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La bibliothèque d’Anne Brassié (arch 1987)

Professeur de lettres, puis attachée de presse dans l’édition. Aujourd’hui lectrice chez un éditeur de livres de poche et journaliste littéraire à la radio. Auteur de la biographie Robert Brasillach, ou encore un instant de bonheur (Éd Laffont)
Ouvrir sa bibliothèque à un ami, c'est lui raconter toute sa vie. Qui vous invite à lire ? Vos parents, vos maîtres en classe et, plus tard dans la vie professionnelle, vos amis. Très petite fille, je me nourrissais de contes et légendes du monde entier. Je m'évadais ainsi et voyageais jusqu'en Chine, sans déranger personne. Mes premières découvertes s'imposèrent : habillés différemment, les mêmes mythes se retrouvaient aux deux extrémités de la terre, les mêmes souffrances humaines, les mêmes rêves de pouvoir et de richesse et les mêmes chemins vers la sagesse. Ne riez donc plus des petites filles en nattes plongées dans leurs contes ! Elles y apprennent la vie.
Dans le bureau de mon père, un magnifique buste de Dante regardait une immense bibliothèque. Sur ses rayons, tous les Balzac recouverts de cuir rouge et de lettres d'or et tous les livres qu'il avait aimés pendant ses études, Gide et Giraudoux, Anouilh et Selma Lagerlöf, Berling. Je me souviens aussi d'un grand livre de photos sur les temples grecs en Sicile qui faisait revivre pour moi toute la Grèce antique.
Un trésor : Victor Hugo
Puis j'eus la chance de rencontrer de merveilleux professeurs de français qui jouaient plus qu'ils ne lisaient chaque scène de Corneille ou de Racine. Je pleurais avec Chimène et Esther, je hurlais avec Camille. Et je restais impressionnée à jamais par ces aspirations vers le devoir patriotique ou la sainteté. J'admirais ces princes idéals comme Auguste dans Cinna qui a tout appris des complots fomentés contre lui, mais veut tout pardonner. Et j'apprenais ce qu’était l'homme avec Montesquieu, ses Persans, et sa théorie de la relativité : « Vérité dans un temps, erreur dans un autre ». L'Iliade et l'Odyssée firent de la Méditerranée un lieu mythique qui le restera pour moi. Les textes latins me donnent en exemple la vertu civique romaine et ses accrocs et me montrent évolutions d'une République vers l'Empire. L'Anglais me donne Shakespeare. Et nous récitions avec ferveur Péguy, Nerval et Baudelaire.
Passionnée de littérature, je décidai de continuer à vivre avec les écrivains et d'enseigner. Je vivrai pauvre, mais intensément. La faculté de lettres de Nanterre ne remplit pas son office. Dans cet endroit démesuré, sale et haineux ( c’était en 66, 67 et 68), je ne trouvai qu'un seul trésor, Victor Hugo ; heureusement, il était de taille, avec Les Travailleurs de la mer ! Et un seul professeur animé par la passion des lettres et acceptant de diriger un travail sur le style de Robert Brasillach dans « Comme le temps passe ». Un ami m'avait donné ce livre, j'en avais bu chaque ligne avec bonheur et je voulais faire durer ce bonheur.
En enseignant, je retransmis les richesses que l'on m'avait données en en ajoutant d'autres avec mes élèves en France et en Afrique. Je goûtais là-bas une autre écriture et une autre poésie, profonde et envoûtante.
Quittant l'enseignement pour l'édition, je plongeai dans la littérature contemporaine française et étrangère. Et je découvre d'immenses auteurs, le Japonais Kawabata, l'Albanais Kadaré, le juif Singer, le Suédois Knut Hansum, l'Américain John Irving. Ma bibliothèque se remplit de livres d'auteurs vivants. Je fais de la place sur mes rayons pour la belle et profonde écriture d'Yves Navarre, l'étrange Bernard Da Costa, Julien Green, Pierre Jean Rémy. Des romancières aussi ressuscitant le passé en de magnifiques fresques historiques, Janine Montupet et Sylvie Dervin.
De bienheureuses circonstances m'introduisirent dans le Saint des saints de la littérature : Le Livre de Poche, le premier de tous, celui de notre enfance. Et là, je travaillais - mais était-ce un travail ? sur les œuvres complètes de Balzac, de Zola, de Stendhal, de tous ces grands monstres par la grandeur et le pouvoir de leur œuvre. Je dévore les merveilleuses lettres de Diderot à Sophie Volland, un Tolstoï peu connu, Résurrection, un Jules Vallès, révolté, avec quelques raisons de l'être, un Restif de la Bretonne, une George Sand non plus seulement l'auteur de romans champêtres mais aussi l'éducatrice féministe dans ce merveilleux livre, Mauprat, l'idéaliste politique et la femme de théâtre. Une Virginia Woolf gaie et fantaisiste dans Orlando, une Colette acide et amoureuse, un Montherlant, colosse aux pieds d'argile, une Yourcenar savante et raffinée. Un Chateaubriand immense dans les Mémoires d'Outre-Tombe, qui a connu tous les régimes politiques et toutes les fortunes, de l'exil aux postes les plus élevés.
Brasillach enfin a considérablement enrichi ma bibliothèque. Quand Pierre Sipriot, avec son sens infaillible des trésors littéraires, choisit le poète écrivain dans sa collection de biographies, entre Montherlant, Claudel et Alain, quand il me choisit pour l'écrire, j'entrai plus avant dans l'ancien monde, celui des siècles passés et découvris le nouveau, celui du 20e siècle. Une chambre à moi, comme disait Virginia Woolf, devint nécessaire pour accueillir tous ces auteurs. Brasillach m'a rendu proche des amis lointains : Virgile et Corneille, en racontant intimement leurs conflits et leurs détresses. Il me donna un autre visage de Péguy et de Bernanos. Je les connaissais priant et les retrouvais tonnant, eux aussi, contre toutes les injustices et tous les conformismes, à la recherche d'une mystique de la politique au-dessus de toute classe ou de parti. Brasillach m'entraîna dans son admiration pour Bainville, cet esprit si lucide qui prévit si tôt les conséquences du Traité de Versailles et le danger hitlérien. Brassillach me fit comprendre les fureurs et les désespoirs d'un Céline dans le Voyage au bout de la nuit ou ses pamphlets et d'un Rebatet dans les Décombres. L'horreur des tranchées de Verdun marquera au fer rouge toutes les générations de cette première moitié du siècle et sera responsable de bien des comportements vingt ans plus tard. Et les générations d'après-guerre ne comprendront jamais rien si, n'ayant jamais souffert de la guerre ou de sa menace, elles ne font pas l'effort de l'imaginer, en s'abstenant de juger.
Brasillach m'a fait aimer Mauriac
Brasillach me fera aimer certaines œuvres de Mauriac, Un adolescent d'autrefois et son journal et celles de Drieu La Rochelle. Il me rappellera que Maurois écrivit de belles biographies, celle de Shelley et celle de George Sand. Je lirais et relirais la correspondance d'Alain Fournier et de Jacques Rivière tant je m'y retrouverais. Brasillach me fera ouvrir les livres de Maurice Bardèche et y découvrir des portraits fascinants d'intelligence, de style et d'humour de Balzac, Flaubert, Stendhal, Proust et Céline et des réflexions irréfutables aujourd'hui sur la guerre et l'après-guerre dans La lettre à François Mauriac, aussi irréfutables que La lettre aux directeurs de la Résistance de Jean Paulhan.
National Hebdo du 12 au 18 novembre 1987

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