Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

RÉSISTANCES-1


Cher François,

Lundi dernier, tu nous as donné une leçon de français, et c’était bien sympathique de ta part. Tu nous as expliqué, et je cite en entier l’extrait sonore (et trébuchant, hein, avec ta diction) de France Info : « Les mots ont toujours un sens, il faut leur donner leur signification. Nul n’a le droit d’utiliser des mots pour défendre des idées, si on peut appeler ça des idées, d’aujourd’hui. Parce qu’il y a un sens qu’il faut toujours rappeler, de ces mots-là. Et là il y a eu hier des débordements, heureusement très minoritaires – et qui ne peuvent pas être identifiés ou confondus avec la manifestation elle-même – qui utilisent les mots de la seconde guerre mondiale, de la lutte contre le nazisme, à des fins qui n’ont plus rien à voir avec justement ce que ces mots ont signifié » (1). Voilà, c’est beau comme de l’antique et De Gaulle, Malraux, Jack Lang et Taubira ont dû être bien fiers de tes qualités d’orateur.

Si tu veux bien, Monsieur le Président, on va décortiquer un peu tout ça, parce que ce serait dommage de laisser perdre ce beau morceau sans en extraire tout le suc.

« Les mots ont toujours un sens »

Dit comme ça, ça ne paraît aller bien loin, mais tu nous enjoins de donner aux mots leur exacte signification. Je te ferai remarquer que ces temps-ci, c’est compliqué. Par exemple, tout le monde croyait que, depuis 2008 et la révision de la Constitution, le CESE pouvait être l’objet d’une saisine citoyenne par voie de pétition : ben non. Le CESE n’est pas compétent. Sur ce coup-là, c’était pas possible, et c’était très clair dans la tête de son président mais ça avait échappé à tout le monde. Comme quoi, les mots sont trompeurs. Cela dit, c’est facile de se tromper : Taubira croyait qu’elle pouvait demander au Conseil supérieur de la magistrature de se pencher sur le « mur des cons » (elle est garde des sceaux, c’est pas n’importe qui, elle en a dans le chou), eh ben, non plus. Le CSM n’est pas compétent (incroyable, le nombre de gens qui ne peuvent rien faire, il y a comme du blocage dans l’air). On ne va pas parler du mot “mariage”, parce que les débats te fatiguent, mais tu seras d’accord avec moi que ce mot qui paraissait simple s’est révélé d’une riche polysémie, limite pochette surprise. Mais le meilleur exemple, c’est le sénateur Michel : pas embarrassé par la logique et tout animé par la flamme du bon droit, il traite Frigide et Bongibault et la LMPT d’homophobes (« la pire des homophobies »), ce qui les a quand même un peu assis. L’argument était béton, en plus : vous êtes d’autant plus homophobes que vous prétendez ne pas l’être, et le simple fait que vous n’admettiez pas que j’ai raison prouve bien que vous avez tort. Ça faisait un peu stalinien, mais bon. Vaguement ulcérés, ils attaquent en diffamation. Le magistrat a estimé que les propos poursuivis, « si cinglants soient-ils, ne sont manifestement que la simple expression d’une opinion politique », relevant de la « liberté d’expression ». Pouf, ni vu ni connu. Donc, les mots ont un sens mais parfois c’est complexe à cause du contexte. Et je te propose, François, de bien garder en tête cette règle simple.

« Nul n’a le droit d’utiliser des mots pour défendre des idées, si on peut appeler ça des idées, d’aujourd’hui. »

Parce que le contexte, ça fait tout. Tout le monde mobilise la résistance. Tout le monde y a droit, d’ailleurs : les premiers à avoir résisté, qui allaient de l’extrême-droite à l’extrême-gauche en passant, surprise, par les gens honnêtes sans parti (appartenir à un parti n’est pas un gage de courage, tu sais) ; le Parti communiste, qui a attendu que les soviétiques lui en donnent l’autorisation ; les socialistes, qui préfèrent oublier la francisque de Mitterrand, le socialisme de Doriot et Déat et les ministres SFIO au gouvernement Pétain ; et les héritiers (plus ou moins légitimes) du gaullisme, comme Sarkozy. En fait, la résistance, c’est une affaire d’hommes autant que d’idées, hein : Anne Frank et Albert Camus, Guy Môquet et Maximilien Kolbe, Sophie et Hans Scholl… Et c’est aussi une figure rhétorique qui parle à tout le monde, en France. Et c’est pour ça que certains « utilisent les mots de la seconde guerre mondiale, de la lutte contre le nazisme, à des fins qui n’ont plus rien à voir avec justement ce que ces mots ont signifié. » Vincent Peillon (2), par exemple, le 6 juin 2007, sur LCI : « Moi, j’appelle à l’entrée en résistance. […] Il faut entrer en résistance et tous ceux qui veulent entrer en résistance sont bienvenus » (3). À l’époque, on ne t’a pas entendu protester contre cet emploi du mot « résistance ». Bayrou appelait à résister à Sarkozy, ton discours du Bourget, en 2012, était truffé de claires références à cette période, et les socialistes ne se sont pas privés de comparer Sarkozy à Hitler. Mais ça, c’était avant.

« Le fascisme, le nazisme, la dictature, c’est une époque qui heureusement est révolue »

Au fait, pourquoi veux-tu oublier la longue liste des Français qui ont résisté avant 1945 ? Le PS a fait main basse sur le dico et veut réécrire l’histoire avec ses concepts estampillés Élysée checked ? Car enfin, « résister » signifie « se rebeller, refuser de se soumettre à une autorité » depuis 1370. On n’a pas attendu les nazis pour résister, en France (et visiblement, à l’époque, on a eu raison de ne pas attendre les socialistes) : les jacqueries, c’est plus vieux que l’Orangina. Et puis, pourquoi s’arrêter à 45 ? Comment voudrais-tu appeler les résistants tibétains, aujourd’hui (même si tu as été discret sur les droits de l’homme quand tu as visité les Chinois), ou ceux qui ont renversé Khadafi hier ? Et comment faudrait-il renommer ceux qui ont lutté contre le communisme, les résistants hongrois, polonais, tchèques ? Ce n’étaient pas de vraies dictatures, ce n’étaient pas de vrais résistants ? Rassure-moi, Solidarnosc et le père Jerzy Popieluszko, c’était de la résistance ? Vaclav Havel, c’était un résistant ? Pour tous ces Européens qui ont connu la guerre mondiale, crois-tu qu’ils avaient l’impression d’abuser en se prétendant résistants, et penses-tu qu’ils n’ont pas lutté pour les libertés, la justice, la paix et l’égalité – ces leçons que tu tires de la résistance française (4) ? Là, tu essayes tranquillement (enfin, à coups de triques et à jets de gaz, le dico dans une main et les menottes dans l’autre) de nous imposer ta novlangue, avec la précision pédante d’un pion. Tous les bons mots, justice, paix, égalité, résistance, indignation, ça désigne ce que tu fais, ce que tu penses, ce que tu imposes : tu dresses les Français les uns contre les autres, en permanence, mais tu apportes la paix ; les manifestants sont traités d’une façon indigne, des juges justifient les propos de Michel ou instrumentalisent leur fonction à des fins partisanes, mais tu apportes la justice ; certains sont plus citoyens que d’autres mais tu apportes l’égalité. Et ceux qui ne sont pas d’accord, ce sont des malades, qu’il faut faire soigner comme le souhaite Bergé, ou des crétins, comme tu le suggères si gentiment (« si on peut appeler ça des idées »). Comme tu es le parti du bien, on ne peut pas « résister » contre toi, on a juste le droit d’être des opposants, ou des factieux, comme dirait Valls. Bientôt, on va être des dissidents, comme au bon vieux temps de l’URSS, des gens qui se sont malheureusement retranchés de ta grande fête populaire permanente.

« L’esprit de résistance est de croire toujours en l’avenir »

Président, comme tu n’es pas le quart d’un sot, je voudrais quand même te dire ma gratitude. Comme tu aimes bien ratisser large, avec ce vieux goût des synthèses molles qui permettent aux militants de digérer l’abandon des idées fortes, tu as quand même dit de jolies choses le 27 mai (aux enfants, pas aux journalistes). Et comme personne n’est propriétaire d’un mot et d’un sens (et pas plus toi que n’importe qui), je voudrais te remercier pour ce joli programme de résistance que tu nous offres. Tu as parlé des femmes et des hommes jeunes et anonymes « qui s’engageaient pour une cause qui leur paraissait plus haute que toutes les autres, qui dépassait même le sens de leur propre vie et qui était la liberté – la liberté pour eux-mêmes, la liberté pour leur pays » : c’est nous. Tu as dit « nous sommes ici, à la fois convaincus de leur combat et, en même temps, obligés par leur combat » : c’est exactement ça. Tu as souligné que « Il y avait des sensibilités différentes parmi ces résistants. Comme il y a encore des sensibilités différentes aujourd’hui. Mais ce qui leur est apparu encore plus fort que leurs différences, c’était l’exigence de l’unité » : tu as bien décrit le Printemps français. Tu as gravement remarqué que « la liberté est notre bien le plus précieux. La liberté n’est pas figée, la liberté n’est pas un acquis pour toujours, la liberté évolue car il y a des droits nouveaux à conquérir. Cela fait partie du débat, parfois même du combat dans la République » : merci, nous savons désormais que ce ne sera pas simple et que c’est bien un combat qui s’est engagé, après un prétendu débat. Et en plus, tu nous as rappelé qu’aucun combat n’est désespéré : « La troisième leçon de l’esprit de la Résistance, c’est de croire toujours en l’avenir. Bien sûr, il y a des doutes, bien sûr le présent peut être difficile, bien sûr que le passé peut parfois terrifier. Mais nous devons toujours avoir ce sentiment que demain peut être meilleur qu’aujourd’hui. » C’est exactement notre conviction. Nous allons donc continuer à résister, avec nos idées et avec le souvenir de tous nos prédécesseurs, car c’est notre droit, et c’est même notre devoir.

1. http://www.franceinfo.fr/politique/francois-hollande-et-la-resistance-au-mariage-pour-tous-les-mots-ont-un-s-1003363-2013-05-27. Personnellement, j’aime bien que ce soient les débordements minoritaires qui utilisent les mots. On a l’impression de lire les frères Goncourt.

2. Tu sais, Vincent Peillon, celui qui a dit au JDD le 1er septembre 2012 : « Pour donner la liberté du choix, il faut être capable d’arracher l’élève à tous les déterminismes, familial, ethnique, social, intellectuel, pour après faire un choix. » On avait l’impression que Taubira le citait quand elle a déclaré en février 2013 qu’elle voulait « arracher les enfants au déterminisme de la religion ». Ils sont dans ton gouvernement, et s’ils donnent aux mots leur signification exacte, on est mal, non ?

3. http://tempsreel.nouvelobs.com/elections-2007/20070606.OBS0469/ps-peillon-appelle-a-entrer-en-resistance.html

4. http://www.elysee.fr/chronologie/#e3482,2013-05-27,rencontre-avec-des-etudiants-au-lycee-buffon. Mieux vaut écouter la vidéo, c’est plus enthousiasmant parce que tu sais déchaîner les foules – et les petites fautes ajoutent du charme.

http://fr.altermedia.info/

Les commentaires sont fermés.