Se résigner au pire
Napoléon garde néanmoins quelques espoirs. Il est encore à la tête de soixante mille hommes capables de reprendre Paris et son pouvoir. Ces derniers n’ont-ils pas crié « À Paris ! » lors du passage en revue des troupes ? L’Autriche pourrait aussi l’aider dans cette entreprise : n’est-il pas le gendre de l’empereur d’Autriche et le père de son petit-fils ? Tout n’est peut-être pas perdu.
Les maréchaux Ney, Berthier et Lefebvre dissuadent Napoléon et le convainquent d’abdiquer le 4 avril. Mais le bonapartisme est un feu qu’on ne peut éteindre ainsi. Il faudra attendre deux jours pour que le brasier impérial se calme et accepte sa défaite. Ainsi, le 6 avril 1814, l’Empereur accepte et signe, la mort dans l’âme, l’acte d’abdication en faveur du roi de Rome. Dans les couloirs du palais, on parle d’un « Brumaire à l’envers ». Le lendemain, ses troupes l’exhortent encore à revenir sur sa décision mais le choix de leur maître est fait.
« La tentation suicidaire »
Napoléon pense que son existence sur cette Terre est finie et qu’il ne peut se permettre de se laisser capturer par ses ennemis. Il est abandonné de tous : les fidèles d’hier sont désormais les serviteurs d’un autre à Paris. Comme le raconte Jean Tulard, dans son Napoléon (Fayard), « la tentation suicidaire se réveille en lui : le 8, une tentation, une tentative dans la nuit du 12 au 13 ». En effet, laissé seul, l’Empereur verse dans un verre d’eau une mystérieuse poudre et boit ce mortel breuvage. Pris de violentes douleurs au ventre, il tombe à terre. Les gémissements et le bruit de la chute font venir ses derniers serviteurs encore présents dans le palais. Ces derniers essaient désespérément de sauver leur maître dont la mort est lente et cruelle.
À ce sujet, le brave Armand de Caulaincourt raconte que l’Empereur, lui tenant la main, lui dit : « Qu’on a de peine à mourir […] qu’on est malheureux d’avoir une constitution qui repousse la fin d’une vie qu’il me tarde tant de voir finir. » En effet, Thanatos ne veut pas encore de l’Empereur, qui refoule en dehors de son corps le mal putride qui le rongeait. Il déclare alors : « Je vivrai, puisque la mort ne veut pas plus de moi dans mon lit que sur le champ de bataille. Il y aura aussi du courage à supporter la vie après de tels événements. »
Les adieux de Fontainebleau
Napoléon accepte les termes du traité de Fontainebleau lui accordant une rente de deux millions de francs et la possession de l’île d’Elbe, désormais son royaume. Après quelques jours de préparatifs, l’Empereur annonce son départ le 20 avril. En ce jour, descendant les marches de l’escalier d’honneur du palais de Fontainebleau, il s’adresse à ses dernières troupes : « Soldats de ma Vieille Garde, je vous fais mes adieux. Depuis vingt ans, je vous ai trouvés constamment sur le chemin de l'honneur et de la gloire. Dans ces derniers temps, comme dans ceux de notre prospérité, vous n'avez cessé d'être des modèles de bravoure et de fidélité. Avec des hommes tels que vous, notre cause n'était pas perdue. Mais la guerre était interminable ; c'eût été la guerre civile, et la France n'en serait devenue que plus malheureuse. […] Adieu, mes enfants ! Je voudrais vous presser tous sur mon cœur ; que j'embrasse au moins votre drapeau ! Adieu encore une fois, mes vieux compagnons ! Que ce dernier baiser passe dans vos cœurs ! »
L’Empereur s’en alla vaincu et ému de quitter la France. Cependant, la Mort lui avait fait comprendre qu’il avait encore le dernier acte des Cent-Jours à jouer avant de pouvoir quitter définitivement la scène du monde pour mieux entrer dans l’Histoire.
Eric de Mascureau
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