Ange du bizarre pour Poe, le Germain est devenu un objet de répulsion dans la pensée des Européens modernes. Il fut une horreur à abattre coûte que coûte et peu s’en est fallu que ce peuple ne soir tout bonnement liquidé en 1945.
Je découvre avec horreur et retard l’horrible sort des prisonniers allemands à la fin de la deuxième guerre mondiale : quatre millions de condamnés à mourir de faim, de dysenterie et même de soif dans des camps de concentration démocratiques, y compris français d’ailleurs. C’est le Figaro qui à l’époque avait eu le courage par la plume du journaliste Paul Bromberger de dénoncer cette infamie ; car les Américains avaient même prêté des femmes et des enfants aux gardiens de camp français qui leur avaient commandé des esclaves de travail pour se dédommager des dégâts de la Guerre et de l’Occupation. On tenait là une belle revanche, digne de la tradition républicaine qui traita aussi biens ses coloniaux que ses cathos ! De Gaulle avait dû se taire, soi-disant pour se ménager les bonnes grâces de l’administration américaine et de l’immonde Truman qui donna en même temps la Chine aux communistes, avec les millions de morts qui allaient suivre. Je reviendrai sur cette drôle de paix et d’époque qui ne font que me confirmer le trait de Soljenitsyne : les êtres humains dans leur plus grande part ne savent pas s’ils sont vivants.
Mais j’en reviens à l’Allemagne, pays devenu au vingtième siècle du fait de son militarisme prussien, de son paganisme préhistorique et son orgueil nationaliste le symbole de l’horreur moderne. Et je passe par Léon Bloy qui dans son "Journal" (tome : "au Seuil de l’Apocalypse") dénonce l’horreur du comportement allemand :
« Tout le monde croit au succès de cette horrible guerre, à l’anéantissement de l’empire germanique. Les Allemands, d’ailleurs, se conduisent avec une barbarie atroce. Pillage, incendie, viol, massacre des femmes et des enfants, tuerie des blessés. Leur guerre a un aspect diabolique. On finira par ne plus faire de prisonniers. Jamais un peuple ne s’était montré aussi haineux et n’avait autant excité l’exécration universelle. »
On est seulement en octobre 1914. Les Allemands ont du souci à se faire car le monde entier ou presque les déteste et célèbre la victoire de la Marne, dont je me demande rétrospectivement si elle a été une bonne affaire pour la France et pour l’humanité.
Bloy établit un parallèle d’ailleurs inquiétant, prémonitoire et lourd de significations entre les Juifs et les Allemands :
« Oui, l’Allemagne est au-dessus de tout et par les incomparables qualités de la race germanique et par une prédestination divine, assez semblable à celle du peuple hébraïque dans l’Ancien Testament. »
Puis il cite un abbé qui considère dès 1914 les Allemands comme Roosevelt, Staline ou Morgenthau, reconnus pourtant pour leur sévérité en la matière (je ne parle pas de Churchill et des bombardements de Dresde et du reste)...
« 12. - "Si on épargne l’empire allemand", écrit l’abbé Wetterlé, "si on lui accorde une paix honorable après sa défaite, tout sera, dans dix ans, à recommencer. Ces gens-là ne renonceront jamais à leur rêve de domination universelle, à moins qu’on ne paralyse définitivement leur action. Ce sont d’incurables mégalomanes, les maniaques de la force brutale, les virtuoses de la barbarie. Le monde ne retrouvera la paix que le jour où la Prusse n’existera plus ou sera redevenue la pauvre et impuissante principauté de Brandebourg." »
On comprend que dans ce cas de figure on désire en finir une fois pour toutes, physiquement et globalement, avec un peuple aussi déroutant (c’est le peuple de Bach, Goethe et de Beethoven tout de même) et épouvantable :
« Continuation des atrocités allemandes. On assassine et on torture les blessés et les prisonniers.
Un paysan furieux disait, ce matin, qu’il faudrait égorger tous les prisonniers allemands.
Je pense que, sans en venir à une telle extrémité, il conviendrait de massacrer tous les officiers qu’on pourrait prendre, les faisant responsables des horreurs commises par leurs hommes. »
Dès le début de la guerre, les Allemands sont passés (je ne dis pas : à tort ou à raison) pour des Huns, des tueurs, des barbares. On n’a même pas attendu Bernays et la propagande de masse pour dénoncer les horreurs germaniques. Léon Bloy manie l’humour noir à propos des pillages qui annoncent les shoppings estivaux de Goering :
« Le chef d’oeuvre de la célèbre organisation allemande paraît être celle du pillage. Quand les derniers Allemands non encore exterminés auront quitté la Belgique, on se demande ce qui restera de ce malheureux pays. Les Germains sont d’extraordinaires déménageurs. »
Bloy s’en prend même au pape Benoît coupable selon lui de ne pas assez réagir en jetant l’interdit sur la catholique Autriche. Mais qu’avaient à faire du pape la maçonne France, la protestante Angleterre, la tzariste puis bolchévique Russie, enfin la maçonne Italie ? On sait que Rome sera très proche (deux ans plus tard) de l’héritier pacifiste au trône d’Autriche. Mais les alliés ne veulent pas la paix, ils ne veulent que la destruction de l’Allemagne, écrit Ludendorff dans son passionnant journal de guerre :
« Vous voyez enfin et surtout Benoît XV se déclarant neutre pendant qu’on massacre ses enfants par centaines de mille et croyant à la politique, sans avoir même la pensée d’user des armes redoutables qu’il possède !
Vu Léon Bonhomme. Il vit à Saint-Denis, dans un milieu fort hostile à la religion. Il m’a parlé de Benoît XV dont la conduite obscure et timide scandalise tant de chrétiens. Il a été témoin, dans son entourage, du triomphe des impies disant : "Le voilà, votre pape ! Il est neutre, c’est-à-dire avec le plus fort." Que répondre à ces misérables ? Je crois que le démon ne pourrait pas susciter un hérésiarque aussi funeste que ce pontife. »
Si Pie XII ne dit pas grand-chose sur la shoah, il fut aussi silencieux sur le sort des prisonniers allemands. En cas de culot avéré, il aurait été balayé ; car combien de divisions a-t-il ?, demandait le tyran rouge, pendant que les avionneurs anglo-saxons bombardaient froidement le mont Cassin.
Anticipant le démembrement de l’Allemagne et le supplice physique de sa population déjà emmenée sur la voie du déshonneur et du crime par Hitler, Bloy poursuit avec inspiration :
« L’Allemagne réduite au désespoir, ce sera ce que j’ai nommé la guerre intégrale, c’est-à-dire d’extermination. On a peine à concevoir une telle horreur. »
Et comme s’il anticipait le morcellement du pays et le déplacement de quatorze millions d’allemands en 1945 - dont cinq de Pologne -, déplacement qui se soldera par plus de deux millions de morts (chiffres officiels), Bloy décrit avec délectation la punition du monstre :
« Pourtant, cette parfaite abomination serait-elle autre chose qu’un lever de rideau ? Il me semble que le vrai drame apocalyptique se précisera ainsi : Le monstre allemand définitivement abattu et tous les peuples se précipitant à la curée, chacun voulant avoir le plus gros morceau de la charogne. »
Bloy (il mourra en 1917) est dominé sur la fin de sa vie par son fanatisme apocalyptique et sa croyance aux signes. C’est sa force littéraire (voir sa fameuse "Ame de Napoléon", aussi géniale stylistiquement que creuse philosophiquement), c’est bien sûr sa faiblesse ontologique (cette faiblesse pour l’Apocalypse, Bonald en a très bien parlé). Il voudrait une révélation que les temps lui refusent, ces Temps qui sont ceux d’une Fin de l’Histoire qui n’a plus rien de chrétien.
« On aurait eu, au moins l’illusion d’un renouveau de la Vie surnaturelle et les conséquences auraient pu être infinies. Mais nous sommes loin des Grégoire et des Innocent.
Toute grandeur est exilée au fond de l’Histoire et si Dieu veut agir manifestement, il faudra bien qu’il agisse de Lui-même victorieusement comme il y a deux mille ans, lorsqu’il ressuscita d’entre les morts.
J’attends les Cosaques et le Saint-Esprit. »
C’est beau, c’est même grandiose. C’est en 1915. On a eu à la place les bolcheviques et le Traité de Versailles. Et Bloy est mort avant. C’est ça les prédictions. C’est comme Fatima et la conversion de la Russie...
« History, Stephen said, is a nightmare from which I am trying to awake. »
C’est dans Joyce. C’est aussi de 1915 : l’histoire comme cauchemar dont on tente de s’éveiller.
Nicolas Bonnal http://www.france-courtoise.info