Celle de qui naquit la France Sainte Clotilde manquait dans l’excellente collection Histoire des Reines de France publiée par les éditions Pygmalion. Voici qu’Anne Bernet vient de combler cette lacune et c’est avec enthousiasme qu’ayant à peine fermé son Charette, nous retrouvons sa plume élégante, incisive et si juste, cette fois au service de la première de nos reines, celle de qui naquit la France chrétienne, Clotilde, épouse de Clovis.
Cette seconde partie du Ve siècle sombrait dans la tragédie et dans le sang. Plus rien ne semblait devoir subsister de ce qui fut le beau pays chrétien des Gallo-Romains. Contrastant avec ces visions d’apocalypse, quelques rares foyers despérance chrétienne ne semblaient guère devoir subsister, mais cest pourtant sur eux qu’Anne Bernet, dès les premières pages, attire lattention du lecteur. Deux petites filles, Chroma, six ans, et Clotilde, quatre ans, nièces du terrible roi des Burgondes Gondebaud, qui venait de massacrer leur père le roi Chilpéric et son épouse, étaient alors envoyées, pour s’y faire oublier, dans un couvent de Lyon. Mais c’étaient de belles âmes, et lévêque de Vienne, Avitus, lui, ne comptait point les oublier...
La nouvelle Esther
Preuve que l’histoire est dans les mains de Dieu plus que dans celles des hommes... Car défile alors la désespérante succession des malheurs des temps : le déferlement des invasions, l’installation des Barbares sur le territoire gaulois : les Burgondes sur la Saône et le Rhône, et les Wisigoths occupant dans le sud-ouest les trois quarts de la Gaule, l’effritement du dernier bastion de l’empire chrétien doccident, entre Seine et Loire, d’où le valeureux Ætius avait en 451 ligué toutes les forces contre les Huns, avant de se faire occire en 454 par l’empereur Valentinien, lui-même assassiné à son tour en 455..., l’agonie dérisoire de lempire qui s’écroula pour de bon vingt ans plus tard (476), le poison de larianisme venu empester les royaumes wisigoths et burgondes, semant lhérésie et la persécution des chrétiens... Sous le signe de la haine du Christ vrai Dieu et vrai Homme, un grand empire gothique sous l’autorité de Théodoric, roi des Ostrogoths, régnant en Italie, risquait de sétendre de chaque côté des Alpes.
Dans cette apparente éclipse, de grands évêques veillaient. Entre Avitus, à Vienne, et Remi, à Reims, l’accord était parfait : l’Église devait aller chercher son défenseur chez... les païens, quau moins l’hérésie navait pas gagnés ! Beaucoup étaient fascinés par lhéritage romain : en former un, l’amener à mettre, ne serait-ce que par calcul politique, son glaive au service de la paix et de l’unité retrouvée de la Gaule si allègrement chrétienne cent ans plus tôt était possible. Pour ce faire, un moyen : donner pour épouse à ce prince une jeune chrétienne qui le préparerait à la conversion...
Remi avait le prince en la personne du jeune roi des Francs, Clovis, qui régnait de Tournai à Soissons et qui, comme son père Childéric, avait la confiance des chrétiens et simposait de plus en plus comme le véritable continuateur de la pax romana dans le nord de la Gaule.
Avitus avait la princesse en la personne de Clotilde qui, ayant grandi, était prête à sortir de son couvent pour entrer dans le monde qu’elle savait cruel, mais qu’elle vibrait de conduire à Dieu. Être auprès de Clovis une « nouvelle Esther » ne pouvait lui faire peur, n’en déplaise à loncle Gondebaud !
Le Dieu de Clotilde
Il fallait évidemment une foi à déplacer les montagnes pour mener à bien un tel projet. Les noces eurent lieu à Soissons en grande pompe, mais tout restait à faire... car Clovis, pour qui Anne Bernet a les yeux de Clotilde, sil fut aussitôt sous le charme de son épouse, nétait point lhomme à se faire manipuler par une femme. Son âme dune seule pièce, son sens éminent de lhonneur et de la fidélité, son courage extraordinaire, son respect de la parole donnée... il avait mis tous ces biens au service de ses dieux païens. La miséricorde, la pitié, le pardon, et plus encore lidée dun Dieu subissant les outrages de la passion, lui étaient totalement étrangers...
Et pourtant, Clotilde, par son exemple plus encore que par des paroles, fit fléchir sans jamais lhumilier cette âme obstinée. Les calculs politiques s’entrecroisaient : d’un côté la peur de perdre la confiance de ses guerriers ou de passer pour faible auprès des autres rois barbares, de l’autre la perspective de pouvoir entrer dans Paris que sainte Geneviève refuserait toujours de livrer à un païen, et surtout de refaire au profit de sa famille l’unité de la Gaule...
Les pages où Anne Bernet décrit cette lente et périlleuse montée vers la conversion, avec l’épreuve de la mort de leur premier enfant quil avait accepté de laisser baptiser, l’alternance entre les colères et les élans de candeur du roi barbare, sont dune grande intensité dramatique et plongent au fond du mystère d’une âme touchée par Dieu.
Passées la victoire de Tolbiac où « le Dieu de Clotilde » vint comme donner un coup de pouce à la conversion, puis la sublime nuit de Noël 496, jour de naissance de la France, où Reims resplendit de mille feux, les années n’allaient pas être douces pour la reine.
D’abord le roi baptisé et conquérant restait, tout en faisant rayonner la Croix, un roi aux murs encore barbares, lancé dans des guerres cruelles et plongé dans un système monarchique qui faisait du massacre d’une partie de la famille la condition de l’unité de la succession.
Cœur de femme, devoirs de reine
Le pire survint après la mort de Clovis quand elle aurait tant voulu retrouver à Tours la solitude et la méditation, mais que ses propres fils se comportèrent à leur tour en monstres. Il lui fallut redevenir la souveraine obligée de défendre sa famille dans des situations où son cœuf de femme allait être brisé par ses devoirs de reine. Redoutant, comme feu son époux, le déshonneur plus que tout, elle ne sut empêcher ses deux plus jeunes fils, Childebert et Clotaire, de mettre à mort (pour supprimer des concurrents) les enfants orphelins de leur aîné Clodomir : Théodoald et Gonthier, ses chers petits-enfants. Elle se laissa même aller à dire qu’elle les préférait voir « morts que tondus ». La chevelure était en effet chez les Mérovingiens signe de race royale ; la perdre était le déshonneur le plus vil. Ajoutons que le troisième petit-fils fut sauvé et devint saint Cloud.
Ravagée de chagrin, se repentant de sêtre laissé gagner par les réalités trop immorales de ce monde, ne pouvant plus compter sur le conseil des grands évêques disparus, Clotilde navait plus quà tenter par la prière et lexpiation de changer ce monde si mauvais. Elle finit ses jours à Tours le 3 juin 545, entourée de toute la dévotion des Tourangeaux, après avoir obtenu du brutal Clotaire (qui ayant liquidé Childebert, était enfin seul roi...) qu’il laissât entrer au couvent l’épouse qu’il tourmentait et qui allait devenir sainte Radegonde...
Le livre d’Anne Bernet n’est en rien une hagiographie. Il est beaucoup mieux : alimentée aux sources les plus sûres des connaissances historiques, la vie tumultueuse de cette sainte n’a pas besoin dêtre embellie pour que le lecteur sache qu’au temps de la difficile sortie de la barbarie, Clotilde a sauvé la Gaule et changé la face de l’Europe. Tant pis pour les laïcistes : nous lui devons d’être chrétiens.
Michel FROMENTOUX L’Action Française 2000 du 19 janvier au 1er février 2006
* Anne Bernet : Clotilde, épouse de Clovis. Éd. Pygmalion, 308 pages, 21 euros. Disponible à nos locaux.