Le casse-tête juridique suscité par un transexuel allemand qui a donné naissance à un enfant
La bataille judiciaire de ce père, entamée à Berlin en avril, risque d’être longue. Elle donne des sueurs froides aux élus français qui travaillent sur le sujet.
« Voilà qui ne va pas nous simplifier la tâche ! », soupire Maryvonne Blondin. Avec sa collègue Michèle Meunier, la sénatrice socialiste dirige un groupe de travail sur l’identité de genre. « Nous réfléchissons depuis quelques mois à une loi qui faciliterait le changement d’état civil pour les transexuels, explique-t-elle. Comme en Argentine, en Allemagne ou en Espagne, il s’agirait de permettre à ces personnes d’obtenir de nouveaux papiers, correspondant à leur physique, sans avoir à se soumettre à une opération chirurgicale ».
Mais au fil de leurs auditions, les sénateurs découvrent les difficultés du dossier... Ainsi, ce casse-tête qui tourmente les services de l’état civil de Berlin. Début 2013, selon une note interne datant d’avril, révélée par l’hebdomadaire allemand Der Spiegel, « un homme a donné naissance à un enfant ». Il s’agissait en réalité d’un transexuel : né femme, doté d’un appareil génital féminin, il se définit cependant comme homme et, après avoir suivi un traitement hormonal durant des années, s’était fait enregistrer comme tel à l’état civil de sa mairie. « Il a clairement l’apparence d’un homme, témoigne Anja Kopfinger, une élue écologiste. Il porte un bouc et n’a pas de seins ».
Des « hommes enceints » et des « pères-femmes »
Là où l’affaire se corse, c’est que malgré sa grossesse -obtenue après une insémination-, l’homme ne veut absolument pas être considéré comme la mère du bébé, mais comme son père. Pour éviter d’avoir à mentionner le nom de la mère sur des documents, il n’a pas accouché à l’hôpital mais chez lui, avec l’aide d’une sage-femme.
Le sexe du bébé est d’ailleurs tout aussi incertain… Le père aurait souhaité qu’il ne soit pas mentionné sur les registres de l’état civil. L’administration s’y est opposée. L’enfant aurait donc, semble-t-il, été inscrit comme étant de sexe masculin. Mais le Spiegel se permet d’en douter : personne n’a pu vérifier.
Selon la presse allemande, la bataille judiciaire de ce père, entamée en avril, risque d’être longue : il veut que sur aucun document, la case « mère » ne soit remplie. « Que va-t-il se passer quand l’enfant s’apercevra que son père est en fait sa mère biologique ? », s’émeuvent certain élus locaux. « L’Allemagne va devoir s’organiser, prévient Andrea Budzinski, présidente de l’Association pour la transidentité et l’intersexualité. Il va y avoir des hommes enceints et des “Väterinnen” (néologisme qui pourrait se traduire par “pères-femmes”). Un jour ça deviendra banal ».
Depuis 2011, les transexuels allemands n’ont plus besoin de se soumettre à une opération chirurgicale - et donc à une stérilisation - pour obtenir un changement de sexe officiel. Le nombre de demandes a ainsi augmenté : alors qu’en 1995, on avait dénombré 400 changements de sexe, en 2012, on a enregistré 1277 cas.
Un « passage en force » du gouvernement ?
Est-ce que cela « deviendra banal », un jour, en France aussi ? « On n’en est pas là du tout !, assure Maryvonne Blondin. Nous avons auditionné plusieurs transexuels ; ils avaient déjà eu des enfants, avant leur traitement. » Le député UMP Xavier Breton s’inquiète, pour sa part, d’un « passage en force » du gouvernement sur le sujet. Il vient d’adresser une question écrite à la ministre de la Justice, Christiane Taubira. Demandant si le gouvernement entend reprendre une proposition de loi de la gauche déposée fin 2011, visant « à la simplification de la procédure de changement de la mention du sexe dans l’état civil ». « On se rend compte que ce n’est pas du tout des fantasmes !, s’émeut-il. Il faut que le gouvernement sente qu’il y aurait une mobilisation très forte contre tout projet de ce type ».
La Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) avait recommandé fin juin, dans un avis, d’introduire la notion d’« identité de genre » dans le droit français et avancé des propositions pour faciliter le changement d’état civil des personnes transexuelles. Dans la procédure française, des certificats médicaux doivent être produits devant le juge, pour attester notamment de la stérilisation, voire de la réassignation sexuelle de la personne. La CNCDH demande notamment que la procédure judiciaire soit déconnectée de la procédure médicale. C’est aussi ce que souhaitent les deux sénatrices socialistes.