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Michel Poniatowski, l’honneur d’un prince de la République

Michel Poniatowski, l’honneur d’un prince de la République

Conseiller présidentiel en charge de l’immigration de 2007 à 2012, Maxime Tandonnet a été un haut fonctionnaire déçu. Déçu de ne pas pouvoir mettre en œuvre les mesures qu’il jugeait nécessaires. Essayiste et chroniqueur au Figaro, il a diagnostiqué la tyrannie de l’impuissance sur fond de contraintes internationales, médiatiques ou judiciaires. Il a aussi publié d’intéressantes biographies de Georges Bidault et d’André Tardieu. Maxime Tandonnet est mort prématurément en septembre 2024, mais Perrin publie à titre posthume son dernier ouvrage, une passionnante biographie du prince Poniatowski : résistant, esprit libre, Père Joseph de Valéry Giscard d’Estaing et maire de L’Isle-Adam, ville d’Île-de-France dont il sut sauver le charme. Nos lecteurs trouveront ici la recension du livre Michel Poniatowski – Un prince dans la République (Éditions Perrin, 338 pages, 24 euros) par Johan Hardoy.
Polémia

Dans la résistance combattante

L’ascendance aristocratique de Michel Poniatowski justifie pleinement ce titre de « prince » : un de ses aïeux était le frère du dernier roi de Pologne tandis qu’il comptait également parmi ses ancêtres deux maréchaux d’Empire, Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, Joséphine de Beauharnais ou encore le duc Charles de Morny.

Né en 1922 dans le XVIe arrondissement de Paris, il grandit dans une « ambiance familiale pleine d’attention et d’affection, dominée par la passion des livres, du sport et des grands horizons ». Son grand-père paternel exerce une grande influence sur sa formation intellectuelle, en le familiarisant notamment avec sa « théorie du paradoxe », selon laquelle « toute proposition contraire à l’opinion dominante, au préjugé et à l’habitude, a de fortes chances d’être en avance sur son temps ».
Le jeune garçon est tout d’abord élève du collège Jésuite de Paris puis de la Rossall School dans le Lancashire, « où la douche glacée et les punitions corporelles sont de rigueur ».

Au début de la Seconde Guerre mondiale, l’adolescent croise, à Montparnasse, un accordéoniste qui chante « Tout va très bien, Madame la Marquise… ». Après une mobilisation dans les Chantiers de la jeunesse en 1942, il refuse, l’année suivante, de partir en Allemagne dans le cadre du Service du travail obligatoire. Les réseaux de son oncle, l’homme de lettres nationaliste Robert d’Harcourt, lui permettent de rejoindre le Comité français de libération nationale en Afrique du Nord. Deux de ses compagnons meurent durant la traversée des Pyrénées.
Après des semaines d’entraînement intense au sein du Premier bataillon de choc, « il saute avec ses compagnons le 29 juillet 1944 au-dessus du village de Dieulefit, dans la Drôme provençale, en moyenne montagne ». De violents combats contre la Wehrmacht s’ensuivent.
« À Grenoble, il est indigné par le spectacle grandiloquent qu’offrent les rues de la ville libérée : “Les vrais résistants osent à peine se montrer de peur d’être confondus avec ceux qui les pastichent de manière si ridicule”. » « À Montélimar, le spectacle des femmes dénudées et tondues, en larmes sur des estrades, clamant leur innocence devant la foule hilare, le bouleverse. »
Blessé à trois reprises et décoré de la médaille militaire, le jeune homme termine la guerre dans les services de renseignements et de contre-espionnage à Paris.

Au cœur du pouvoir

Une fois démobilisé, Michel Poniatowski poursuit des études de droit avant d’être admis au premier concours de l’École nationale d’administration, réservé cette année-là aux anciens combattants. Son rang de sortie l’amène à intégrer la Direction des finances.
Il exerce ainsi à Rabat puis à Washington avant de rejoindre, en 1957, le cabinet du ministre des Finances Pierre Pflimlin au poste de directeur adjoint.
Ce dernier est nommé à Matignon et son collaborateur, qui l’accompagne, se voit confier le dossier particulièrement sensible de l’Algérie. Leur mission s’achève deux semaines plus tard quand le général de Gaulle arrive au pouvoir.

« Si Michel Poniatowski partage le réalisme du Général sur l’avenir de l’Algérie, il est, en revanche, vent debout contre la politique mise en œuvre pour parvenir à l’indépendance à compter de 1960, qu’il juge expéditive et inhumaine, indifférente au malheur d’un million de pieds-noirs déracinés et spoliés de leurs biens, contraints à la fuite dans un climat d’apocalypse et sous la menace d’un massacre, à l’image de celui survenu à Oran le 5 juillet 1962. Il est notamment témoin de l’abandon volontaire et délibéré des Harkis, à ses yeux, le péché originel de la Ve République. »

Son ami Giscard d’Estaing

Les deux hommes se rencontrent par l’intermédiaire de la cousine de Michel, Anne-Aymone de Brantes, qui deviendra l’épouse du futur Président de la République. « Aussitôt, une profonde amitié est née de leur complicité intellectuelle et de leur complémentarité. »

En 1958, ils font « le choix de jouer le jeu du passage à la Ve République et d’un gaullisme qui n’est que de façade, par calcul politique, bien davantage que par conviction ou allégeance sincère à la personne du Général ».

De 1959 à 1962, Poniatowski, qui exerce en tant que directeur de cabinet de « VGE » — lequel est secrétaire d’État aux Finances puis ministre de l’Économie et des Finances — mène « une chasse impitoyable aux gaspillages et à la corruption : l’argent des Français est sacré » (fait notable, on le lui connaîtra jamais la moindre tentation de corruption).

En 1965, il rejoint la Fédération nationale des républicains indépendants (FNRI) nouvellement créée par « VGE » après la réélection, plus difficile que prévu, de Charles de Gaulle au second tour de l’élection présidentielle. En mars 1968, il est élu député du Val-d’Oise, puis réélu confortablement après la dissolution de l’Assemblée nationale consécutive aux événements de Mai 1968.

Lors du référendum de 1969 portant sur « la régionalisation et la réforme du Sénat », Giscard d’Estaing et Poniatowski, dont le parti compte de nombreux de notables locaux, se prononcent défavorablement. 53 % des électeurs votent contre et contraignent de Gaulle à démissionner.
Dès lors, « Ponia » assume la tâche que son ami lui assigne : « giscardiser les RI » en vue des élections présidentielles. « Sa cible privilégiée est désormais le Premier ministre gaulliste, Jacques Chaban-Delmas, candidat potentiel à la succession de Georges Pompidou, susceptible de concurrencer les projets de VGE. » « Mais l’allégeance du prince, qui se place délibérément au service de son mentor, a sa contrepartie : la liberté de ton ». L’une de ses formules, « la République des copains et des coquins », est reprise partout.

En 1973, en réaction au programme commun signé par les socialistes et les communistes, Poniatowski prône l’union contre les « marxistes » et « les RI sortent renforcés du scrutin qui les replace en position charnière ».

Ministre de la Santé

En avril 1973, le Premier ministre Pierre Messmer le nomme à la tête d’un grand ministère réunissant deux portefeuilles jusqu’alors séparés : la Sécurité sociale et la Santé publique. Une fois en fonction, il aime à se rendre à l’improviste dans les services hospitaliers, accompagné de quelques collaborateurs et sans la presse, afin de constater par lui-même la réalité quotidienne de l’exercice des soins.

Une « charte du malade », toujours en vigueur aujourd’hui, est élaborée par ses services. Par ailleurs, il porte un projet de loi prévoyant la dépénalisation de l’avortement, avant la loi que fera passer Simone Veil un peu plus tard.

Ministre de l’Intérieur

En 1974, Michel Poniatowski, qui s’est beaucoup impliqué en faveur de la victoire à l’élection présidentielle de Valéry Giscard d’Estaing, est nommé ministre de l’Intérieur par le Premier ministre Jacques Chirac.
Cette désignation permet au nouveau ministre d’imposer la lutte contre la délinquance et la criminalité comme enjeu majeur. « Jusqu’alors, le rôle prépondérant d’un ministre de l’Intérieur était celui de garant des institutions républicaines. […] Il avait pour mission principale de protéger l’État contre la sédition. »
Cette nouvelle orientation ne constitue pas une récupération des thèses du Front national créé deux ans plus tôt, comme cela a parfois été avancé, car aucun des « dix points de salut public » composant le programme présidentiel de ce parti ne comporte alors les mots « sécurité » ou « immigration ».

Le ministre de l’Intérieur affiche également « sa volonté de lutter contre la criminalité d’origine étrangère en France. Il voit dans la maîtrise insuffisante de l’immigration l’une des raisons, parmi d’autres, de la montée des violences ».

Son action se concrétise en outre par la défense des libertés individuelles confrontées au progrès des technologies de l’information (la loi Informatique et Libertés est toujours en vigueur) et par des mesures de protection du littoral. En revanche, la ferme opposition de la majorité présidentielle ne lui permet pas de briser le monopole d’État en autorisant la création d’une radio privée.

Le ministre de l’Intérieur reste en place après l’arrivée de Raymond Barre à Matignon, consécutive à la démission de Jacques Chirac.

Sacrifié par Giscard

Après les municipales de 1977, catastrophiques pour son camp, Giscard reproche à son vieil ami d’entretenir des rapports exécrables avec l’ancien Premier ministre dont le soutien lui est indispensable dans la perspective d’une réélection.

Poniatowski se retrouve évincé du gouvernement et nommé ambassadeur, chargé d’une mission de représentation du chef de l’État à l’étranger, une tâche relevant de la diplomatie parallèle qu’il prend très au sérieux. Les deux hommes restent cependant amis…

Européen mais anti-Maastrichtien

L’année suivante, l’ancien ministre perd, de très peu, son siège de député du Val-d’Oise, mais il est élu député européen sur une liste dirigée par Simone Veil lors de la première élection du Parlement européen au suffrage universel en 1979. Il plaide en faveur d’une « Europe puissance » capable de peser sur la marche du monde.

Dix ans plus tard, son bilan est amer : « La communauté a dépassé ce stade diplomatique (de l’unité entre des nations souveraines), pour devenir un cadre qui s’impose à l’existence, aux conditions de vie, au droit civil des habitants. C’est une situation inacceptable qui finira par entraîner de vives réactions lorsqu’une majorité des opinions comprendra ce qui se passe. »

En 1992, à l’occasion d’un débat au Sénat (dont il est membre depuis 1988), il se prononce contre la révision constitutionnelle préalable à la ratification du nouveau traité européen : « L’Europe est indispensable, elle est même mortellement nécessaire, mais pas n’importe quelle Europe. […] Comment voulez-vous que les Français s’enthousiasment de voir leur gouvernement transféré à Bruxelles, la Banque de France délocalisée à Francfort, 80 % de leurs lois élaborées au loin, hors de leurs frontières et hors de leur contrôle, leur pays soumis aux automatismes fédéraux, indifférents et mécaniques ? Les Français ne pourront qu’avoir, demain, les yeux de Chimène pour l’autre Europe, celle des patries et de la confédération. »

Un élu local populaire

En 1971, Michel Poniatowski est élu de justesse maire de l’Isle-Adam (95), avec 51 % des voix au second tour. Cette ville n’a pas été choisie au hasard : « Le prince a eu le coup de foudre pour cette commune tiraillée entre d’une part le charme paisible d’une cité bourgeoise sur le chemin de la Normandie,[…] et d’autre part sa vocation de grande banlieue d’une mégapole, réceptacle du développement parisien. »

Dès son arrivée, le nouveau maire met un terme à la décision de l’ancienne municipalité, de sensibilité marquée à gauche, de construire une cité de logements sociaux formée de grands ensembles en plein cœur de l’Isle-Adam. Il s’oppose également au projet d’élargissement d’une route nationale qui doit couper la ville en deux sur une largeur de 50 mètres (la voie controversée passera finalement en dehors de la cité).

L’élu défend un modèle de « “villes-jardins” de 15 000 à 50 000 habitants, […] autrement souhaitables que les monstrueux magmas humains et les villes nouvelles sans âme qu’édifient à contresens de l’évolution nos urbanistes. »

« Ainsi, Michel Poniatowski a su conquérir une authentique popularité dans sa commune. […] Il fut réélu à quatre reprises, à chaque fois haut la main, avant de renoncer à la mairie pour des raisons de santé en 1999. » Son fils Axel puis son petit-fils Sébastien lui ont succédé jusqu’à ce jour.

La survie du pays

Dans son bord politique, Michel Poniatowski se singularise par la constance de ses analyses sur l’immigration. Dans Que survive la France, paru en 1991, il exprime sa grande préoccupation sur les effets à long terme de flux migratoires insuffisamment maîtrisés : « Nous ne sommes plus en présence d’une immigration mais d’un transfert continental de population, d’une invasion silencieuse et pacifique de populations islamiques et africaines déséquilibrant profondément nos sociétés et mettant en cause nos traditions, nos modes de vie et la vie démocratique. » Des quotas concernant les immigrés d’origine non-européenne, en fonction des besoins et des intérêts économiques du pays, conjugués à des expulsions immédiates des criminels et des délinquants étrangers, lui paraissent dès lors indispensables.

L’ancien ministre se montre également favorable à des accords électoraux ponctuels, au niveau local, entre les partis de droite et le Front national.

Jusqu’à sa mort en 2002, il reste soucieux de lutter contre la perte des repères collectifs. « Poniatowski voit un lien entre le déclin intellectuel du monde occidental — notamment de la France — et celui des ambitions collectives. La passion de l’histoire, de la littérature ou des sciences constitue le ciment de toute société. Son recul, favorisé par la chute du niveau scolaire, conduit au rétrécissement de la pensée et au délitement du lien social, au repli individualiste puis à la mort de la civilisation. »

Il est quand même resté persuadé, comme l’a démontré l’action salutaire menée dans sa commune de l’Isle-Adam et comme l’indique le titre d’un de ses livres, que L’avenir n’est écrit nulle part

Johan Hardoy 19/04/2025

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