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National-bolchevisme et extrême-droite

 

National-bolchevisme et extrême-droite
Réponse à un étudiant en sciences politiques dans le cadre d’un mémoire

Quelles sont les relations entre “national-bolchevisme” et “extrême-droite”? Cette dernière a-t-elle le même programme social que les partis révolutionnaires?

Question difficile qui oblige à retourner à toute la littérature classique en ce domaine: Sauermann, Kabermann, Dupeux, Jean-Pierre Faye, Renata Fritsch-Bournazel, etc. En résumé, on peut dire que le rapprochement entre nationalistes (militaristes et conservateurs) et le parti communiste allemand en 1923, repose sur le contexte et les faits historiques suivants:

1. L'Allemagne est vaincue et doit payer d'énormes réparations à la France. Son économie est fragilisée, elle a perdu ses colonies, elle n'a pas d'espace pour déverser le trop-plein de sa population ou l'excédent de sa production industrielle, elle n'est pas autonome sur le plan alimentaire (perte de la Posnanie riche en blé au profit du nouvel Etat polonais) , ses structures sociales et industrielles sont ébranlées.

2. L'URSS communiste est mise au ban des nations, est boycottée par les Anglo-Saxons. Elle a du mal à décoller après la guerre civile qui a opposé les Blancs aux Rouges.

3. Par une alliance entre Allemands et Soviétiques, le Reich trouve des débouchés et des sources de matières premières (Sibérie, blé ukrainien, pétrole caucasien, etc. ) et l'URSS dispose d'un magasin de produits industriels finis.

4. Pour étayer cette alliance qui sera signée à Rapallo en 1922 par les ministres Rathenau et Tchitchérine, il faut édulcorer les différences idéologiques entre les deux Etats. Pour les Allemands, il s'agit de déconstruire l'idéologie anti-communiste qui pourrait être activée en Allemagne pour ruiner les acquis de Rapallo. Le communisme doit être rendu acceptable dans les médias allemands. Pour les Soviétiques, les Allemands deviennent des victimes de la rapacité capitaliste occidentale et du militarisme français.

5. Les cercles conservateurs autour d'Arthur Moeller van den Bruck élaborent la théorie suivante: Russie et Prusse ont été imbattables quand elles étaient alliées (comme en 1813 contre Napoléon) . Sous Bismarck, l'accord tacite qui unissait Allemands et Russes a donné la paix à l'Europe. L'Allemagne est restée neutre pendant la guerre de Crimée (mais a montré davantage de sympathies pour la Russie) . L'alliance germano-russe doit donc être un axiome intangible de la politique allemande. Le changement d'idéologie en Russie ne doit rien changer à ce principe. La Russie reste une masse territoriale inattaquable et un réservoir immense de matières premières dont l'Allemagne peut tirer profit. Moeller van den Bruck est le traducteur de Dostoïevski et tire les principaux arguments de sa russophilie pragmatique du “Journal d'un écrivain” de son auteur favori. Comprendre les mécanismes de l'alliance germano-russe et, partant, du rapprochement entre “bolchéviques” et “nationalistes”, implique de connaître les arguments de Dostoïevski dans “Journal d'un écrivain”.

6. Côté communiste, Karl Radek engage les pourparlers avec la diplomatie du Reich et avec l'armée (invitée à s'entraîner en Russie; cf. l'œuvre militaire du Général Hans von Seeckt; pour comprendre le point de vue soviétiques, cf. l'œuvre de l'historien anglais Carr) .

7. L'occupation franco-belge de la Ruhr empêche l'industrie rhénane de tourner à fond pour le Reich et, donc, par ricochet pour l'URSS, dont le seul allié de poids est le Reich, en dépit de ses faiblesses momentanées. Les communistes, nombreux dans cette région industrielle et bien organisés, participent dès lors aux grèves et aux boycotts contre la France. Le Lieutenant Schlageter qui a organisé des sabotages aux explosifs et des attentats est arrêté, condamné à mort et fusillé par les Français: il est un héros des nationalistes et des communistes dans la Ruhr et dans toute l'Allemagne (cf. les hommages que lui rendent Radek, Moeller van den Bruck et Heidegger) .

8. Allemands et Russes entendent soulever les peuples dominés dans les colonies françaises et anglaises contre leurs dominateurs. Dans le cadre du “national-bolchevisme”, on voit se développer un soutien aux Arabes, aux Indiens et aux Chinois. L'idéologie anti-colonialiste naît, de même qu'un certain anti-racisme (nonobstant la glorification de la germanité dans les rangs conservateurs et nationaux) .

9. Autre facteur dans le rapprochement germano-soviétique: la Pologne qu'Allemands et Russes jugent être instrumentalisée par la France contre Berlin et Moscou. En effet, en 1921, quand les Polonais envahissent l'URSS, à la suite d'une attaque soviétique, ils sont commandés par des généraux français et armés par la France. Dans les années 20 et 30, la France co-finance l'énorme budget militaire de la Pologne (jusqu'à 37% du PNB) .

10. L'idéal axiomatique d'une alliance germano-russe trouve son apogée dans les clauses du pacte germano-soviétique d'août 1939. Elles seront rendues nulles et non avenues en juin 1941, quand les armées de Hitler envahissent l'Union Soviétique.

11. Dans les nouvelles moutures de “national-bolchevisme”, après 1945, plusieurs facteurs entrent en ligne de compte:

a) Refuser la logique anti-soviétique des Américains pendant la guerre froide et surtout après l'accession de Reagan à la présidence à la suite des élections présidentielles de novembre 1980. Ce refus culmine lors de la vague pacifiste en Allemagne (1980-85) , où on ne veut pas de guerre nucléaire sur le sol européen. C'est aussi l'époque où les principaux idéologues du national-bolchevisme historique sont redécouverts, commentés et réédités (p. ex. Ernst Niekisch) .

b) Remettre sur pied une forme ou une autre d'alliance germano-soviétique (en Allemagne) ou euro-soviétique (ailleurs, notamment en Belgique avec Jean Thiriart) .

c) Créer un espace eurasiatique comme ersatz géopolitique de l'internationalisme (prolétarien ou autre) .

d) Montrer une préférence pour les idéologies martiales contre les idéologies marchandes, véhiculées par l'américanisme.

e) Chercher une alternative au libéralisme occidental et au soviétisme (jugé trop rigide: “panzercommunisme”, “capitalisme d'Etat”, règne des apparatchiks, etc. ) ;

f) La recherche de cette alternative conduit à se souvenir des dialogues entre “extrême-droite” et “extrême-gauche” d'avant 1914 en France. Dans cette optique, les travaux du Cercle Proudhon en 1911 où nationalistes maurrasiens et socialistes soréliens avaient confronté leurs points de vue, afin de lutter contre un “marais” politique parlementaire, incapable de résoudre rapidement les problèmes de la société française.

g) Ce “néo-national-bolchevisme” retient des années 20 et 30 une option anti-colonialiste ou anti-néo-colonialiste, amenant la plupart des cercles nationaux-révolutionnaires ou nationaux-bolcheviques à prendre fait et cause pour les Palestiniens, pour Khadafi, pour l'Iran, etc. et à partager avec les gauchistes le culte de personnalités comme le Che. De même, à appuyer les guerillas ethnistes en Europe (IRA, Basques, Corses, etc. ) .

La question du programme social est complexe, mais il ne faut pas oublier le contexte. La bourgeoisie allemande est ruinée, elle n'a plus d'intérêts immédiats et peut accepter des revendications sociales extrêmes. Le mark ne vaut plus rien, l'inflation atteint des proportions démesurées. Entre 1924 et 1929, quand la société allemande semble se normaliser, les clivages réapparaissent mais sont à nouveau balayés par le krach de 1929. N'oublions pas que l'Allemagne, contrairement aux Etats occidentaux, avait mis sur pied un système de sécurité social optimal, avec le concours de la social-démocratie, associée au pouvoir depuis Ferdinand Lassalle (chef de la sociale-démocratie à la fin du XIXième siècle) . La notion de justice sociale y est donc mieux partagée qu'en Occident. Droites et gauches rêvaient de concert de remettre en état de fonctionnement le système social wilhelminien. La plupart des débats oscillaient entre redistribution des revenus (des nationalistes aux sociaux-démocrates) et expropriation des biens privés (les ultras de la gauche communiste) .

Mai 1998. Robert Steuckers  http://www.voxnr.com

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