Le redoutable projet Duflot de loi "pour l'accès au logement et un urbanisme rénové", avant même son adoption prend l'eau. Il passe, certes, en ce moment l'épreuve du crible sénatorial. (1)⇓ L'ordre du jour de la Haute assemblée reste chargé, on en jugera en découvrant que jusqu'à samedi, éventuellement, la nuit, on continuera de parler du texte. Puis on reviendra à l'assemblée après avoir épuisé la commission mixte paritaire.
Les journaux et les médiats audiovisuels évoquent très peu cet aspect du débat public. On peut le regretter.
Or la nouvelle réforme n'a pas franchi tous ses obstacles parlementaires que l'une de ses principales dispositions, le projet de "garantie universelle des loyers" fait l'objet d'une contre proposition. Légèrement moins irréaliste, cette dernière émane du Conseil d'analyse économique. Cet organisme gouvernemental suggère en effet de s'inspirer de la Régie des loyers telle qu'elle fonctionne au Québec. Ceci représenterait au moins l'avantage pratique de désengorger les tribunaux actuellement saisis de 150 000 litiges entre locataires et bailleurs.
Ainsi le cafouillage de la réglementation hexagonale continue de s'embourber.
Mais que s'était-il passé à l'époque du gouvernement Fillon ?
Arraché trop tôt, âgé de 57 ans, à l'affection de ses électeurs, à l'estime de ses adversaires, et aux ricanements du "Canard enchaîné" Jean-Paul Charié siégeait à l'Assemblée nationale depuis 1981 comme député du Loiret.
Il avait été le rapporteur général de la Loi dite de modernisation de l'économie de 2008, laquelle traitait en partie de la réforme de l'urbanisme commercial. (2)⇓
Dans la foulée, il reçut donc deux importantes promotion : d'une part, il était nommé en 2008 parlementaire en mission chargé de l'urbanisme commercial.
En même temps, il avait été nommé par décret gouvernemental en avril 2008, président de la CEPC (3)⇓, chargée notamment de donner des avis sur les pratiques commerciales.
S'agissant de l'urbanisme commercial, il préconisait un texte simple censé "abroger la Loi Royer" : onze articles à intégrer dans le droit commun de l'urbanisme. (4)⇓
La plus audacieuse de ses propositions, sur le principe, consistait à abroger les seuils d'autorisation. La distinction en mètres carrés ne serait cependant abandonnée qu'au profit d'une nomenclature nouvelle comportant cinq niveaux de commerce : de proximité, d'agglomération, départemental, régional ou national.
Il partait de ce constat: (5)⇓"Depuis 1973 nos résultats sont décevants ! Depuis 1973, la loi "Royer" n’a ni entravé le développement anarchique des grandes surfaces, ni pérennisé le commerce de proximité et d’intérêt public.
C’était ses deux principaux objectifs.
Les pratiques déloyales se sont développées.
Depuis 1973, en nous concentrant sur la taille et les formats des points de ventes nous avons laissé faire des pratiques commerciales déloyales.
La concurrence déloyale n’est pas liée à la taille du concurrent. Les grands magasins de centre-ville étaient bien des grandes surfaces de vente et ils étaient sources de vitalité d’attractivité.
Par contre en imposant des délais de paiement de 190 jours quand les concurrents payent au comptant, en faisant financer par les fournisseurs les charges de gestion et de promotion du magasin quand les concurrents ne reçoivent aucune marge arrière, en cassant les prix sur quelques rares mais symboliques produits car les péréquations de marge peuvent se faire sur tous les autres produits du "tout sous le même toit"…
Les grandes surfaces se sont enrichies, en ruinant les pompes à essences, les commerces de bouche, les drogueries, les quincailleries…, des milliers de commerces conseils indépendants spécialisés ou de proximité, des milliers d’artisans… et mêmes des milliers de producteurs et fournisseurs.
Seules les villes de plus de 35 000 habitants peuvent espérer une réelle diversité et vitalité Les résultats sont objectivement inacceptables Et avec, en plus, des prix supérieurs à ceux de nos voisins !" (6)⇓
Il proposait donc de développer l'attractivité des commerces traditionnels de centre-ville :
"L’attractivité se travaille.
Un bon local même en centre-ville aux pieds d’immeubles ne suffit pas pour rentabiliser un commerce.
Avant d’urbaniser, s’assurer des bonnes conditions d’accessibilité, d’attractivité, de fréquentation par les clients des commerces.
L’attractivité d’un cœur de ville dépend de multiples critères : propreté, illumination, accessibilité, stationnement, sécurité, ambiance générale, qualité architecturale, signalétique…" (7)⇓
Sa philosophie générale se résumait donc de la sorte : "Oui aux règles de libre concurrence. non aux règles contre des formes ou tailles de concurrents. Ne nous trompons pas d’enjeux. Quand on est pour la libre concurrence on ne peut-être contre une forme ou une taille de concurrents." (8)⇓
Or, au cœur des débats sur la Loi de modernisation de l'économie, le gouvernement Fillon s'était solennellement engagé à… revenir devant la représentation nationale avec un texte permettant de réformer "de manière définitive le droit de l'urbanisme commercial en l'intégrant dans le code de l'urbanisme".
Après la disparition de Jean-Paul Charié, on chercha donc à s'emparer du dossier. S'agissait-il de continuer honnêtement son travail ou de piétiner la réforme ? On en jugera par la doctrine affirmée par l'illustrissime Ollier qui saisissait alors le relais. Il s'agit désormais de "rappeler aux tenants de l'ultra libéralisme qu'une économie de marché ne peut pour autant s'affranchir de toute règle tant dans ses modalités de fonctionnement que dans ses modalités de mise en œuvre". (9)⇓
Qu'est-ce à dire ?
Ce texte de 2010 n'a pas pu être adopté par la majorité sortante.
Il reste donc beaucoup à faire pour affranchir la libre entreprise et la libre concurrence, mais aussi la liberté tout court, des carcans imposés tant par l'urbanisme utopique de la gauche que par l'urbanisme "concerté", non mois dirigiste, d'une partie de la classe politique de connivence.
JG Malliarakis
http://www.insolent.fr/2013/10/urbanisme-commercial-entre-dirigisme-realisme-et-liberte.html
Apostilles
1 - cf. L'Insolent du 27 septembre. ⇑
2 - cf. Rapport n° 908 du 22 mai 2008 sur le projet de loi n° 842 de modernisation de l’économie par M. 3 3 - Jean-Paul Charié de 803 pages Projet de loi de modernisation de l'économie, n° 842, déposé le 28 avril 2008 et dont le Gouvernement déclarait l'urgence. ⇑
Ce sigle désigne la "Commission d’examen des pratiques commerciales." ⇑
4 - cf. Rapport Charié sur l'Urbanisme commercial "Avec le commerce mieux vivre ensemble" La Documentation française 21 mars 2009 158 pages ⇑
Constat que je développe dans ma chronique du 2 octobre sur "La loi Royer et ses conséquences perverses" ⇑
5 - cf. "Avec le commerce mieux vivre ensemble" p. 11 ⇑
6 - cf. Ibidem page 14. ⇑
7 - cf. Ibidem page 16 ⇑
8 - cf proposition de loi Ollier N° 2490 déposée le 3 mai 2010. ⇑