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Le Hobbit, le parc d’attractions et le message réac du vrai Tolkien

 

par Nicolas Bonnal

 

 

Je ne comptais pas en parler : il passe dans vingt-cinq mille salles, c’est le film unique, comme il y a le parti unique et la monnaie inique.

 

Mais mon ami et auteur Arnaud Guyot-Jeannin(1), se rappelant de mon "Tolkien les univers d’un magicien"(2), m’a demandé d’évoquer le film et de participer à son émission de Radio-courtoisie (un mardi soir chaque mois) pour commenter avec l’aide de ce qui reste de mon troisième oeil l’actualité cinématographique. On sait que je suis plutôt un inactuel du cinéma mais j’ai répondu présent, par amitié d’abord, par souvenir ensuite (Serge de Beketch), et par devoir enfin, considérant que je peux réorienter les regards de certains, surtout des bons chrétiens bien pourvus en enfants, vers un cinéma plus envoûtant et initiant que celui qui paraît : le cinéma français des années 40, les classiques nippons ou le cinéma initiatique soviétique par exemple !

 

Venons-en au Hobbit, à son milliard de budget, à son trillion de spectateurs attendus.

 

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Francis Ford Coppola expliquait un jour que son producteur de la Paramount lui avait demandé une suite au Parrain parce que, disait-il, « si tu ne le faisais pas, ce serait comme si tu avais trouvé la formule du coca-cola et que tu ne commercialises pas la deuxième bouteille ! »

 

Quelle belle vision de l’art ! Pourquoi Shakespeare n’a pas écrit une suite à "Hamlet", un Hamlet II ? Un Hamlet plus costaud, qui aurait fait le ménage, comme Schwarzenegger dans le très drôle Last Action Hero !

 

On comprend dès lors que Peter Jackson - ou Klaxon, vu la pub dont jouit ce film - mué en Peter Jackpot de la terre du milieu (IE de l’office du tourisme néo-zélandais) ait décidé de porter lui-même à l’écran le conte, après avoir écarté un potache mexicain, et en trois dimensions s’il vous plaît, et avec des lunettes de luxe et 48 photogrammes par seconde, sans compter les innombrable effets spéciaux à mille milliards qui vont encombrer les cerveaux attardés du moment et l’histoire déjà encombrante du "Hobbit" (le plus mauvais Tolkien et de loin). Le film de neuf heures transforme la Nouvelle-Zélande en Las Vegas de l’héroïque fantaisie, il fait d’un pays pour la première fois un parc d’attraction ! On est en plein Borges, on est plein Umberto Eco et sa très bonne "Guerre du faux" ! Le monde devient un lieu de tournage ! On paiera pour chaque site !

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L’opus multiplie les records comme la Cléopâtre d’Astérix sauf que Jackpot et son staff n’ont pas l’humour du grand Goscinny. On parle de quatre milliards de dollars de retombées, d’un demi-milliard de budget, d’exonération fiscale pour Jackpot et les acteurs (mais où est Depardieu ?), de mobilisation des troupes et même de hausse de l’immobilier, sans compter l’interdiction du droit de grève votée à la hâte par un parlement aux abois, qui a décidé que le Hobbit était dorénavant, en ragoût ou en court-bouillon, en friture ou au four, le fer de lance ou la marmite druidique de l’économie néo-zélandaise.

 

Il me semble que tout ce battage, toutes choses égales par ailleurs, sera contre-productif, un peu comme ces jeux olympiques qui finissent par coûter vingt milliards après avoir paralysé la vie d’un pays et fait fuir le touriste le plus endurci, et qui ont ruiné la Grèce moderne de Papandréou (d’ailleurs citoyen américain et payé 40 000 dollars par mois à Harvard pour raconter ses exploits) dont l’antiquité glorieuse en avait pourtant vu d’autres !

 

Mais le présent perpétuel de la consommation a un coût : il faut toujours titiller le chaland ; c’est cela, notre peine perpétuelle. Comme dit Bilbo, c’est étaler du beurre sur trop de tartine.

 

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L’élitisme technologique, grande donnée actuelle, n’est pas de reste non plus : il faut, comme dans le film Avatar le bien nommé, qui évoquait la transmutation technologique de l’homme postmoderne (un handicapé rivé à son iPod, un virtuel qui rêve d’autres vies, faute de vie intérieure !), il faut dis-je, acheter de nouveaux appareils, faire de nouvelles dépenses, quitter le centre-ville, filer en banlieue dans un multiplex et claquer cent euros en famille avec le parking et le pop-corn ! Et pourtant nous sommes en crise, et pourtant on augmente nos impôts ! Il y a 48 millions de bons alimentaires distribués dans l’Amérique modèle de nos libéraux ! Comprenne qui pourra... il est vrai que si le Hobbit est conçu comme le navrant James Bond pour le marché des émirats ou des riches zones industrielles chinoises... Toujours est-il qu’il faut banquer : la technologie n’aura servi qu’à cela : nous ruiner en délocalisant, oublier le monde réel, et nous laisser entre les mains de nos contrôleurs aériens ou pas : voyez Travolta et l’excellent Opération Espadon à ce propos, qui expliquera comment (et pourquoi...) il faut tromper l’audience. Elle aura aussi permis, cette technologie, de liquider la notion de jeu et de scénario, vieux machins encombrants du cinéma classique. Comme me disait un lecteur portugais de mon site anglophone, aujourd’hui la culture des adultes c’est la culture des enfants. Spiderman c’est Panurge. Et Batman c’est Prométhée.

 

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J’en viens au Hobbit, objet de ma part d’une absence totale de considération. L’opus de Tolkien est comme un brouillon mal écrit, un catalogue surchargé de tout ce que le "Seigneur des anneaux" et surtout le "Silmarillion"(3) (le chef d’oeuvre absolu, la vraie grande mythologie indo-européenne du troisième millénaire, une cosmogonie de guerre-éclair, qu’on n’adaptera jamais) offriront ultérieurement. On peut le recommander à titre informatif toutefois.

 

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Il reste cependant le Hobbit en tant que weltanschauung : le monde du Hobbit est celui de la paléotechnique ; il est aussi celui de la technophobie sereine et intelligente. Le monde du Hobbit est celui du mir, de la communauté organique traditionnelle et celui de la révolution médiévale, telle qu’elle avait été comprise non par les fascistes (il faut rassurer ses lecteurs, surtout les mieux intentionnés !), mais par René Goscinny et les plus intelligents des hippies. Ce qui importe, comme chez John Ford, ce sont les bons repas, les beuveries, les tours de danse et les chansons ! Comme disait Céline, la France fut perdue quand on cessa d’y danser le rigodon.

 

J’ai ajouté le plus important lors de l’émission d’Arnaud Guyot-Jeannin. Dans son grand chapitre du troisième tome du "Seigneur des Anneaux", on assiste à une révolte des Hobbits contre un pouvoir cruel, vraie métaphore du nouvel ordre mondial qui leur impose dans l’ordre l’industrialisation de masse, l’imposition à outrance et la tyrannie sécuritaire, sans compter une immigration massive de voyous. Les bons Hobbits inspirés de Cobbett ou de Chesterton s’en libèrent bravement par la force des armes. L’épisode s’appelle en français le nettoyage de "la comté". Il n’est pas un simple rappel à l’ordre, il est plutôt un appel au désordre. Chesterton disait que les enfants iraient au paradis, parce que simplement ils osent (ou osaient) se battre. Plus nous nous laisserons faire, plus nous serons maltraités.

 

Tant que j’y suis, je conseille à mes lecteurs le chapitre sur Beren et Luthien dans le "Silmarillion". C’est une merveille totale, supérieure même à mon sens à "Tristan et Iseult". Tout le génie de Tolkien en vingt pages : c’est se laisser tenter par un amour en occident.

http://www.france-courtoise.info

 


(1) Arnaud Guyot-Jeannin, "Les visages du cinéma", préface de Jean-Paul Török, Xénia, 17 euros.

 

(2) Nicolas Bonnal, "Tolkien les univers d’un magicien", les belles lettres.

 

(3) Tolkien, "le Silmarillion", collection Pocket.

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