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Tocqueville, les indiens et la destinée des hommes d’élite

Si le Noir symbolise pour Tocqueville la médiocrité de l’homme-masse de la modernité, l’Indien représente au contraire le modèle aristocratique, l’homme noble dirait le Yi King, celui qui va souffrir devant l’anéantissement des valeurs opéré par cette même modernité. Ces hommes braves ont pour la plupart disparu au cours des guerres dites mondiales. Ce qu’il en reste est rare, perdu dans des thébaïdes ou bien clochardisant sur les bancs (les clochards sont de plus en plus beaux).

Voici comment l’Amérique matérielle liquide ses Indiens, aux dires peu suspects dit-on du rédacteur de "La Démocratie en Amérique" :

« En affaiblissant parmi les Indiens de l’Amérique du Nord le sentiment de la patrie, en dispersant leurs familles, en obscurcissant leurs traditions, en interrompant la chaîne des souvenirs, en changeant toutes leurs habitudes, et en accroissant outre mesure leurs besoins, la tyrannie européenne les a rendus plus désordonnés et moins civilisés qu’ils n’étaient déjà. »

Travail famille, partis ! Et sous les huées encore ! Moins de la moitié des petits Français ont des parents aujourd’hui !

Tout contact avec le monde moderne est mauvais : nous sommes bien d’accord, comme Maistre, Bloy, Guénon, Nietzsche, Bernanos et quelques dizaines d’autres ! Les Indiens explique Tocqueville ont été détruits par l’habileté manufacturière, déjà dénoncée par Lao Tse il y a vingt-six siècles, habileté qui crée un cycle nouveau de consommations et d’aliénations :

« Les Européens ont introduit parmi les indigènes de l’Amérique du Nord les armes à feu, le fer et l’eau-de-vie ; ils leur ont appris à remplacer par nos tissus les vêtements barbares dont la simplicité indienne s’était jusque-là contentée, En contractant des goûts nouveaux, les Indiens n’ont pas appris l’art de les satisfaire, et il leur a fallu recourir à l’industrie des Blancs. »

La société de consommation détruit la société. C’est très bien expliqué par Flaubert ou Maupassant, Tolstoï ou bien Tchékhov. Les indiens eux vont se mettre à chasser plus le gibier qui n’a pas encore fui les blancs, et voici pourquoi :

« En retour de ces biens, que lui-même ne savait point créer, le sauvage ne pouvait rien offrir, sinon les riches fourrures que ses bois renfermaient encore. De ce moment, la chasse ne dut pas seulement pourvoir à ses besoins, mais encore aux passions frivoles de l’Europe. Il ne poursuivit plus les bêtes des forêts seulement pour se nourrir, mais afin de se procurer les seuls objets d’échange qu’il pût nous donner. Pendant que les besoins des indigènes s’accroissaient ainsi, leurs ressources ne cessaient de décroître. »

Voici comment d’une manière très étonnante et très émouvante, et qui rappelle encore Tolkien dont je reparlerai prochainement, voici comment Tocqueville décrit la disparition du gibier et donc des indiens. On est en 1830, mon bon John Wayne viendra après. Pour comprendre cette époque, voyez et revoyez la Captive aux yeux clairs de notre cher Howard Hawks.

« Du jour où un établissement européen se forme dans le voisinage du territoire occupé par les Indiens, le gibier prend l’alarme. Des milliers de sauvages, errant dans les forêts, sans demeures fixes, ne l’effrayaient point ; mais à l’instant où les bruits continus de l’industrie européenne se font entendre en quelque endroit, il commence à fuir et à se retirer vers l’ouest, où son instinct lui apprend qu’il rencontrera des déserts, encore sans bornes. "Les troupeaux de bisons se retirent sans cesse", disent MM. Cass et Clark... »

Le bruit chasse l’Esprit, le boucan chasse le monde. C’est aussi dans Tolkien : les Hobbits fuient le bruit.

Tocqueville enfin montre une sympathie bien droitière pour les tribus indiennes. Elles aussi sont aristocratiques, élitistes, guerrières, féodales !

« La chasse et la guerre lui semblent les seuls soins dignes d’un homme. L’Indien, au fond de la misère de ses bois, nourrit donc les mêmes idées, les mêmes opinions que le noble du Moyen Age dans son château fort, et il ne lui manque, pour achever de lui ressembler, que de devenir conquérant. »

Tocqueville toujours plus audacieux remonte dans le temps, se réclame même de Tacite et reconnaît aux Indiens des qualités germaniques ! Celles et ceux qui dénonçaient la barbarie allemande en 1916 n’étaient donc pas si éloignés de la réalité !

« Dans tout ce que nous nommons les institutions germaines, je suis donc tenté de ne voir que des habitudes de barbares, et des opinions de sauvages dans ce que nous appelons les idées féodales. »

Notre grand auteur montre bien la médiocrité de la vie moderne, si peu motivante, métro-boulot-dodo avant l’heure (relire les dix premières pages de "la Fille aux yeux d’or"), qui attend nos tribus aristocratiques :

« Après avoir mené une vie agitée, pleine de maux et de dangers, mais en même temps remplie d’émotions et de grandeur, il lui faut se soumettre à une existence monotone, obscure et dégradée. Gagner par de pénibles travaux et au milieu de l’ignominie le pain qui doit le nourrir, tel est à ses yeux l’unique résultat de cette civilisation qu’on lui vante.

Et ce résultat même, il n’est pas toujours sûr de l’obtenir. »

Deux cents ans après Tocqueville, la moitié de l’Europe jeune, studieuse et bien soumise se tape mille euros par mois ! Et ce n’est pas terminé !

Vient la fin, qui est fabuleuse : Tocqueville explique comment l’on extermine les peuples au nom des bons principes humanitaires, de la démocratie et puis bien sûr de la philanthropie ! Il n’avait pourtant pas vu la Syrie, quel génie !

Car rien ne vaut le droit pour en finir avec les hommes.

« La conduite des Américains des Etats-Unis envers les indigènes respire le plus pur amour des formes et de la légalité. Pourvu que les Indiens demeurent dans l’état sauvage, les Américains ne se mêlent nullement de leurs affaires et les traitent en peuples indépendants ; ils ne se permettent point d’occuper leurs terres sans les avoir dûment acquises au moyen d’un contrat ; et si par hasard une nation indienne ne peut plus vivre sur son territoire, ils la prennent fraternellement par la main et la conduisent eux-mêmes mourir hors du pays de ses pères. »

J’en termine avec la cerise sur le gâteau. Tocqueville compare la barbarie chrétienne des Espagnols, créatrice de civilisation hispano-américaine (déjà liquidée à son époque) et qui a recouvert l’Amérique du sud de chefs d’oeuvre architecturaux et de splendides cités coloniales, et le cynisme yankee si efficace. Voilà comment tout se termine. La civilisation humanitaire, ploutocratique et moraliste est la plus dangereuse pour le monde.

« Les Espagnols, à l’aide de monstruosités sans exemples, en se couvrant d’une honte ineffaçable, n’ont pu parvenir à exterminer la race indienne, ni même à l’empêcher de partager leurs droits ; les Américains des Etats-Unis ont atteint ce double résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philanthropiquement, sans répandre de sang, sans violer un seul des grands principes de la morale aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l’humanité. »

J’embrasse mon rival, mais c’est pour l’étouffer, disait déjà l’autre ! On comprend pourquoi on ne lit plus les classiques : ils empêchaient la destruction des hommes. Vive Tocqueville et vive les Indiens, décidément.

Nicolas Bonnal  http://www.france-courtoise.info

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