/

Les commentaires sont fermés.