Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

Droitisation du peuple ou enfumage ?

Le Monde du 15 janvier titrait sur la défiance des Français envers la politique. S'agirait-il d'une « droitisation » du peuple ?

Des chiffres semblent donner raison à ce diagnostic. Un sondage réalisé par Opinionway du 5 au 20 décembre 2012 révèle une évolution de l’état d’esprit de la population. Il s’agit en effet de la quatrième enquête de ce genre.

Les résultats, pourtant, ne sont pas de ceux qui devraient surprendre un spectateur engagé de l’actualité. Qui pourrait espérer que l’on éprouve un surcroît de confiance dans une classe politique qui, même pour le Béotien le plus obtus, manifestement, se décarcasse pour des intérêts qui sont loin d’être nationaux ou populaires? Le vote en catimini du traité d’équilibre budgétaire européen, avec sa fameuse « règle d’or », l’affaire Florange, le coup de massue mensuel des chiffres du chômage, qui reste à un niveau élevé, les perspectives sombres de l’économie, les prestations médiocres des responsables politiques, à droite comme un gauche, tout semble démontrer par la pratique que le pays est mal gouverné et que l’on est embarqué dans quelque mauvaise galère. On sera même surpris que la « méfiance » ne soit que de 31% (27% en 2009), et la « morosité » seulement de 31% (26% en 2009).

Doit-on y percevoir un choix politique ? Dans un ordre voisin, l’abstention importante constatée lors des élections législatives ou des européennes suffit-elle à déterminer, dans le pays, un mouvement qui constituerait un danger pour le régime ?

Ne pas participer n’est pas s’opposer. La désaffection pour la chose publique présente plusieurs causes, conjoncturelles et plus profondes. La crise économique et sociétale actuelle en est une, mais aussi le repli vers la sphère privée, constatée dans les sociétés libérales prospères, et la désaffection civique, le sentiment d'indifférence généralisée, que remplacent les stratégies égoïstes ou narcissiques propres à la logique consumériste ou professionnelle. Cette tendance est perceptible par exemple dans le fait que 61 % des gens considèrent qu'ils ont le contrôle de leur propre vie (+ 3 points en trois ans), et qu’ils continuent à faire confiance à leurs proches. Le sentiment d’impuissance pour ce qui dépasse ce cadre intime prévaut quand non seulement l’on n’a plus de repères, que l’abandon des « grands récits » idéologiques, le discrédit jeté sur les programmes, quels qu’ils soient, la perte de mémoire historique ont vidé le politique de toute substance, mais quand on n’éprouve plus aucune volonté, l’action se révélant vaine face au mur de surdité érigé par « ceux d’en haut ». Le déni de démocratie manifesté par le rejet du référendum de 2005 sur le Traité constitutionnel européen, s’il n’est pas la raison suffisante du mépris pour la classe politique, l’a sans doute encouragé. 54% des sondés, en effet, pensent que la démocratie fonctionne mal.

Aussi tout se conjugue-t-il pour donner l’impression qu’une caste auto-reconduite, parfois héréditaire, hautaine, évoluant dans le monde doré des palais et des tours, s’adonne à des affaires qui ne concernent plus le peuple ni la nation. 83 % des Français estiment que les responsables politiques ne se préoccupent pas d'eux, et 85 % que leurs dirigeants ne tiennent pas compte de leur avis.

Dans le même temps, la perception que l’on a des décisions politique est brouillée par les effets d’annonce à répétition, dans une cataracte bruyante de coups spectaculaires, de messages de proximité, de mises en scènes, de mots calibrés et connotés, comme si l’on voulait apprivoiser une bête un peu stupide.

La colère rentrée, sournoise, le ressentiment, la mauvaise humeur, le désespoir même, aboutissent-ils à une expression politique claire et qui se sait ? C’est ce que suggérerait le terme « droitisation ».

Avant de s’interroger sur ce prétendu phénomène, il faut bien avouer que les apparences sont en sa faveur. L'exemple, emblématique, s’il en est, de la peine de mort est tout à fait significatif : entre décembre 2009 et octobre 2011, la part de Français qui se disaient favorables à son rétablissement était passée de 32 % à 35 %, et au cours de la seule année écoulée, elle a évolué de 35 % à 45 %. Même constat pour l’immigration : fin 2009, 49 % des électeurs pensaient qu'il y avait trop d'immigrés en France : ils sont 65 % aujourd'hui. L’ « intolérance » que les partisans de la « diversité » considèrent comme l’expression la plus marquante de la « bête immonde » du fascisme progresse apparemment. Le pourcentage de ceux qui acceptent une religion différente est passé de 73% à 68%. Quant au droit qu’auraient les couples homosexuels à se marier, il a chuté de 58% à 52%.

En revanche, sur le plan économique, les sondés sont plus nombreux à souhaiter plus de « libertés » pour les entreprises (on passe de 41% à 53%, quand ce pourcentage avait baissé de 43% à 41% de 2009 à 2011). L’hypothèse d’une réforme profonde du système capitaliste, logiquement, perd de sa séduction. Seuls 41% des sondés le souhaitent, quand ils étaient 49% en 2011.

Cette « droitisation » ressemble donc furieusement au système de valeurs défendu par ce qu’on nomme le libéralisme sécuritaire, incarné par exemple par les libertariens américains, et en général par l’aile droite du système qui règne actuellement en Occident et dans plusieurs pays qui s’en inspirent.

On remarquera cependant que les questions économiques sont assez générales pour recevoir l’assentiment d’une personne pressée par la propagande libérale omniprésente. Qu’aurait été sa réponse à une question relative aux délocalisations, à la protection de l’économie nationale par des taxes douanières adéquates (à condition qu’on n’emploie pas le terme « protectionnisme », qu’on a réussi à connoter négativement), ou bien à la déréglementation du droit du travail (au sujet de laquelle d’autres sondages montrent que les Français y sont hostiles), à la privatisation des systèmes de santé ou d’aide sociale etc. ?

Il semble que ce sondage très orienté évalue le degré d’endoctrinement des masses, plutôt qu’un raisonnement averti. Il en va ainsi, pour autant, de toute consultation d’une opinion malléable, soumise aux discours médiatisés, et terrorisée par le chantage apocalyptique actuel au sujet d’une crise qui devient un prétexte à des réformes libérales de fond.

Quant aux velléités d’une plus grande autorité dans les domaines sociétés relatifs aux mœurs ou à la sécurité publique, il est normal qu’une plus grande précarité de l’existence et que le laxisme idéologique des équipes au pouvoir renforcent les réflexes fermes.

Toutefois, on notera trois points :

D’abord, l’opinion a pour essence de fluctuer. Ce qu’une situation aiguise, une autre peut l’atténuer. Un engagement politique est différent, par la durée et la profondeur, d’un état d’âme temporaire. La seule conséquence qu’on peut tirer à propos de cette tendance, c’est qu’il donne ses chances au Front national et à la droite de l’UMP. Mais cela ne résoudra pas le problème de fond, qui est la dépolitisation de la société.

Par ailleurs, comme tout bon sondage, qui n’évalue qu’un jugement fondé souvent sur l’affectivité, des préjugés (des « jugements » formatés) ou un manque de rigueur flagrant, celui-là est pétri de contradictions. Non seulement parce qu’on dénie à l’Etat tout droit à s’immiscer dans le domaine économique, dans le même temps où on demande aux politiques d’agir pour le protéger (ce qui suppose des lois, des règlements, des dispositions sans doutes plus adaptées que le laisser faire entrepreneurial), mais la réalité, que les capitalistes, justement, profitent du système libéral pour exporter les entreprises, délocaliser, faire pression sur les salaires et la protection sociale (dénoncés comme coût intolérable du travail), enfin, pour faire tout ce que la logique mondialiste permet pour saper la cohésion nationale, cette réalité est complètement oubliée par les sondés.

Enfin, il est évident que l’étiquette « droite » est à prendre avec des pincettes. On le voit bien, au moment où la « gauche » mène une politique qui la « droite » ne désavouerait pas dans les faits (puisqu'elle l'a promue!).

Sans exposer longuement le sort de ce vocable, qui a subi bien des évolutions depuis la révolution française, on se contentera de rappeler qu’il n’existe plus qu’un parti, les « bleus », c’est-à-dire les libéraux partisans de l’économie de marché et de la mondialisation, et que la frontière qui les sépare n’est qu’un enfumage communicationnel portant sur des questions sociétales, comme le mariage homo, problèmes qui, au-delà d’une gesticulation farcesque, font en fait consensus au sein de l’oligarchie, qui ne semble se scinder que pour donner l’illusion qu’il existe encore une démocratie.

Claude Bourrinet http://www.voxnr.com

Les commentaires sont fermés.